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Fabienne Colas : «Cultiver un réflexe de métissage qui reflète notre belle société»

par
Ph.D., Université de Montréal, Directeur, Tolerance.ca®

Ancienne Miss Haïti, Fabienne Colas s'est installée au Québec il y a près de 9 ans. Madame Colas défend avec ardeur la cause de la diversité à la télévision québécoise et dans les médias. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), qui veille notamment à ce que les moyens de communication reflètent les valeurs et la diversité du pays, vient d’accorder à madame Colas des licences pour la création de deux chaînes de télévision, Diversité TV et Bon Goût TV. Ces nouveaux réseaux auront comme objectif de refléter une plus grande diversité à l'écran.

Quel diagnostic madame Colas pose-t-elle sur les médias du Québec ? Ceux-ci reflètent-ils adéquatement les nouvelles réalités plurielles ? Les jeunes d’une autre origine que canadienne-française se retrouvent-ils dans les médias de langue française québécois ?  Entretien avec une femme d’exception.

Entrevue réalisée par Victor Teboul pour Tolerance.ca Inc. 

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Victor Teboul : Madame Fabienne Colas, en tant que personnalité engagée dans le monde culturel et médiatique québécois, vous avez accompli plusieurs réalisations visant à sensibiliser les preneurs de décision à la place qu’occupent les groupes d’une autre origine que canadienne-française au sein de la société québécoise. Quelles sont, d’après vous, les étapes que nous avons franchies en ce qui touche l’acceptation de la différence et quels sont les obstacles majeurs qui restent à surmonter ?

Fabienne Colas : Il semble y avoir une prise de conscience plus grande qu’autrefois du fait qu’il existe un manque de diversité à tous les niveaux dans notre société, c’est un bon début. Au niveau de la télévision par exemple : Il y a une volonté de la part de certains télédiffuseurs à refléter un tant soit peu la diversité à l’écran. Cette volonté les pousse à multiplier les comités affectés à la diversité au sein de leurs réseaux. Aujourd’hui, nous avons fait du chemin puisque le mot diversité est sur toutes les lèvres. Reconnaître le problème est le début de la solution, dit-on ! Mais une volonté qui n’est pas soutenue par des actions concrètes ne vaut pas grand-chose.

Un des obstacles est que, pour certains, refléter la diversité à l’écran est une bonne action charitable, alors qu’au contraire, c’est aller chercher une part de marché qui va directement aux chaines américaines ; c’est un bassin de consommateurs importants et sans cesse grandissants. C’est aussi refléter la réalité démographique de notre société à l’écran. Au niveau du marché de l’emploi, c’est aussi aller chercher une expertise étrangère, des employés multilingues etc. On peut dire que les banques ont été les chefs de file dans l’embauche des minorités, elles ont compris que c’était une part de marchés important.

De façon générale, il y a de petits pas qui ont été franchis mais la route est tellement longue qu’il nous faut faire des pas de géants accélérés pour y arriver ; et il faut un effort collectif. Les gens issus des minorités doivent aussi être proactifs ; se faire voir et entendre ; soumettre des projets et frapper à toutes les portes.

De notre côté, nous avons obtenu deux licences de télévision du CRTC pour deux chaînes spécialisés, Diversité TV et Bon Goût TV, ce sera notre contribution.

Victor Teboul : Quelle est la mission de ces chaînes et quelle en sera la programmation ?

Fabienne Colas : Ces deux chaînes auront pour mandat principal la diversité devant et derrière la caméra. Diversité TV, dont le titre est temporaire, aura une programmation plus diversifiée et généraliste que Bon Goût TV, qui sera axée sur la cuisine exotique. Les deux diffuseront leurs émissions en français et seront lancées d’ici 2015.

Victor Teboul : On affirme souvent que la société québécoise est une société ouverte et tolérante. Pourtant, la télévision québécoise continue de projeter une image plus souvent monolithique que pluraliste de notre société. Comment expliquez-vous cette contradiction ?

Fabienne Colas : Il faut en effet faire une distinction. La société québécoise est d’une ouverture d’esprit exemplaire mais les grands décideurs derrière les chaines de télévision  montrent moins d’ouverture par rapport à la diversité à l’écran. Les Québécois tant à Montréal qu’en régions sont nombreux à regarder la télé américaine, à voyager à l’étranger, à faire de l’adoption internationale; beaucoup aiment bien manger mexicain, créole, italien ou chinois, danser la salsa ou la samba ou aux rythmes de la Compagnie Créole; apprendre l’espagnol, fêter la Saint-Patrick, participer au défilé de la Carifiesta, assister aux festivals multiculturels tel que le Festival International du Film Black de Montréal, le Festival du Monde Arabe. C’est de l’ouverture d’esprit !

Malheureusement, les grands réseaux semblent encore penser, en 2012, que diversifier leur programmation feraient fuir leur public traditionnel. Par ailleurs, cette peur les empêche d’aller chercher toute une autre partie grandissante de la population qui ne se voit pas dans les chaînes québécoises francophones et qui constitue une part de marché importante.

Victor Teboul : On reproche souvent aux téléromans québécois de ne pas refléter adéquatement la réalité pluraliste et multiethnique du Québec. De nombreux artistes et comédiens d’origine afro-québécoise sont cependant très présents dans les émissions de variétés et dans le monde du spectacle. Comment expliquez-vous cette absence dans les œuvres de fiction de la télévision québécoise ?

Fabienne Colas : A cette question, les responsables des dramatiques répondent que les auteurs écrivent sur ce qu’ils connaissent, sur des réalités qui leur sont connues et proches. Ça m’étonne toujours d’entendre cette réponse, car je sais qu’il ne suffit que d’ouvrir les yeux, d’aller à l’hôpital, à l’université, de prendre le métro ou d’aller dans un Cegep, une école secondaire, ou simplement de marcher dans les rues de Montréal (qui contient la moitié de la population du Québec)… pour voir le métissage dont il est question ici.

«Il faudrait que les auteurs de téléromans québécois se promènent un peu plus dans notre société pour refléter la diversité »

Si une histoire se déroule à Montréal dans un hôpital, ce n’est pas réaliste qu’il n’y ait pas aussi des médecins et des infirmières noires, latinos, arabes, asiatiques dans des rôles principaux. Il faudrait que certains auteurs se promènent un peu plus dans notre société pour écrire sur ce qui se passe vraiment afin de refléter la réalité démographique de notre société à l’écran. Sinon, on me répond aussi qu’on n’en met pas des minorités à l’écran parce qu’on ne sait pas où les trouver : Vraiment ?

Quand on a eu besoin de minorités pour la série 30 vies à Radio-Canada, on en a trouvé de très bons en plus, et la série connait un grand succès. Je crois que de la même façon, si on veut vraiment, on en trouvera pour d’autres séries et films.

Une autre raison qui explique cette absence est qu’il faut davantage d’auteurs provenant des minorités pour écrire sur les minorités. Hmmm…, j’incite les membres des minorités à soumettre leurs projets à ces réseaux, mais en même temps, il ne faut pas se cacher que souvent, les réseaux vont opter pour les projets qui ressemblent plus à ce qu’ils connaissent déjà…

Il faut leur enlever cette peur de la nouveauté et de la différence.

Et le problème persistera dans un sens ou dans l’autre tant que les auteurs blancs écriront sur les blancs et les auteurs des minorités sur les minorités. Il faut plutôt un réflexe de métissage qui reflète la réalité démographique de notre belle société de part et d’autre.

Victor Teboul : Bien que des artistes noirs soient présents dans les émissions de variétés, des professionnels québécois d’origine afro-québécoise sont peu souvent appelés à intervenir sur la place publique et à la télévision sur des sujets spécialisés ou d’intérêt général. Quelles actions faut-il entreprendre afin de combler cette lacune ? 

Fabienne Colas : En effet, les stéréotypes sont encore présents et on invite souvent un Noir pour parler uniquement de réalités noires ou de problèmes dans sa communauté ou dans son pays d’origine ; c’est presque devenu la façon de justifier leur présence à l’écran, vraiment dommage. Il faudrait également commencer à voir les Noirs comme des Néo-Québécois et les inviter, selon leurs expertises, pour parler également d’économie, de la situation politique au Québec, de notre système de santé, de l’avenir de notre société, de nos artistes, de la malbouffe, de maternité etc. et non les inviter uniquement pour parler de leurs communautés. Sinon, on continue avec la stigmatisation et les clichés qui ne nous font pas avancer en tant que société métissée.

Victor Teboul : Le Mois de l’histoire des Noirs sensibilise notre société au passé des citoyens afro-québécois. Les jeunes Noirs sont-ils  sensibles aussi à d’autres dimensions de l’histoire canadienne et québécoise au point de s’y identifier ?  Quels sont, selon vous, ces repères historiques susceptibles de les intéresser ?

«Les jeunes Noirs ne se voient pas dans les médias québécois»

Fabienne Colas : La nouvelle génération de Noirs (les jeunes nés ici) ont l’avantage d’apprendre l’histoire québécoise à l’école, de parler avec l’accent québécois (pour la plupart) et de mieux saisir les subtilités de la culture québécoise tout en baignant dans leur culture d’origine. Ils sont québécois à part entière. Toutefois, si la télévision doit être le miroir de la société, ils ne se voient pas dans ce miroir. Non seulement, ils ne se voient pas à la télévision, ils se voient encore moins au théâtre et au cinéma. Sans oublier que leur musique ne joue pas à la radio commerciale. C’est un problème.

Si ça continue, ils se sentiront plus new-yorkais ou californien que québécois parce qu’en désespoir de cause, ils consomment énormément de télévision et de films américains - donc s’identifient de plus en plus à la culture américaine qui est plus ouverte et inclusive.

Je crois que l’exemple de la télésérie 30 vies à Radio-Canada montre qu’il y a moyen de refléter les préoccupations de notre société et des jeunes de toutes origines sans nécessairement tomber dans le gros cliché.

Victor Teboul : Constatez-vous une différence dans la représentation et la reconnaissance de la diversité entre les médias anglophones et ceux de langue française ?

Fabienne Colas : Totalement ! Historiquement, les anglophones ont été ceux qui accueillaient les protestants, les juifs et autres que l’Eglise catholique rejetait à l’époque ; conséquemment, beaucoup d’immigrants. Donc, ils ont une plus longue histoire d’ouverture face à la diversité de religion et face à l’immigration. Une étude du Conseil des relations interculturelles, datée de Juin 2009, intitulée « Une représentation et un traitement équitables de la diversité ethnoculturelle dans les médias et la publicité au Québec », montrait clairement la différence  en révélant comment les chaînes anglophones reflétaient de manière beaucoup plus réaliste la diversité.

Mais aujourd’hui, en 2012, je trouve qu’on devrait avancer plus vite en tant que francophones vers cette même ouverture à l’écran. La bonne nouvelle : si on s’y met tous sérieusement, on va y arriver bien plus vite qu’on ne le croit. Ça prend avant tout, un changement de mentalité et de l’ouverture de part et d’autre.

Active dans le milieu du cinéma, madame Colas est aussi actrice, réalisatrice, productrice et présidente de sa fondation éponyme. Elle est la présidente fondatrice du Festival International du Film Black de Montréal, du Festival Haïti en Folie à Montréal et du Festival du Film Québécois en Haïti.

Site Internet de Diversité TV : www.diversite-tv.com

Site Internet de la Fondation Fabienne Colas : www.fondationfabiennecolas.org 

Entrevue réalisée par Victor Teboul pour Tolerance.ca Inc.

13 février 2012

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Victor Teboul est écrivain et le directeur fondateur de Tolerance.ca ®, le magazine en ligne sur la Tolérance, fondé en 2002 afin de promouvoir un discours critique sur la tolérance et la diversité. 

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