
Peu de gens, y compris l’auteur de ces lignes, avaient cru dans les possibilités de Barack Obama de devenir président des États-Unis d’Amérique. Les raisons du doute étaient nombreuses : L’Amérique est-elle prête à élire un président noir ? Peut-il avoir le dessus sur le clan Clinton? A-t-il assez d’expérience? Va-t-on le tuer ?
Malgré ces interrogations qui ont traversé les esprits, il a été élu et a prêté serment comme 44e président des États-Unis. Avant cela et depuis ce temps, il semble qu’un véritable engouement a lieu dans plusieurs régions du monde au Québec, au Canada, si on se fie à l'effet créé, auprès des Canadiens, par le choix de leur pays pour son premier déplacement international, le 19 février 2009, et en Europe, si on se fie à l’emballement suscité par son séjour en Allemagne pendant l’été 2008 [1]. Enfin, en Afrique on a vu naître de multiples associations et de chansons en son honneur.
Dans le même temps, le scepticisme est de rigueur dans d’autres régions du monde. La Russie a carrément fait le black-out sur son assermentation (si on se fie à Radio-Canada [2]), la Chine attend pour voir tandis que les peuples et dirigeants d’Amérique latine oscillent entre incrédulité et doute. Dans les lignes qui suivent, une lecture personnelle sera faite des deux tendances apparemment opposées au sujet de l’élection de Barack Obama. D’abord, j’essaierai de comprendre les motivations de l’Obamania. Ensuite, je tenterai d’expliquer les raisons du scepticisme.
Les motivations de l’Obamania
Si l’Obamania peut facilement être expliquée aux USA en raison de la dimension historique de l’événement, de même qu’en raison de l’apparence de réparation qu’elle entraîne, ce même phénomène se justifie moins en Allemagne à cause de son histoire récente de l’Allemagne teintée de nazisme (3). Les Africains quant à eux, sentent une communauté d’appartenance avec le nouveau président américain à cause des origines kényanes de son père. Cette Obamania est essentiellement symbolique : le regard sur l’homme noir semble modifié (4). Pourquoi les Allemands, les Français ou les Québécois développent-ils un engouement pour Obama ? Pour l’Allemagne et la France, il s’agit -surtout en ce qui concerne les dirigeants- de positionnement géopolitique qui les incite à vouloir se rapprocher du nouveau dirigeant américain. Quant aux peuples, à part les minorités ethniques qui y voient une possible ouverture qui pourrait s’étendre à leur propre situation (dans leurs pays respectifs), la majorité la perçoit comme un symbole exotique… qui ne pourrait se réaliser chez eux et qu’on peut donc soutenir sans problèmes. Quant au Québec, en plus des raisons susmentionnées, ses habitants voient se concrétiser certaines de leurs idées de gauche : respect de l’environnement, plus grande intervention de l’État ou respect des conventions internationales.
L’Obamaphobie, pour qui et pour quoi ?
L’Obamaphobie peut s’expliquer autant par des facteurs historiques que par la géopolitique en Europe (5), en Asie (en incluant la Russie) ou en Amérique latine. Sur le plan politique, les Russes et les Chinois ne connaissent pas vraiment la position d’Obama à leur égard, d’autant plus que la politique étrangère fut le parent pauvre de la dernière campagne électorale américaine. Quant aux dirigeants de l’Amérique latine, la position de scepticisme (6) est probablement due à l’embarras face à un dirigeant qui ne peut plus être taxé de Grand Diable, comme George W. Bush a pu l’être. De même, comme la plupart des pays ont une histoire trouble (7) avec les autochtones et les Noirs, il semble difficile autant aux peuples qu’aux dirigeants de reconnaître que le nouveau président américain soit issu de l’une de ces communautés les plus défavorisées et méprisées de leurs pays. Il y a sans doute crainte d’un désir de reconnaissance de ces peuples opprimés.
Entre Obamania et Obamaphobie, il y a Obama
Toutefois, que l’on soit de l’Obamania ou de l’Obamaphobie, les uns et les autres devront rapidement faire face à la Realpolitik dans le sens où Obama agira avant tout comme président des Etats-Unis d’Amérique avec ses contraintes et son propre agenda. Chaque décision qu’il prendra aura son lot de critiques. D’ailleurs, celles-ci ont déjà commencé avec sa décision concernant la prison de Guantanamo. La realpolitik se situera dans l’action du politique qu’il est, c’est-à-dire contenter ceux qui ont permis que ce rêve soit possible, parmi lesquels une armada de lobbyists qui auront à cœur d’avoir une oreille attentive à la Maison-Blanche. À ceux-là, Obama leur a tendu la perche en nommant William Lynn au poste de numéro deux à la Défense alors que quelques jours auparavant, il affirmait «Un ancien lobbyiste entrant dans mon administration n’aura pas le droit de travailler sur des sujets qui étaient de son ressort, ni pour un ministère auprès duquel il a été en relation au cours des deux dernières années.» (8) Ainsi, entre l’Obamania et l’Obamaphobie, il y a Obama, le président des Etats-Unis d’Amérique…
Notes
1.Voir Le Monde, 24 juillet 2008.
2.Reportage de Radio-Canada sur le black-out médiatique qui a entouré l’assermentation de Barack Obama le 20 janvier 2009.
3.Les écrits sont multiples pour rappeler le génocide vécu par les Juifs et cette histoire doit être sans cesse rappelée tout comme l’histoire des noirs dans les camps nazis (voir Serge Bilé, 2005).
4. Même si je suis d’avis que tel n’est pas le cas, cette position est partagée par la doxa.
5. On se rappellera l’humour douteux de Berlusconi sur le bronzage d’Obama mais plus sérieusement, la phrase de l’ancien président du gouvernement espagnol (1996-2004), José Maria Aznar qui affirmait : « L’élection d’Obama est un exotisme historique. Et un désastre économique prévisible. ». Voir Jeune Afrique, No 2505, janvier 2009.
6. Pendant la campagne américaine, le Lider Maximo cubain avait manifesté un certain intérêt envers Barack Obama. Toutefois, cette position ne fait pas fi d’un certain scepticisme à son égard. Voir la position de Fidel Castro dans la Dépêche de l’Agence France Presse (AFP) du 22 janvier 2009 : http://www.la-croix.com/afp.static/pages/090122070003.k2qzyhhg.htm
7. Voir les ouvrages pédagogico-historiques de l’intellectuel cubain Carlos Moore qui a su présenter les travers racistes de la révolution cubaine ainsi que le racisme structurel en Amérique latine.
8. M. Lynn était lobbyiste pour Raytheon, le cinquième contractant américain dans le secteur de la défense. Voir le blogue de Richard Hétu, La Presse, http://blogues.cyberpresse.ca/hetu/?p=70423311
Mise à jour 19 février 2009