Tolerance.ca
Directeur / Éditeur: Victor Teboul, Ph.D.
Regard sur nous et ouverture sur le monde
Indépendant et neutre par rapport à toute orientation politique ou religieuse, Tolerance.ca® vise à promouvoir les grands principes démocratiques sur lesquels repose la tolérance.

Christine Fréchette: «Les électeurs américains ont davantage voulu sanctionner les Démocrates, que récompenser les Républicains»

par
Collaborateur, membre de Tolerance.ca®

Christine Fréchette est coordonnatrice de la Chaire d’études politiques et économiques américaines et de la Chaire d’études du Mexique contemporain au Centre d'Études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (CÉRIUM). Elle dirige également le Forum sur l'intégration nord-américaine (FINA), une ONG qu'elle a fondée. C’est en sa qualité d’analyste de la politique américaine que nous nous sommes entretenu avec elle à ce propos. Entrevue réalisée par Aziz Enhaili pour Tolerance.ca ®.

Abonnez-vous à Tolerance.ca

Tolerance.ca: Quelles sont, selon vous, les raisons de la défaite démocrate aux élections de mi-mandat du 2 novembre dernier?

Christine Fréchette: La lenteur de la reprise économique explique une grande part de la frustration, voire de l’anxiété, exprimées pas les Américains lors des élections du 2 novembre dernier.
Malgré l’injection de centaines de milliards de dollars dans la relance économique, dans le sauvetage des banques, dans les géants du refinancement hypothécaire (Fannie Mae et Freddie Mac), tout comme dans le secteur automobile, l’économie américaine peine à retrouver son élan. Non seulement le taux de chômage continue à planer autour des 9.5%, mais l’endettement du gouvernement s’est accru de manière colossale.

L’adoption de la réforme de la santé, joyeusement démonisée par les conservateurs, a également contribué à mobiliser les adversaires d’Obama le jour du vote. La campagne de peur menée par les Républicains et le Tea Party a convaincu nombre d’Américains que cette réforme octroyait un trop grand rôle à l’état dans le système de santé, qu’elle s’avérait trop coûteuse et qu’elle empiétait sur les prérogatives des États fédérés.

Il importe de noter que les résultats électoraux ne reflètent pas un gage de confiance renouvelée à l’endroit du parti républicain. Le taux de confiance envers les deux principaux partis politiques est famélique. Les électeurs ont en fait davantage voulu sanctionner les Démocrates, que récompenser les Républicains.

Tolerance.ca: Cette défaite, aura-t-elle des conséquences sur le fonctionnement du gouvernement de Barack H. Obama et sur le rapport de forces au sein du Congrès?

Christine Fréchette: Les résultats des élections de mi-mandat donnent une solide prise aux Républicains sur la gouverne politique. Cela forcera la recherche de compromis entre les deux chambres du Congrès et la Maison Blanche.

L’élection d’une majorité de Républicains à la Chambre des Représentants, laquelle sera présidée par John Boehner à partir de janvier prochain, modifie grandement la dynamique politique. Elle donne aux représentants républicains le pouvoir de décider de l’agenda législatif, de définir quels projets de lois seront étudiés en commissions et lesquels seront soumis au vote. Cette prise de contrôle entrainera fort probablement le déclenchement de diverses commissions d’enquêtes visant à scruter l’impact et l’efficacité des actions entreprises par l’administration Obama, afin d’en déceler et d’en dénoncer les failles.

Au Sénat, le parti démocrate a maintenu sa majorité, mais celle-ci s’avère passablement réduite. Cela signifie que le passage d’un projet de loi devra bénéficier d’appuis bipartisans, si l’approche adoptée ces deux dernières années par les sénateurs républicains demeure la même. Ceux-ci ont en effet systématiquement recouru ou menacé de recourir à la technique d’obstruction parlementaire, appelée ‘filibuster’, laquelle ne peut être contrée que par un vote de 60 sénateurs sur 100. Ainsi, la détention d’une majorité de 51 votes au Sénat ne suffit-elle plus à garantir le passage d’un projet de loi. L’obtention de 60 votes est devenue la nouvelle norme en quelque sorte.

Est-ce à dire que les Républicains pourront aisément faire passer les lois qu’ils souhaitent? Non, les législateurs démocrates ont encore du pouvoir, surtout au Sénat, et le président peut opposer son veto à une loi adoptée par le Congrès. Le Congrès peut certes renverser le veto présidentiel mais, encore faut-il qu’il puisse obtenir une majorité des 2/3 dans chacune des chambres et le camp républicain, à lui seul, ne peut rallier de telles majorités. C’est pourquoi les Républicains ne pourront renverser la réforme adoptée en matière de santé. Ils pourront tenter de faire dérailler sa mise en œuvre, en s’abstenant par exemple d’octroyer le financement nécessaire à sa mise en application, mais ils ne pourront parvenir à faire voter son abrogation complète, comme plusieurs l’ont laissé entendre durant la campagne électorale.

Tolerance.ca: Pensez-vous que les Républicains voudront collaborer avec l’administration démocrate? Ou au contraire, seront-ils plus enclins à mettre des bâtons dans ses roues, en prévision de l’élection présidentielle de novembre 2012?

Christine Fréchette: Les Républicains semblent vouloir opter pour le maintien de la ligne dure plutôt que de tendre vers le dialogue et la collaboration. Le leader républicain au Sénat, Mitch McConnell, persiste d’ailleurs à dire que son premier objectif est de faire en sorte qu’Obama soit le président d’un seul mandat.

Ainsi, on peut s’attendre à ce que les Républicains cherchent d’abord et avant tout à limiter au maximum les possibilités pour le président d’obtenir des succès politiques sur la base des projets de loi qui seront adoptés au cours des deux prochaines années. Ils ne pourront pour autant forcer la paralysie complète, car cela risqueraient de frustrer non seulement l’Américain moyen, mais également les militants du Tea Party. Ces derniers s’attendent en effet à ce que les élus républicains défendent non seulement l’importance de respecter la Constitution, de réduire le rôle de l’État et de réduire le déficit, mais qu’ils passent également aux actes, cette fois-ci.

En somme, l’obtention de la majorité à la Chambre des représentants fait en sorte que les Républicains seront coresponsables de ce qui surviendra – ou ne surviendra pas – au sein du Congrès. Ils ne pourront donc plus faire systématiquement porter le blâme sur les Démocrates, sans perdre de leur crédibilité. Si la paralysie devient complète au Congrès, l’électorat pourrait fort bien décider de les sanctionner en 2012.

Tolerance.ca: Y a-t-il, selon vous, des projets de lois qui pourraient avoir l’aval des deux partis en Chambre? Si oui, lesquels?

Christine Fréchette: Soulignons tout d’abord qu’il ne sera pas essentiel pour les Républicains d’obtenir l’appui des Démocrates au sein de la Chambre des représentants, pour y assurer l’adoption d’un projet de loi. La minorité au sein de cette chambre ne peut pas bloquer la majorité, contrairement au Sénat, dont les règles diffèrent.

C’est en effet bien davantage au Sénat que cette nécessité se fera sentir, avec l’arrivée des nouveaux élus, à partir de janvier 2011.
Parmi les quelques sujets sur lesquels il pourrait y avoir entente, on peut penser, par exemple, au prolongement des réductions d’impôts pour les familles dont le revenu annuel est inférieur à 250 000$ (pour les revenus supérieurs à ce montant, il y a divergence de vues); à la nécessité d’aider les PME, lesquelles sont les plus grandes créatrices d’emplois aux États-Unis; aux mesures de renforcement des contrôles à la frontière américano-mexicaine; à l’adoption de politiques de lutte au terrorisme; à la nécessité de réduire les dépenses en matière de défense (un positionnement nouveau qui commence à émerger chez certains Républicains); tout comme au fait de réduire les dépenses gouvernementales et le déficit.

Tolerance.ca: Quelles seraient, selon vous, (s’il y a lieu) les lignes rouges au-delà desquelles le président Obama ne pourrait pas aller pour gagner l’appui des républicains?

Christine Fréchette: Pour envisager la possibilité de recueillir l’appui d’élus républicains, une mesure législative devra soit permettre de réduire les dépenses du gouvernement, de réduire le fardeau fiscal des contribuables ou des entreprises, d’aider le secteur privé à créer des emplois, de réduire l’intervention de l’État ou encore d’accroître la sécurité nationale.

On peut d’entrée de jeu considérer que les projets de loi de nature progressiste ne pourront voir le jour pour les années 2011-2012. Qu’il s’agisse d’une réforme visant à légaliser le statut des immigrants illégaux vivant en sol américain, de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, de créer un marché du carbone ou d’injecter des deniers publics dans l’économie afin d’en favoriser l’activité, de tels projets devront attendre.

De son côté, le Président Obama a indiqué qu’il se montrera intraitable sur une question, à savoir la défense de la classe moyenne, déjà suffisamment éprouvée de son point de vue. Un premier test surviendra d’ailleurs en regard de cet engagement d’ici la fin de l’année 2010, alors que les élus devront décider s’ils reconduisent ou non, en tout ou en partie, les réductions d’impôts temporaires promulguées par le Président Georges W. Bush.

Il va sans dire, la nouvelle dynamique politique impose d’importantes contraintes au Président Obama, en réduisant considérablement sa marge de manœuvre. Mais, l’exercice s’annonce également particulièrement périlleux pour les Républicains. Ceux-ci devront en effet se commettre, quant aux mesures législatives qu’ils souhaiteront voir être adoptées, tout en tentant de ne pas s’aliéner la base militante la plus mobilisée, celle du Tea Party, dont l’intransigeance et le radicalisme cadrent difficilement avec l’exercice réel du pouvoir.

Entrevue réalisée par Aziz Enhaili pour Tolerance.ca ®.

18 novembre 2010



Réagissez à cet article !

L'envoi de votre réaction est soumis aux règlements et conditions de Tolerance.ca®.
Votre nom :
Courriel
Titre :
Message :
Suivez-nous sur ...
Facebook Twitter