Le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CERJI) annonce sur son site avoir rencontré M. Bernard Drainville, ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne au sujet de son projet de charte des valeurs québécoises.
Le CERJI affirme lui avoir exprimé par la voix du président du chapitre québécois de l’organisation, Me Eric Maldoff, «la forte opposition de la communauté à la proposition la plus problématique du gouvernement visant à limiter le port de signes religieux dans les secteurs public et parapublic».
Me Maldoff aurait déclaré que la communauté juive soutient le principe de neutralité de l’État en matière religieuse, mais que «l’interdiction de signes religieux dans les secteurs public et parapublic (irait) trop loin ». Il aurait ajouté que « le débat sur cette question diviserait la population et serait contre-productif».
J'ai été très peu étonné, pour ma part, d’une telle levée de boucliers de la part de dirigeants anglophones, gagnés de longue date à l’idéologie du multiculturalisme canadien, grand responsable de l’accent démesuré mis sur les signes extérieurs des identités ethnoculturelles, comme si les symboles à eux seuls reflétaient les principes fondamentaux des religions. N’est-ce pas réduire la religion à des symboles alors qu’elle est censée représenter ce qu’il y a de plus profond chez l’être humain ?
Je trouve ironique par ailleurs que le président du chapitre local de l’organisme, qui s’est empressé de demander une rencontre à M. Drainville, soit le fondateur et l’ancien président du défunt organisme qui défendait si ardemment les intérêts des milieux anglophones, soit celui d’un autre lobby qui portait pour nom Alliance-Québec. Car Me Maldoff est aujourd’hui le président du CERJI, mieux connu sous son acronyme anglais CIJA (pour The Centre for Israel and Jewish Affairs), lobby dûment enregistré à Ottawa auprès du Commissariat au lobbying du Canada, mais dont la loi québécoise, curieusement, ne l’oblige pas de s’enregistrer auprès du Registre des lobbyistes du Québec.
L’organisme, de plus, se dit «non partisan» et défend assez bien les positions israéliennes, d’ailleurs l’amalgame entre les intérêts de la communauté juive et ceux d’Israël est clairement indiqué dans le nom même de l’organisme. Même si on connait les sentiments de solidarité existant au sein de la diaspora avec l’État d’Israël – que je partage, soit dit en passant -, n’est-on pas en droit de s’interroger sur les conflits d’intérêt potentiels qu’un tel amalgame soulève ?
Je considère en outre triste qu’encore une fois un seul point de vue monolithique émane de la communauté juive – pourtant si diverse, comme d’ailleurs se targue de l’affirmer dans la vidéo diffusée sur son site la Fédération CJA, et que les seuls points de vue qui se manifestent sur la place publique et auprès des représentants gouvernementaux avec autant de force (ou de pression, diraient d’aucuns), soient uniquement – et même exclusivement – des positions à courte vue, très populaires auprès des milieux anglophones, où la laïcité – concept français, après tout – ne constitue pas une condition du vivre-ensemble.
Alors qu’au Québec français nous avons développé une attitude de méfiance envers tout dogmatisme provenant des milieux religieux – y compris des milieux catholiques -, les anglophones, alignés sur une vision multiculturelle de l’identité, vision constamment glorifiée dans les médias canadiens de langue anglaise, considèrent quasiment tout signe visible comme une expression de l’identité canadienne. On ne peut donc pas être surpris que toute tentative visant à réduire cette visibilité dans les institutions publiques - lesquelles n’ont pas à être identifiées à quelque religion ou parti politique que ce soit-, soit à leurs yeux une atteinte à des droits.
Je me mets toutefois à espérer que de nombreux Juifs francophones – sépharades et ashkénazes – se mettront à leurs claviers et exprimeront des points de vue plus nuancés, plus au diapason de ce que pensent les Québécois francophones dont 65% , selon le dernier sondage, sont favorables à l'idée d'une telle charte (1), comme on le ferait dans n’importe quelle autre société où des citoyens et des citoyennes d’origine ou de confession juive – pratiquants ou non – osent s’affirmer de manière nuancée et à titre individuel, et non pas par la voix d’intermédiaires qui agissent unilatéralement en leur nom en tant que groupe de pression.
J’espère aussi que des Québécois de toutes origines et de toutes confessions sauront prendre leurs distances vis-à-vis des organismes officiels de leurs groupes et s’exprimeront également avec nuances et pondération en tenant compte de l’évolution de la société québécoise et de sa longue marche vers la laïcité, une valeur qui, contrairement à ce qui est véhiculé dans les médias anglophones, vise à assurer un vivre-ensemble harmonieux au-delà de nos particularités religieuses ou ethniques.
À mon humble avis, c'est parce que l'État et ses représentants ne s'identifient à aucune religion (ou idéologie) que cela constitue une garantie à ma propre liberté de pensée. N'est-ce pas cela le vrai sens des libertés individuelles et de la diversité ?
Notes
Un autre sondage dont les résulats ont été rendus publics le 16 septembre 2013, révèlent, contrairement aux manchettes des médias qui mettent l'accent sur une soi-disant division des Québécois, que «La mesure phare du projet de charte des valeurs, l'interdiction du port de signes religieux ostentatoires par les employés de l'État» reçoit l'appui de 58 % des francophones.
Par ailleurs, selon le même sondage, «plus de la moitié des Québécois croient aussi que le projet de charte des valeurs est nécessaire pour éviter les crises d'accommodements religieux dans le futur», alors que trois semaines plus tôt, 48 % d'entre eux disaient plutôt croire que le projet de charte allait «créer plus de chicanes». Faut-il s'étonner que 72% des anglophones et 66% des allophones désapprouvent le projet de charte ?
Voir aussi : Pourquoi il faut saluer le courage du gouvernement Marois
Pour consulter le communiqué du CERJI, cliquez ICI.
Site Internet de la Fédération CJA
27 août 2013. Mise à jour le 16 septembre 2013