Tolerance.ca
Directeur / Éditeur: Victor Teboul, Ph.D.
Regard sur nous et ouverture sur le monde
Indépendant et neutre par rapport à toute orientation politique ou religieuse, Tolerance.ca® vise à promouvoir les grands principes démocratiques sur lesquels repose la tolérance.

Jocelyn Maclure : Le pluralisme n'est pas une forme de relativisme moral

par
Collaborateur, membre de Tolerance.ca®

Jocelyn Maclure est professeur agrégé de philosophie à l’Université Laval au Canada. Il est membre fondateur de la revue de débats publics «Les Cahiers du 27 juin». Il a œuvré comme analyste-expert et rédacteur pour la «Commission Bouchard-Taylor sur les pratiques d'accommodement de la diversité culturelle et religieuse». Il a publié de nombreux ouvrages, dont le dernier vient de paraître en 2010 («Laïcité et liberté de conscience», en collaboration avec Charles Taylor). Nous l’avons interviewé à propos du «Manifeste pour un Québec pluraliste». Entrevue réalisée par Aziz Enhaili pour Tolerance.ca ®.

Abonnez-vous à Tolerance.ca

 

Aziz Enhaili: Récemment, vous avez signé, en compagnie de nombreux intellectuels québécois un «Manifeste pour un Québec pluraliste». Pourquoi poser ce geste intellectuel maintenant? Y a-t-il vraiment à ce point péril en la demeure québécoise? Qu’est-ce qui menace, selon vous, ce que vous appelez «une vision ouverte et pluraliste» de la société québécoise? Autrement dit, qui sont les «ennemis» de cette «vision»?

Jocelyn Maclure: L’introduction du «Manifeste» était peut-être un peu trop alarmiste. Certains de ses signataires ont été la cible répétée d’attaques personnelles. Nous voulions que le débat porte sur des principes et des arguments. Mais plus fondamentalement, notre crainte principale était que le Québec rompe avec les équilibres qu’il a au fil du temps atteints entre les intérêts légitimes de la majorité politique, le respect des droits individuels et la reconnaissance de la diversité. Notre initiative a pris forme au moment ou le «Programme Éthique et culture religieuse» était attaqué à la fois par des nationalistes conservateurs et par les tenants d’une certaine vision de la laïcité. Plusieurs intervenants appelaient —et appellent toujours— à l’adoption d’une Charte de la laïcité dont la mission vraisemblable serait d’interdire le port de signes religieux dans certains contextes ou de refuser les demandes d’accommodement fondées sur des croyances religieuses. Le débat nous semblait déséquilibré; nous voulions remettre à l’avant les positions pluralistes, ce que nous avons réussi, je crois. Ce déséquilibre était en partie dû aux pluralistes, qui s’étaient tenus tranquilles depuis le dépôt du «Rapport Bouchard-Taylor».

Aziz Enhaili: Vous parlez dans votre «Manifeste» d’une vision alternative (la vôtre) de celle «réductrice» de la société québécoise. En quoi serait-elle plus conforme aux orientations et exigences du Québec moderne?

Jocelyn Maclure: Comme je le disais, le Québec moderne a atteint des équilibres honorables entre les intérêts légitimes de la majorité, le respect de la différence et la protection des droits fondamentaux. Nous croyons que l’interculturalisme, qui vise à conjuguer la reconnaissance de la diversité avec la valorisation des rapports interculturels dans le cadre d’une société démocratique dont la langue publique commune est le français, et la laïcité ouverte, qui vise à assurer la neutralité religieuse de l’État sans restreindre inutilement et abusivement la liberté de conscience et de religion des citoyens, ont permis, tout comme la Charte de la langue française, au Québec d’atteindre ces équilibres. Or, l’interculturalisme est critiqué par le nationalisme conservateur et la laïcité ouverte par les tenants d’une laïcité fortement républicaine.

Aziz Enhaili: Comment définissez-vous le concept de «pluralisme» relativement au débat actuel sur l’«identité» québécoise? Comment l’articulez-vous à la question des rapports entre majorité dite sociologique et minorités religieuses ?

Jocelyn Maclure: Le pluralisme peut être utilisé comme un concept descriptif ou normatif. Personne ne conteste que le Québec soit pluriel au sens descriptif, c’est-à-dire composé de citoyens dont les origines ethnoculturelles, les appartenances religieuses et les systèmes de valeurs sont multiples. Nous utilisons aussi le concept dans son sens normatif : il désigne une posture éthique et politique qui fait une place importante à un principe de respect et de reconnaissance de la diversité. Au Québec, toutefois, ce principe de reconnaissance de la diversité est balisé par le respect des valeurs libérales et démocratiques. Ce pluralisme, donc, n’est pas une forme de relativisme moral.

Aziz Enhaili: Armé de votre conception pluraliste, quelle est l’idée que vous vous faites de la société québécoise? Quelles sont les lignes rouges que vous vous fixez pour faire la différence entre l’«acceptable» et l’«inacceptable» dans une société libre et pluraliste comme le Québec ?

Jocelyn Maclure: L’intégration ne doit pas exiger l’assimilation pure et simple à la «culture de la majorité» (qui est souvent homogénéisée) et des raisons fortes, comme l’atteinte réelle aux droits d’autrui ou la présence de ce que le droit appelle des «contraintes excessives», doivent être mobilisées pour justifier la restriction de droits fondamentaux comme la liberté de conscience et de religion. Nous ne croyons pas, par exemple, qu’une interdiction générale du port de signes religieux chez les agents de l’État soit soutenue par de telles raisons fortes.

Aziz Enhaili: À en croire votre «Manifeste», contrairement à ce que laissent entendre plusieurs intellectuels «organiques» de la laïcité stricte ou du «nationalisme» conservateur, la laïcité est loin d’être en péril. Pourquoi le pensez-vous? Et comment expliquez-vous la puissante séduction que cette thèse exerce sur d’importantes franges du monde intellectuel québécois ?

Jocelyn Maclure: Il n’y a pas de religion d’État au Québec et au Canada. L’État québécois n’a pas de liens organiques avec une religion. De plus, en laïcisant son système scolaire dans les années 1990 et 2000, le Québec a mis fin aux privilèges accordés aux Catholiques et aux Protestants. Les principes institutionnels de séparation entre l’État et les religions et de neutralité religieuse de l’État sont déjà effectifs au Québec. De plus, l’État québécois cherche à réaliser les finalités de la laïcité, à savoir le respect égal que l’État doit à tous les citoyens, ainsi que la protection de la liberté de conscience et de religion. Enfin, la laïcité n’est pas menacée par l’obligation juridique d’accommodement raisonnable car cette obligation est dérivée des droits fondamentaux (et donc balisée par ces derniers). Une demande d’accommodement qui entraîne des «contraintes excessives» ou qui aurait pour effet de faire en sorte que l’État favoriserait certains citoyens peut être légitimement refusée.

Aziz Enhaili: Comment comptez-vous réhabiliter le «pluralisme» au Québec ?

Jocelyn Maclure: Nous voulons simplement faire entendre notre voix dans le débat public et préciser les principes qui sont au fondement de nos positions, tout en demandant aux autres participants au débat de faire de même.

Entrevue réalisée par Aziz Enhaili pour Tolerance.ca ®.

Le 30 mars 2010



Réagissez à cet article !

L'envoi de votre réaction est soumis aux règlements et conditions de Tolerance.ca®.
Votre nom :
Courriel
Titre :
Message :
Suivez-nous sur ...
Facebook Twitter