Tolerance.ca
Directeur / Éditeur: Victor Teboul, Ph.D.
Regard sur nous et ouverture sur le monde
Indépendant et neutre par rapport à toute orientation politique ou religieuse, Tolerance.ca® vise à promouvoir les grands principes démocratiques sur lesquels repose la tolérance.

Bernard Pivot, lire d’abord

Le meilleur hommage à rendre à Bernard Pivot est de continuer de discuter de l’écriture et de la lecture. Notre génération qui a connu le papier comme support de lecture avait de la chance de savourer Apostrophes et Bouillon de culture. Les débats d’idées que Bernard Pivot animait, nous poussaient à lire. Maintenant que l’écran occupe une place significative dans notre relation à l’image et aux lettres, la question du sort de la lecture sur papier se pose avec acuité. 

Abonnez-vous à Tolerance.ca

Se soumettre à la logique du changement que provoque la science, notamment la technologie est une évidence, dans la mesure où la modernisation qui est un critère du progrès, que l’on veuille ou non, impose sa loi sur tous les domaines de la vie y compris tout ce qui ce qui a trait à l’écrit. Aujourd’hui, lire sur son portable est à la portée de tout le monde. Cet accès au texte par le biais de l’écran ne nous empêche pas de reposer la question sur la lecture. Autrement dit, la vraie question que l’on doit poser est relative à l’endurance de la lecture et non à la facilité de l’accès à l’écrit par la voie électronique, si j’ose dire. D’où la pertinence métaphysique de la problématique de lecture. Il va sans dire que la vitesse qui caractérise le rythme de la science dont le changement est le moteur va à l’encontre de la lenteur qu’exige la lecture. Lire un article sur internet, n’est pas la même chose que de lire un livre. C’est là que réside la différence même si l’acte de lire en est le dénominateur commun.

On peut être d’accord sur le constat selon lequel l’Etat, à travers ses instances, est censé promouvoir la lecture, en l’occurrence le ministère de la culture et de l’enseignement, mais l’objectivité de ce constat ne doit pas  être prise comme prétexte pour justifier le fait de fuir le livre. La majorité des enseignants du primaire jusqu’au niveau supérieur en passant par le secondaire ne lit pas. Et pourtant leur statut de passeurs du savoir les oblige à lire et inciter leurs élèves et leurs étudiants à piocher dans les contenus d’œuvres. L’une des réponses aux questions relatives au niveau de la plupart de nos étudiants qui se dégrade se trouve dans cette relation compliquée de nos enseignants avec la lecture.

Abonnez-vous à Tolerance.ca

Il y à, lire et lire. Lire un petit message sur son portable ou un article sur un support électronique est une chose. Lire un livre en est une autre. C’est de ce genre de lectures qu’il s’agit, de ce difficile exercice dont il est question. Difficile mais fructueux. Celles et ceux qui ont l’habitude de tenter de convertir l’hermétique en herméneutique sont capables de saisir la teneur de la difficulté de lire.

Fabrice Luchini, connu par son amour de lecture des textes littéraires et philosophiques, a dit, lors de l’émission C dans l’air dédiée à Bernard Pivot, qu’il est dur de lire. Le qualificatif Dur n’est pas perçu ni par l’auteur, ni par n’importe quel lecteur et lectrice comme une incitation ou invitation à fuir la lecture. Au contraire, c’est un appel à endurer le sens que nous cherchons en lisant. Dur, relève de l’activité et ne cautionne pas l’indolence, car ce travail mental de lecture ne peut, à mon avis, porter ses fruits que dans la durée.

Il se trouve que la dureté de la lecture est conditionnée par le temps. C’est ce que j’appelle Patience que  la dureté et la durée provoquent. Autrement, on accumule quantitativement par le biais de la lecture dans le temps. S’il est dur de lire, c’est qu’il est également dur d’écrire. La difficulté est double. Seulement voilà, la difficulté de lire, prise dans le sens d'endurance, se confronte à l’éthique d’écriture. Celles et ceux qui lisent se demandent s’ils peuvent écrire. Mais, une fois face au texte qui les met dans une situation herméneutique en quête du sens, le lecteur et la lectrice ne se posent pas la question relative à l’écriture. C’est-à-dire qu’ils se sentent incapables d’écrire vu le pouvoir qu’impose le texte, objet de lecture. Tout est déjà écrit, je suis incapable d’écrire comme le fait l’auteurE de ce texte. Peut-être que ça arrivera avec le temps. Mais pour le moment, il faut endurer le texte. Il faut accumuler. Il faut capitaliser sur ce que j’apprends des textes dans la durée. Et puis, on ne peut pas écrire sans lire.

L’un des enseignements que j’ai tiré des émissions que Bernard Pivot animait, au-delà des questions qu’il posait à ses interlocuteurs, c’est qu’il anime en nous, non seulement le sens de la lecture, mais aussi cette convivialité qui active le lien entre le livre et le lecteur. Laquelle convivialité est riche en différence d’appropriations de textes qui favorise le débat et l’échange.

Je lis, je me sépare des vulgarités et je doute.

9 mai 2024

Abonnez-vous à Tolerance.ca



*

Image crédit : INA Antenne 2

Source : https://www.deltafm.fr/bernard-pivot-l-emblematique-presentateur-et-ecrivain-s-eteint-a-l-age-de-89-ans#google_vignette




Réagissez à cet article !

L'envoi de votre réaction est soumis aux règlements et conditions de Tolerance.ca®.
Votre nom :
Courriel
Titre :
Message :
Analyses et Opinions
Cet article fait partie de

La Chronique d'Abdelmajid Baroudi
par Abdelmajid BAROUDI

M. Baroudi est un collaborateur régulier de Tolerance.ca. Il réside au Maroc.

Lisez les autres articles de Abdelmajid BAROUDI
Suivez-nous sur ...
Facebook Twitter