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Quelles sont les limites du pardon ?

par , collaboratrice, engagée dans le cadre de nombreux projets d'étudiants de Tolerance.ca
C’était en juillet 1979. Chantale Dupont, 15 ans, et Maurice Marcil, 14 ans, rentraient de Terre des Hommes. Les deux jeunes adolescents de la Rive-Sud de Montréal retournaient chez eux, en ignorant le danger qui les attendait sur le pont Jacques-Cartier. La plupart des gens qui vivaient à Montréal en 1979 connaissent la suite de l'histoire. Deux hommes de 25 ans se sont attaqués à eux et leur ont fait subir des sévices innommables avant de les jeter dans le fleuve Saint-Laurent. Parmi ces deux criminels, il y avait Normand Guérin. « J’ai vu la pureté de cette fille-là. Je la voulais rien que pour moi », a-t-il dit pour expliquer son geste.

Lui auriez-vous pardonné ?

C’est cet homme que les parents de Chantale iront, quelques années après l’événement, serrer sur leur cœur. Le complice de M. Guérin, Gilles Pimparé, a par contre refusé de rencontrer les parents de sa jeune victime.

Deux semaines après le drame, on a repêché le corps des enfants. M. et Mme Dupont ont dû identifier le corps en piètre état de leur fille: une tête méconnaissable, un corps pâle et boursouflé, et je vous évite les autres détails. Pourtant, ces chrétiens membres de l'Église catholique ont fait de Normand Guérin leur « fils spirituel ». Ils ont entamé une correspondance avec lui au lendemain du procès qui l'a condamné à vingt-cinq ans de prison. Dès lors, tous les trois se sont consacré une journée de retrouvailles par année au pénitencier de Port-Cartier. Normand Guérin a aujourd’hui terminé son temps de réclusion criminelle, tout comme son complice, M. Pimparé, qui nie toutefois encore aujourd’hui avoir été sur le pont Jacques-Cartier le soir du drame.

Dites-moi comment, après avoir vécu une telle horreur, peut-on pardonner? Pendant longtemps je me suis questionnée, et j'ai, à ma grande surprise, trouvé des explications dans les deux grandes valeurs chéries par ces gens : la foi et l’amour.

Le pardon au centre de la religion « abrahamique »

D’abord et avant tout, pour juger de l’acte de la famille Dupont, il faut conceptualiser la signification du pardon à leurs yeux et telle qu’elle l’est véritablement incarnée sein de certaines croyances religieuses.

Pardonner ne signifie pas nier sa douleur ou se réconcilier avec son offenseur. Il s'agit plutôt de mettre le passé en perspective pour ne plus en être victime. La notion de pardon est au centre de trois grandes religions : le judaïsme, le christianisme et l'islam. Le sens qu'on y accorde n'est pas normatif. Il consiste en un geste exceptionnel, en le fait de vaincre son ressentiment envers un offenseur sans pour autant nier son droit d’avoir ce ressentiment. Pour l'Église, il n'y a rien d'impardonnable, même que si on devrait avoir à pardonner quelque chose, ce serait, dans un langage religieux, le « péché véniel », c’est-à-dire le péché mortel, le pire des crimes. Là seulement, le geste du pardon serait extraordinaire, réalisé dans la pureté et non au service d'une finalité quelconque (réconciliation, rétablissement d'une normalité, etc.). On peut d’ailleurs lire, dans l'Ancien Testament, que la Terre doit être « un lieu de mémoires tragiques enfantant constamment un monde de pardons réciproques ».

La confession religieuse d'une personne est donc une force déterminante en ce qui concerne sa perception du pardon. Comme je l’ai mentionné ci-haut, les parents de Chantale Dupont sont très croyants, et encore plus aujourd'hui qu'ils ne l'étaient avant le drame de l'automne 1979. Les pratiquants sont de moins en moins nombreux au Québec (on compte un peu plus de 413 000 personnes n'ayant aucune appartenance religieuse selon Statistiques Canada), ce qui explique probablement l'incompréhension de la majorité de la population, de la mienne inclusivement.

Un geste qui n’est pas dans « l’air du temps »

Comme la pratique religieuse a de moins en moins la cote, le pardon n'est pas dans « l'air du temps » non plus. Et lorsqu'on ne pose pas le geste avec sincérité, le ressentiment perdure, et les gens ne croient donc pas en ses effets bénéfiques. Des études ont démontré quatre grandes raisons qui, de nos jours, expliquent la réticence des gens envers le pardon, l'une d'entre elles étant justement cette permanence du ressentiment. Peut-être vous reconnaîtrez-vous dans l'une des trois autres explications qui ont été trouvées : l'opposition entre la volonté de pardon et la volonté de vengeance, la sensibilité à l'attitude de l'offenseur, et la sensibilité aux circonstances personnelles et sociales. Pourtant, il est prouvé que le pardon, lorsque son concept est bien compris, aide les offensés à traverser un deuil ou une situation difficile. Les thérapeutes insistent toutefois sur le fait qu'il ne faut pas pardonner dans l'attente d'une réaction de l'offenseur. Il faut pardonner pour soi. M. Dupont a pardonné aux deux meurtriers de sa fille. C'est la réponse positive de Normand Guérin qui l'a poussé à aller plus loin et à lui offrir son écoute et son amour.

« Personne ne peut vivre sans amour »

En ce sens, pour des personnes très religieuses comme c'est le cas des membres de la famille Dupont, leur pardon, aussi incompréhensible puisse-t-il être pour la majorité de la population, est un geste noble. Néanmoins, pourquoi aller jusqu'à rencontrer et donner de l'amour à Normand Guérin? Le geste est si pur qu'il est inhabituel. Pour le père de Chantale, venir en aide à cet homme a été un geste d'humanité. Il lui a ainsi donné la chance de se racheter lui-même de la faute qu'il a commise. L’amour et l’appui de la famille de Chantale permettront peut-être un jour à cet homme d'en aider d'autres. Dans un langage religieux, il s'agit de lui offrir une résurrection, peut-être pour compenser le fait que leur fille, elle, ne sera jamais ramenée.

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Avec du recul, et à la lumière de mes réflexions (je peux vous dire que j'ai longuement réfléchi sur le sujet), je dois avouer que j'ai beaucoup de respect envers cette famille et le geste qu'ils ont posé. Néanmoins, je ne le comprends toujours pas, probablement parce que je n’aurais pas eu la force de le faire, ou encore parce que je ne partage pas les mêmes valeurs que ceux-ci. Je sais que je n’aurais pas pardonné à l’assassin de mon enfant, comme ça a été le cas du père de Maurice Marcil, qui n'a jamais offert son pardon à M. Guérin et à son complice. Et vous, l'auriez-vous fait?

Pour avoir davantage d'informations sur le sujet, pour entendre les témoignages des membres des familles des victimes et de Normand Guérin, ou encore pour être témoin de la première rencontre entre le criminel et les parents de Chantale, je vous invite fortement à visionner le film Le Pardon de Denis Boivin (1992, 56 min.). C'est un film difficile mais extrêmement touchant. Vous y verrez aussi la mère et le frère jumeau de l'assassin, qui n'ont pas su, pour leur part, pardonner à M. Guérin. Le documentaire a remporté plusieurs prix, dont le Prix Can-Pro, pour le meilleur documentaire télédiffusé sur les réseaux canadiens en 1992.

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