Dans une société libre et démocratique, la liberté de chacun s’arrête là où elle empiète sur la liberté d’autrui. C’est la règle de base qui permet de concilier droits individuels et vie collective. Cette maxime simple devrait guider le débat actuel autour des prières de rue : où s’arrête l’expression religieuse et où commence l’entrave à la liberté des autres?
Manifester ou prier : deux démarches différentes
Manifester contre les crimes de guerre commis à Gaza – ou ailleurs dans le monde – relève d’un geste profondément noble et humaniste. C’est une action politique et citoyenne qui cherche à mobiliser le plus grand nombre, la voix des consciences qui refusent l’injustice et qui veulent rappeler à la communauté internationale ses responsabilités. Mais prier publiquement selon les rituels d’une religion – musulmane ou autre – sert-elle vraiment cette cause? Ne risque-t-elle pas, au contraire, de détourner l’attention du message politique et humanitaire au profit d’une lecture confessionnelle, perçue comme exclusive par plusieurs ? Défendre une cause exige d’élargir l’adhésion, pas de la restreindre à une identité confessionnelle.
Rassembler plutôt que diviser
Pour défendre une cause juste, la stratégie la plus efficace consiste à rallier le plus grand nombre de personnes, au-delà des appartenances religieuses, culturelles ou idéologiques. Introduire un rituel religieux dans un contexte politique n’aide pas toujours à bâtir ce consensus large. Au contraire, cela peut faire naître un soupçon d’ostentation et créer un fossé avec des alliés potentiels.
L’ostentation : un piège contre-productif
Un autre enjeu est celui de la perception. Aux yeux de nombreux non-musulmans, ces prières ostentatoires paraissent comme une démonstration identitaire, voire une provocation. Le résultat? Une image négative de l’islam et une fragilisation de la cause que ses fidèles croient défendre. Paradoxalement, l’excès de visibilité peut produire l’effet inverse de celui recherché.
La loi doit cibler les abus, pas l’expression spirituelle
Faut-il interdire la prière de rue ? Pas nécessairement. Mais encadrer ses dérives est légitime. La ligne directrice doit rester claire : ce n’est pas l’acte de prier en soi qui pose problème, mais les entraves qu’il peut occasionner à la libre circulation et à l’usage partagé de l’espace public.
Car comment distinguer une prière silencieuse d’un moment de recueillement ou d’une méditation collective ? Ce n’est pas la spiritualité qui dérange, mais son expression lorsqu’elle devient obstruction. Une prière de groupe qui bloque la voie publique, gêne les déplacements ou monopolise indûment l’espace commun porte atteinte aux libertés des autres — et doit, à ce titre, être interdite.
En revanche, vouloir bannir toute forme de prière visible dans l’espace public serait à la fois arbitraire et inapplicable. La règle devrait être simple et équilibrée : garantir la liberté de culte et d’expression, tant qu’elle ne compromet pas la vie collective ni les droits fondamentaux des autres citoyens.
La prière dans le Coran : outil, non spectacle
Le Coran ne réduit pas l’acte d’accomplir la prière (la salât) à une série de gestes rituels accomplis mécaniquement. La prière y est décrite comme un lien vivant avec Dieu et avec autrui, un acte de mémoire, de purification et d’engagement social et moral. Elle est indissociable de la justice, de la solidarité avec les pauvres et les oppressés, de la parole vraie et de la bienveillance.
« La prière préserve de la turpitude et du blâmable » (29:45), rappelle le Coran. La prière authentique n’est donc pas une fin en soi, mais un moyen pour cheminer dans la droiture et la justice. Lorsqu’elle devient ostentation ou simple automatisme, elle perd son sens.
Pour un retour à l’essentiel
Comme le rappel l’une des paroles les plus connues du dernier Messager : « la prière est le pilier de la religion ». Ceci est le cas, non pas parce qu’elle se voit, mais parce qu’elle transforme. Elle n’est pas un spectacle public, mais un rappel intime et collectif du devoir d’adorer Dieu, de protéger les plus vulnérables et de pratiquer la justice.
Au fond, le débat actuel renvoie à une question simple : veut-on que la prière soit une arme de division dans l’espace public ou un outil de réconciliation intérieure et sociale pour servir collectivement des causes justes ? Le choix appartient d’abord aux fidèles.
7 septembre 2025