En proposant à la population et aux élus de l’Assemblée nationale du Québec une charte des valeurs québécoises, le gouvernement du Parti Québécois (PQ) a fait un geste courageux qu’une majorité de Québécois francophones soutiendra.
Déjà, avant même la présentation du projet de loi, un sondage révélait qu’une charte était souhaitée par une large partie de la population québécoise.
Un sondage (1) dont les résulats ont été rendus publics révèle, contrairement aux manchettes des médias qui mettent l'accent sur une soi-disant division des Québécois, que «La mesure phare du projet de charte des valeurs, l'interdiction du port de signes religieux ostentatoires par les employés de l'État» reçoit l'appui de 58 % des francophones.
Par ailleurs, selon le même sondage, «plus de la moitié des Québécois croient aussi que le projet de charte des valeurs est nécessaire pour éviter les crises d'accommodements religieux dans le futur», alors que trois semaines plus tôt, 48 % d'entre eux disaient plutôt croire que le projet de charte allait «créer plus de chicanes». Faut-il s'étonner que 72% des anglophones et 66% des allophones désapprouvent le projet de charte ?
Cela étant dit, le parti gouvernemental ne bénéficiant pas d’une majorité parlementaire, il n’est pas sûr que les députés de l’Assemblée nationale du Québec appuieront l’initiative du PQ.
Et dans l’éventualité où le projet était adopté, le gouvernement conservateur du Canada s’est engagé à l’examiner afin de vérifier s’il est conforme à la Constitution canadienne – constitution, paradoxalement, dont le Québec n’est pas signataire, comme on le sait, – quitte à contester l’éventuelle loi devant la Cour suprême.
Que le principal parti d’opposition, le Parti libéral du Québec (PLQ) ne soutienne pas le projet de charte n’étonnera personne. Gagné à l’idéologie du multiculturalisme – idéologie ardemment défendue sur toutes les tribunes par son nouveau chef, M. Couillard – le PLQ, comme tous les partis fédéralistes qui à Ottawa ont spontanément dénoncé le projet, se présente comme le défenseur des libertés individuelles au détriment de ce que vit le Québec, alors que celui-ci tente, depuis les trente dernières années, de se doter d’un modèle de société visant à circonscrire la place que prennent les religions dans l’espace public.
Or que signifient ces symboles ? Je m’arrêterai, pour ma part, à la signification du voile et du niqab, même si, à mes yeux, tout signe religieux contient une signification et transmet un message au même titre qu’un macaron appuyant un parti politique. Et le porteur se doit de s’abstenir d’afficher ses opinions, qu’elles soient politiques ou religieuses, s’il occupe un poste représentant l’État, y compris en ce qui me concerne une personne élue au niveau municipal ou parlementaire.
Pour ce qui touche le voile ou le niqab, quiconque aujourd’hui parcourt les rues de l’ouest de Montréal croisera des femmes voilées et, de plus en plus également, des femmes portant le niqab.
Or que représente le voile dont le chef fédéral du Nouveau Parti démocratique, M. Thomas Mulcair, a minimisé la portée, lors d’un point de presse, en l’appelant un «foulard» ?
Si l’on ose dépasser le vocabulaire du politiquement correct qui prend comme prétexte la défense des libertés individuelles et que l’on réfléchit le moindrement à la signification du port du voile, on constatera qu’il est non seulement le symbole d'une séparation entre la femme et l'homme, mais qu’il contredit toutes les luttes entreprises en Occident pour les libertés.
Dans les pays musulmans où les femmes le portent soit par obligation, comme en Iran et en Arabie Saoudite, soit volontairement, comme en Égypte ou en Syrie, quelle conception se fait-on des libertés individuelles que les détracteurs du projet de charte québécoise défendent avec tant de ferveur ? Quelle conception se fait-on, dans ces pays où les femmes portent le voile - ou le niqab – , de l’homosexualité, par exemple ? Ces pays respectent-ils les droits des gais et le droit au mariage homosexuel ? Dans quelles conditions vivent les homosexuels et les lesbiennes, alors que l’homosexualité est considérée comme un acte criminel dans la plupart des pays musulmans, punissable d’emprisonnement sinon d’exécution ? Et que dire de la liberté de religion alors que, dans ces mêmes pays, celui ou celle qui renonce à la foi musulmane risque la peine de mort ?
Sait-on qu’en Angleterre, là où fleurit le multiculturalisme, que la première ministre du Québec, madame Pauline Marois, a tout à fait raison de stigmatiser comme étant la source de bien des problèmes, sait-on qu’en Grande Bretagne des personnes, qui ont été musulmanes, ont fondé un mouvement pour défendre le droit de renoncer à l’Islam, si on le désire, sans avoir à encourir des sanctions qui peuvent conduire à la peine de mort ?
J’invite nos défenseurs du multiculturalisme et des libertés individuelles à faire un tour sur le site de cette organisation (2) -indiqué au bas de cet article - afin de prendre conscience de l’ampleur du combat visant à défendre les libertés des personnes qui vivent dans des pays où les femmes portent le voile.
Ce sont toutes ces libertés bafouées qui me viennent à l’esprit chaque fois que je croise une femme voilée, que son voile soit intégral ou non.
J’ai écouté à la télévision un certain M. Del Negro vilipender le projet de charte du gouvernement québécois et qualifier de «stérile« le débat sain et démocratique qu’il déclenche alors que le groupe de pression que ce monsieur représente préfère discuter derrière des portes closes avec les élus, plutôt que d’en débattre sur la place publique.
Faut-il préciser aussi – ce que nos médias n’ont pas fait – que ce monsieur est l’époux d’une ancienne députée libérale qui déclarait au Toronto Sun, en janvier 2010, que les femmes ont le droit de porter le niqab, si elles le désirent. À l’époque, plusieurs élus canadiens s’étaient déclarés contre toute mesure gouvernementale interdisant la burqa. Oui, la burqa !
Les détracteurs du projet de charte et défenseurs des libertés individuelles ont-ils perdu tout sens de jugement en ce qui touche la signification des symboles ? Comment réagiront-ils lorsqu’un jour une femme voilée – peut-être même portant le niqab – deviendra la lectrice de nouvelles de nos chaînes nationales aux heures de grande écoute ? Sera-t-elle considérée représentative du Canada ? Dans quelle mesure, s’il s’agit d’une parlementaire pourra-t-elle représenter adéquatement les libertés que je viens d’évoquer ?
Les médias de longue anglaise
Alors que les deux grandes chaînes de télévision de langue française diffusaient, mardi 10 septembre 2013, en direct, la conférence de presse du ministre québécois responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne, M. Bernard Drainville, qui présentait le projet de charte, la chaîne anglaise de Radio-Canada, ne jugeait pas à propos de diffuser, aussi en direct, la présentation du ministre.
M. Drainville s’est pourtant livré, avant de clore sa conférence de presse, à une période de questions en anglais et a présenté les grandes lignes du projet de charte -également en anglais- pour les journalistes anglophones. Plutôt que de diffuser les explications du ministre qui répondait aux questions des journalistes, les médias de langue anglaise ont tout simplement préféré ignorer la présentation du ministre Drainville. Ils se sont ensuite tous contentés de condamner le projet aux émissions d’informations, en donnant bien sûr la parole uniquement à des adversaires du gouvernement – tous unanimes à dénoncer ce dernier. Comment peut-on espérer, avec de tels médias biaisés, que la communauté anglophone puisse être bien informée ?
Cette attitude des médias anglophones ne m'étonne plus. Ils ignorent depuis plusieurs années le Québec et ils ne s’y intéressent qu’en temps de crise, comme lors de la controverse soulevée par le code municipal d’Hérouxville ou plus récemment lors de la tragédie survenue à Mégantic. En temps normal, les chaînes de télévision de langue anglaise relèguent les informations provenant du Québec à des informations «locales» car, pour elles, tout se passe aujourd’hui à Toronto. La société québécoise leur paraît si difficile à comprendre que les chaînes anglaises semblent avoir tout simplement abandonné toute forme d’analyse ou d’explication par des commentateurs anglophones.
D’ailleurs, lors du «At Issue Panel» de l'émission The National, à la chaîne anglaise de Radio-Canada (CBC), l’émission d’information de 21 heures la plus écoutée au Canada, c’est quasiment toujours une journaliste francophone qui est invitée à commenter l’actualité québécoise. Ce qui illustre bien le malaise qu’éprouve la CBC avec le Québec, les commentateurs de langue anglaise étant peu intéressés à affronter une complexité qui leur échappe et les dérange.
De plus, le Québec ne cadre plus avec une conception multiculturelle de l’identité canadienne. C’est ce gouffre de plus en plus grand qui se creuse entre un Canada anglais, pour lequel l’identité d’origine s’est estompée au profit d’un multiculturalisme devenu synonyme de la nation canadienne, et un Québec français poursuivant sa démarche vers une société diversifiée et laïque que les réactions canadiennes-anglaises au projet de charte ont mis en évidence.
C’est à cette démarche vers une société laïque que le Canada anglais fera toujours obstruction. Les Québécois finiront-ils par tirer la conclusion qui s’impose ?
1. Sondage QMI Léger rendu public le 16 septembre 2013.
2. Council of Ex-Muslims of Britain : http://ex-muslim.org.uk/
Lire aussi : La Charte des valeurs québécoises. Les représentants de la communauté juive montent aux barricades
11 septembre 2013, mis à jour le 11 mars 2014