Un mémoire de maîtrise déposé à l’Université de Toronto a soulevé l’ire du Congrès juif canadien en Ontario. Le mémoire soutient que les Juifs exploitent une identité victimaire et bénéficient de privilèges en exploitant les atrocités commises lors de la Shoah.
L’auteure, Jenny Peto, elle-même juive, dénonce les voyages organisés dans les camps de concentration en Pologne. Selon Jenny Peto, ces voyages conduisent les Juifs à penser qu’ils sont des victimes, alors qu’ils sont en réalité des privilégiés et ne se rendent pas compte de leur propre racisme. La construction d’une identité de victime ne profiterait qu’aux organisations juives et à la politique d’apartheid d’Israël, soutient-elle.
Peto, qui a obtenu son diplôme en juin 2010, questionne le fait que des Juifs s’arrogent le droit de faire la leçon aux Noirs et aux autres minorités en matière de racisme et d’intolérance.
Selon un ancien président du Congrès juif canadien et professeur d’histoire à la même université, Irving Abella, ce mémoire aurait dû être rejeté, car il est basé sur des demi-vérités et il frôle l’antisémitisme.
La controverse a même atteint l’Assemblée législative de l’Ontario. Le ministre ontarien de l’Immigration et de la Citoyenneté a condamné mardi 7 décembre 2010 le mémoire de maîtrise ainsi que toutes les formes d’antisémitisme (sic).
Pour ma part, j’ignore si nos concitoyens ontariens et mes coreligionnaires juifs de langue anglaise connaissent les travaux d’Esther Benbassa, spécialiste française de l’histoire juive et directrice d’études à l’École Pratique des Hautes Études à la Sorbonne.
Bien que Benbassa n’accuse pas nécessairement Israël de pratiquer de l’apartheid, elle affirme néanmoins ceci dans son ouvrage sur l’identité juive (La souffrance comme identité, Fayard, 2007) que je trouve tout à fait à propos de citer :
«L'histoire des Juifs est (…) ramenée à cette ininterrompue vallée de larmes, écrit-elle. Lorsqu'on parle des Juifs, aujourd'hui encore, c'est leur souffrance qui est évoquée d'abord. Et peut-être est-ce aussi pour cette raison qu'Israël, Etat victorieux et parfois oppresseur, comme bien d'autres Etats, suscite tant de colère. Cette histoire lacrymale fabriqua à son tour la victimité juive. Même si elle n'est pas une pure production de l'imagination et que des faits l'attestent, l'histoire des Juifs ne saurait toutefois s'y réduire. Mais on n'en retient de préférence que cet aspect, hélas renforcé par ce qui advint pendant la Seconde Guerre mondiale et qui étouffa durablement la voix de ceux qui voulaient l'écrire différemment. Les travaux et les efforts de ces derniers ne touchèrent qu'une minorité de lettrés. Quant à la grande majorité, elle se fixa sur la souffrance et son corollaire, la victimité, ces deux piliers de l'identité juive contemporaine dont l'histoire remonte fort loin, comme nous l'avons vu. Souffrance et victimité ont pris pour bien des Juifs laïcisés la valeur d'un quasi-dogme. Dès lors, y toucher, les aborder même relève pour certains du sacrilège.»
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Il me semble que nous vivons au Canada dans une drôle d’ambiance de chasse aux sorcières. Il s’agit, cette fois-ci, de certains membres influents de la communauté juive d’Ontario qui s’immiscent dans le monde des idées et du sain et nécessaire débat universitaire, mais il y a à peine quelques semaines, le magazine Maclean’s s’attirait les foudres d’autres esprits bien-pensants…
Voir aussi : Le Parlement canadien émet une fatwa contre Maclean’s pour avoir osé critiquer le Québec
10 décembre 2010