On se souvient de la sortie en février 2014 du maire Labeaume plaignant les femmes qui portent une tenue islamique lors de la baignade. Sa sortie faisait suite à l’autorisation d’un arrondissement de la ville de Québec permettant à une femme de porter le burkini dans toutes ses piscines publiques.
Or, j’ai découvert, à ma grande stupéfaction, que la Ville de Montréal autorise, mais de manière officieuse remarquez bien, que des femmes se baignent tout habillées dans ses piscines publiques sans que les autorités ne se soucient le moindrement de ce qu’une telle situation puisse soulever sur le plan de l’hygiène.
Ainsi, une femme entièrement habillée jouait récemment avec des enfants dans le bassin réservé aux familles à la piscine publique du centre sportif Benny de l’arrondissement Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce, sans soulever la moindre objection de la part des responsables.
Témoin de la situation, je la signalais à la sauveteuse qui m’a affirmé que la tenue vestimentaire de la dame en question était tout à fait autorisée par les règlements. Ce que dément le service des Sports et des activités physiques de la Ville de Montréal qui précise sous la rubrique «Les responsabilités des usagers» que «Le port du maillot de bain est obligatoire. Il est le seul vêtement autorisé» (1). Je me pose donc la question : la définition du «maillot de bain» a-t-elle changé ?
J’ai porté à l’attention des responsables de l’arrondissement Côte-des-Neiges ─ Notre-Dame-de-Grâce ces faits contradictoires, - par écrit et à deux reprises - sans recevoir de réponse. Mon intervention suscite-t-elle de l’embarras ? Craint-on d’éveiller le vieux débat sur la laïcité et la fameuse Charte jamais vraiment résolu ? Toujours est-il que de nouveaux comportements s’établissent tout à fait naturellement dans les piscines publiques sans que l’on n'y prenne garde.
On trouvera au bas de cet article copie de mes deux courriels adressés aux responsables de l’arrondissement Côte-des-Neiges ─ Notre-Dame-de-Grâce.
Depuis lors, une autre dame qui elle porte une tunique se baigne régulièrement dans le bassin réservé aux adultes. J’ignore ses convictions religieuses et au fond je n'ai nullement besoin de les connaître, mais cette situation m’incite à pousser plus loin ma réflexion et à soulever certaines questions.
Sur le plan de l’hygiène, qu’adviendrait-il si plusieurs personnes se baignaient tout habillées ? Pourquoi certaines auraient ce droit et d’autres, non ?
Au-delà des questions d’hygiène qu’une telle situation soulève, ne devrait-on pas se demander comment une personne, contrainte par ses convictions religieuses de porter une tunique, pourrait exercer adéquatement la fonction de sauveteuse, dans l’éventualité où elle solliciterait un tel emploi, et dans quelle mesure pourrait-on le lui refuser sans aller à l’encontre de nos Chartes québécoise et canadienne des droits et libertés ? De plus, les préceptes religieux que représente une telle tenue, qui vise ultimement à limiter, comme on le sait, la mixité et le contact physique avec le sexe opposé (ou à décourager le regard), n’empêcheraient-ils pas une femme ainsi vêtue à pratiquer les premiers soins aux hommes qui en auraient besoin ?
Enfin, si l’on poussait le raisonnement plus loin, pourquoi des hommes n’auraient-ils pas le droit eux aussi de porter des tuniques lors de la baignade ?
En effet, si certaines femmes ont besoin de nager en cachant entièrement leur corps, pour quelle raison, selon le même raisonnement basé sur les droits, empêcherait-on des hommes – disons juifs orthodoxes, portant redingotes et chaussettes blanches montantes – de se baigner également dans nos piscines ?
Et si l’on refusait aux hommes ce qu’on autorise à certaines femmes, n’est-ce pas une discrimination basée sur le sexe ?
Tandis qu’en Europe cette question des tenues vestimentaires de certaines femmes musulmanes suscite débats et polémiques, et que le plus souvent on interdit carrément à ces dernières l’accès aux piscines, au Québec, toute opposition de la part des usagers risque d'être considérée discriminatoire. Une chroniqueuse de Québec a même réagi à la sortie du maire Labeaume en lui faisant la leçon au nom des droits des femmes ! C’est que la misandrie a bonne presse chez nous. La chroniqueuse en question citait, dans sa critique du maire, nulle autre que la Fédération des femmes du Québec (FFQ) pour appuyer sa diatribe.
«Qui accepterait sans broncher de se faire imposer un modèle de maillot pour nager ou patauger dans la piscine municipale ? s’interrogeait-elle dans Le Soleil. Quelle femme renoncerait à son bikini, son tankini ou son une-pièce parce qu'une partie de la population considère que ce type de vêtement ne convient pas à la piscine publique, parce qu'on ne s'habille pas comme ça à Québec ? Et celle qui opte pour le burkini devrait supporter sans rien dire le jugement, les regards et les propos désapprobateurs ? Vivre et laisser vivre. Cela devrait s'appliquer à tous et toutes. Que leur maillot couvre des pieds à la tête ou le strict minimum», écrivait-elle, affirmative, dans le quotidien de Québec.
Et de conclure en évoquant la FFQ : «[...] L'obsession des uns de nous voiler n'a d'égale que l'obsession des autres de nous dénuder. Ces deux obsessions ne sont que deux formes symétriques de la même négation des femmes : l'une veut que les femmes attisent le désir des hommes tout le temps, tandis que l'autre leur interdit de le provoquer» (2).
Ce laisser-faire que nous constatons au Québec où des organismes et des commentatrices promeuvent des points de vue rétrogrades contredit ce que des organisations internationales pourtant féministes ont toujours dénoncé. Ainsi les résultats d'une enquête de AWID (The Association for Women's Rights in Development), un organisme qui défend le droit des femmes dans les pays en développement, révélaient que les fondamentalismes religieux ont un impact défavorable sur les droits des femmes. Conduit dans plus de 160 pays le sondage citait plus de 600 exemples d’effets négatifs, autant physiques que psychologiques qui se manifestent sous forme d’un contrôle sur le corps et sur la sexualité des femmes, contraintes de se couvrir en tout temps hors de chez elles, à fortiori dans des bains publics (3).
Ceux et celles qui défendent le droit aux femmes d’être entièrement habillées dans nos piscines propagent donc une perception inversée de la réalité en accréditant des directives fondamentalistes adressées aux femmes touchant leur comportement en public car, en fin de compte, le burkini et autres tuniques ne constituent-ils pas une belle illustration de ce que tous les fondamentalismes religieux préconisent, à savoir le refoulement du corps humain et plus particulièrement du corps des femmes ?
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Note - À la suite de la parution de cet article et de son retentissement, la Ville de Montréal a, dans un premier temps, retiré de son site Internet, à 9h. 35, le 3 novembre 2014, la page citée dans la note ci-dessous indiquant que seul le maillot de bain était autorisé. Après vérification, la page en question est réapparue une heure et demie plus tard ! Changera-t-on le règlement et ce que l'on indique sur cette page ? À suivre donc...
Notes
1. Ville de Montréal, le service des Sports et des activités physiques, les responsabilités des usagers.
2. Brigitte Breton, «Attriquées» au goût des hommes, Le Soleil, 13 février 2014.
3. La montée des fondamentalismes religieux.pdf - AWID
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Copie de mes courriels demeurés sans réponse adressés aux responsables de l’arrondissement Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce de la Ville de Montréal.
De : Victor Teboul
Envoyé : 28 octobre 2014 12:01
À : 'monique.berlinguette@ville.montreal.qc.ca'
Objet : Règlement concernant la tenue vestimentaire lors de la baignade dans les piscines de la Ville de Montréal.
Importance : Haute
Monique Berlinguette Responsable du soutien aux élus
Cabinet du maire et des élus
Arrondissement de Côte-des-Neiges ─ Notre-Dame-de-Grâce
5160, boulevard Décarie, bureau 710
Montréal (Québec) H3X 2H9
Tél. : 514 872-0961 Cell. : 438-402-1763 Fax : 514 868-3327 Courriel : monique.berlinguette@ville.montreal.qc.ca
Bonjour madame Berlinguette,
Le message ci-dessous vous a été adressé il y a près de deux semaines, mais nous n’avons pas reçu de réponse.
Pourriez-vous svp nous préciser si les responsables y répondront bientôt.
Merci de confirmer réception du présent message.
Victor Teboul, Ph.D., Directeur, Tolerance.ca www.tolerance.ca www.victorteboul.com
De : Victor Teboul
À : 'monique.berlinguette@ville.montreal.qc.ca'
Objet : Règlement concernant la tenue vestimentaire lors de la baignade dans les piscines de la Ville de Montréal.
Monique Berlinguette
Responsable du soutien aux élus
Cabinet du maire et des élus
Arrondissement de Côte-des-Neiges ─ Notre-Dame-de-Grâce
5160, boulevard Décarie, bureau 710, Montréal (Québec) H3X 2H9
Courriel : monique.berlinguette@ville.montreal.qc.ca
Montréal, le 15 octobre 2014
Objet : Règlement concernant la tenue vestimentaire lors de la baignade dans les piscines de la Ville de Montréal
Bonjour,
J’ai remarqué hier, le 14 octobre, qu’une dame était entièrement habillée et jouait avec un enfant dans le bassin réservé aux familles, à la piscine de Notre-Dame-de-Grâce du centre sportif Benny.
J’ai signalé la situation à la surveillante de baignade, qui était de service hier (le 14 octobre), à 12h 30, et elle m’a expliqué que ce vêtement était autorisé par le règlement.
J’ai donc pris le temps de vérifier sur le site Internet de la Ville de Montréal, dans la page Sports et activités physiques, sous la rubrique «Les responsabilités des usagers» dont vous trouverez l’hyperlien ci-dessous, et j’ai découvert la précision suivante :
Le port du maillot de bain est obligatoire. Il est le seul vêtement autorisé.
Cette précision se trouve sur le site Internet de la Ville de Montréal à l’hyperlien suivant :
http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=9037,101773591&_dad=portal&_schema=PORTAL
Compte tenu de ces informations contradictoires, je souhaite connaître la politique précise de la Ville de Montréal en cette matière.
Dans l’éventualité où le règlement autorise que des personnes se baignent habillées, pourriez-vous svp préciser quelles sont les assurances concernant l’hygiène que la Ville a prévues dans une telle situation et qu’elle est en mesure de fournir aux usagers.
Il serait utile en outre pour les usagers que les règlements soient clairement indiqués sur les sites Internet des centres sportifs, ce qui n’est pas le cas en ce moment.
Dans l’attente de ces précisions, je vous prie d’agréer mes meilleures salutations.
Victor Teboul, résident de NDG
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Mise en ligne sur Tolerance.ca le 2 novembre 2014