Tolerance.ca
Directeur / Éditeur: Victor Teboul, Ph.D.
Regard sur nous et ouverture sur le monde
Indépendant et neutre par rapport à toute orientation politique ou religieuse, Tolerance.ca® vise à promouvoir les grands principes démocratiques sur lesquels repose la tolérance.

Hadassa ou Alice au pays des Hassidim

par
Ph.D., Université de Montréal, Directeur, Tolerance.ca®

Myriam Beaudoin est une jeune romancière québécoise qui a publié Hadassa (Leméac éditeur), dont l'histoire se déroule dans une école hassidique de Montréal. Chaleureusement accueilli par une critique unanime, Hadassa nous permet de vivre une année scolaire complète en compagnie de jeunes filles ultra-orthodoxes grâce au récit d'Alice, leur professeure, une Québécoise catholique, engagée pour leur enseigner le français lors de leur dernière année du primaire.

Abonnez-vous à Tolerance.ca

Alice nous initie à la complexité de la culture juive orthodoxe au moyen d'une narration qui exprime de manière toute naturelle les pensées et les comportements de ses jeunes élèves.

Myriam Beaudoin s'est inspirée de sa propre expérience ayant enseigné le français à l'école primaire hassidique Belz, située dans l'arrondissement d'Outremont, à Montréal.

Comment réussit-on à s'introduire dans un milieu réputé fermé ? Quelles recherches doit-on effectuer pour cerner la complexité de l'orthodoxie juive et surtout pour la rendre aussi agréable de lecture, comme le fait le roman Hadassa ? Ce sont-là quelques-unes des questions que nous avons posées à Myriam Beaudoin.

Victor Teboul : Myriam Beaudoin, vous publiez en 2006, Hadassa, un roman dont l'histoire se déroule dans une école hassidique. Le milieu étant perçu comme fermé, comment fait-on pour s'y introduire et surtout pour se l'apprivoiser comme vous réussissez à le faire dans votre roman ?

Image : Martine Doyon.**

Myriam Beaudoin : Mon insertion dans le milieu hassidique a été le fruit d’un très beau hasard.  Je venais de terminer une maîtrise en création littéraire à l’Université McGill, et je regardais les petites annonces de La Presse en août 2001 lorsque je suis tombée sur une offre d’emploi qui présentait un poste d’enseignement du français dans une école privée. 24h après mon appel téléphonique, j’étais embauchée, et je commençais ma première journée d’enseignement, en robe longue, collants et cheveux en chignon.  Puisque les femmes de cette communauté ne poursuivent pas leurs études postsecondaires, elles ne peuvent pas enseigner le programme d’enseignement du Ministère de l’Éducation du Québec. Ainsi, les écoles hassidiques n’ont pas le choix d’engager des professeurs qui détiennent le diplôme en enseignement. La porte est donc ouverte aux enseignants qualifiés, comme moi, qui ont envie d’aventure…dans leur propre ville. Si l’histoire de Hadassa se déroule sur une seule année scolaire, il faut savoir qu’en réalité, j’ai enseigné à ces petites filles pendant quatre ans (dont trois ans à la classe de l’élève Hadassa).  Le rapprochement entre Alice et ses élèves, les petits secrets révélés la porte fermée, l’intimité qui est partagée dans le roman n’auraient pu, je crois, éclore en une année. Cette histoire entre les 19 juives et la goya (non-juive) résulte d’un apprivoisement, de patience, d’ouverture.

 

Victor Teboul : Le récit semble tellement véridique qu'on se surprend à se demander si ces jeunes filles existent...

Myriam Beaudoin : Ces jeunes filles existent toutes. J’ai simplement interchangé leurs prénoms et leurs noms, à l’exception de Hadassa, que j’ai gardé, pour sa beauté  et son souvenir.  Presque tout ce qui se déroule dans la classe d’Alice s’est véritablement passé, entre 2001 et 2004. L’histoire entre Jan et Déborah est toutefois le résultat d’une rêverie. Lorsque je traversais, tous les soirs, le parc Outremont et que j’observais ces femmes qui poussaient des landaus, ces femmes, magnifiques et couvertes qui souriaient et discutaient entre elles, ces femmes qui traversaient le quartier quelques mètres derrière leurs époux, j’ai voulu imaginer la vie qu’elles avaient, et surtout, les rêves qu’elles cultivaient. 

Victor Teboul : On retrouve plusieurs évocations littéraires et bibliques dans le choix des prénoms : Alice, Hadassa. Même votre propre prénom évoque celui de la soeur de Moïse dans l'Ancien Testament. Un dicton populaire dit que le hasard n'est pas juif ...Comment expliquez-vous la présence de ces prénoms ?

Myriam Beaudoin : Comme je l’ai dit, les prénoms des enfants sont tous réels, ils appartiennent tous aux enfants auxquels j’ai enseigné. Pour ce qui est de l’histoire imbriquée, qui nous raconte l’histoire d’amour entre deux personnages de fiction, Jan et Déborah, j’ai choisi Déborah Zablotski pour le son, la douceur, le rythme poétique qu’il impose. Jan Sulski, pour le miroir et la consonance polonaise qu’il renvoie au nom Zablotski… Pour ce qui est du choix d’Alice, il n’évoque pour moi nulle autre qu’Alice au pays des merveilles ! Je crois que de s’immiscer dans une école de la communauté hassidique, c’est avoir la chance de vivre –un moment- sans repère, d’ouvrir les yeux très grands, d’accueillir la différence, se nourrir d’elle.

Tous ces prénoms, le mien, les vôtres nous rappellent peut-être que nous venons tous de la même terre.  Les petites juives, comme les adolescentes à qui j’enseigne aujourd’hui (elles proviennent majoritairement d’un milieu catholique) ont toutes une unicité, et à la fois une troublante ressemblance.

Victor Teboul : L'enseignante est souvent déconcertée par la peur démesurée qu'engendrent les contes pour enfants auprès de ses élèves. Pourquoi, d'après vous, réagissent-elles ainsi au monde imaginaire ? Cette réaction serait-elle, selon vous, spécifique à leur milieu ?

Myriam Beaudoin : Certains lecteurs adolescents me font souvent la remarque que ces petites élèves de 11-12 ans réagissent comme des enfants de 7-8 ans. Il faut savoir que les petites juives ne regardent jamais la télévision, n’ont pas accès à Internet, ne connaissent pas les iPod et derniers gadgets électroniques, n’ont pas, à la maison, une bibliothèque avec les albums de Martine, les romans de Dominique Demers, des BD de Boule et Bill ! Leur imaginaire me paraît calqué, rattaché au réel : elles jouent à la maman, imaginent un voyage à Brooklyn, magasinent des perruques très cher, jouent à guérir un enfant, habillent des poupées, dessinent des synagogues et des rabbins (et non pas des châteaux et des princes charmants.) J’ai aussi l’impression que la communauté tente d’offrir aux enfants une enfance douillette, sécuritaire, calme, à l’abri (le plus possible!) des malheurs, de la violence du monde. Alors, oui, un grand méchant loup qui cogne à la porte, c’est assez traumatisant…
  
Victor Teboul : Si, pour les jeunes filles hassidiques, la liberté correspond au fait de déroger à des règles de conduite, elles ne se privent pas  pour autant de se gaver de friandises, comme le font aussi d'ailleurs les femmes adultes. Faut-il y voir une contradiction que votre roman souligne ?

Myriam Beaudoin : Je crois que le sucre fait partie de l’esprit de la fête, du shabbat également. La communauté est toujours en train de préparer, prévoir, jouir d’une célébration qui se déroule pendant un ou plusieurs jours. Je me demande si les sucreries, les croissants au chocolat, les biscuits au sucre glacé, les brioches à la cannelle, le miel placé dans certaines pièces ne sont pas simplement l’expression de la grâce et de la célébration (représentant très bien l’esprit hassidique).  

Victor Teboul : En dépit du dévouement de leur enseignante, on sent que le français demeurera toujours une langue étrangère pour ces jeunes filles hassidiques, même si elles vivent au sein de la société québécoise. Si l'on tient compte de votre expérience d'enseignante dans ce milieu, pensez-vous que les jeunes pourront développer des affinités avec la majorité francophone du Québec ?

Myriam Beaudoin : Bien que ces jeunes parlent le yiddish à la maison, l’anglais et le français comme langue seconde et tierce dans les rues et à l’école, j’ai toujours été impressionnée par leur aisance en français, aussi bien à l’écrit qu’à l’oral.  Évidemment, elles éprouvent des lacunes en syntaxe, mais leur vocabulaire est riche, coloré, pratique.   Si, un jour, vous vous adressez à une femme hassidique de Montréal, vous serez sans doute ravi de constater qu’elle vous comprendra et vous répondra en français (ce qui n’est pas le cas pour bien des gens au Québec et à Montréal).   Enfin, pour répondre à votre question, je dirais spontanément que les affinités entre la communauté hassidique et la nôtre sont possibles, voire existantes, mais qu’au-delà des rapports géographiques, politiques et économiques, il manque, pour l’instant, chez les deux entités, une soif saine de connaître l’autre pour ce qu’il est, et non pas pour ce qu’il peut rapporter.

Victor Teboul : Votre roman réussit à nous faire aimer ces jeunes filles hassidiques dont le rôle et l'avenir sont tracés d'avance alors que les sociétés occidentales mettent l'accent sur l'émancipation des femmes et le libre choix individuel.  Comment, d'après vous, nos sociétés doivent-elles composer avec des groupes dont les valeurs, telles qu'elles sont transmises par leurs écoles, ne coïncident pas toujours avec celles de la majorité ?

Myriam Beaudoin : Oui, l’avenir des jeunes filles est tracé : mère et épouse, et parfois, aussi enseignante, ou commerçante. Je crois que les lecteurs se sont attachés aux élèves d’Alice, à Déborah, parce qu’elles évoquaient avant tout la Femme, celle qui joue, celle qui rêve, celle qui souffre, celle qui sourit, celle qui donne, celle qui aime plus que tout. Celle qui bâtit. Je crois aussi que plusieurs lecteurs se sont rendu compte que Déborah Zablotski, c’était Hadassa, 10 ans plus tard. Que la rencontre (au cœur de mon roman), permettait cette remise en question, ce risque, cette aventure, et des choix, coûte que coûte. Je crois en l’être humain, à sa mutation inévitable, à son intégrité, à sa force.  Au dialogue, aux concessions.  

26 novembre 2011

Entrevue réalisée par Victor Teboul pour Tolerance.ca Inc. Aucune reproduction n’est autorisée sans l’autorisation écrite de Tolerance.ca Inc.

© Tolerance.ca Inc.



* Image : Christopher deWolf

** Myriam Beaudoin. Source : myriambeaudoin.com

*** L'école Belz. Image : Louise Labissonnière.


Réagissez à cet article !

L'envoi de votre réaction est soumis aux règlements et conditions de Tolerance.ca®.
Votre nom :
Courriel
Titre :
Message :
Analyses et Opinions
Cet article fait partie de

Entrevues réalisées par Victor Teboul
par Victor Teboul

Victor Teboul est écrivain et le directeur fondateur de Tolerance.ca ®, le magazine en ligne sur la Tolérance, fondé en 2002 afin de promouvoir un discours critique sur la tolérance et la diversité. 

Contact :  info@tolerance.ca

Pour voir l'émission de...
(Lire la suite)

Lisez les autres articles de Victor Teboul
Suivez-nous sur ...
Facebook Twitter