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Pierre Falardeau : entre aigreur et franc-parler

par
Ph.D., Université de Montréal, Directeur, Tolerance.ca®

Je n’ai pas connu Pierre Falardeau. Je regrette son départ et surtout de ne pas l’avoir connu personnellement, car j’aurais peut-être pu lui dire certaines choses. 

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J’ai admiré son franc-parler, son vocabulaire cru et direct. Je l’ai vu plusieurs fois à la télévision, comme tout le monde. D’ailleurs, je ne connais de Falardeau que les propos qu’il a exprimés dans les médias et dans ses écrits. Je connais son admiration pour Franz Fanon.

Je sais qu’il plaisait à plusieurs groupes nationalistes du Québec et en particulier à certains groupes de jeunes Québécois.

Je connais aussi quelques-uns de ses films - la série Elvis Gratton, Le temps des bouffons, Octobre. Je comprenais aussi ses frustrations face aux bureaucrates lorsqu’il lui fallait être un demandeur de subventions et, dans une certaine mesure, j’ai sympathisé avec sa cause.

J’ai toujours eu beaucoup de difficultés, toutefois, à comprendre son mépris pour ceux et celles qui ne pensaient pas comme lui et aussi sa haine de l’étranger. Je me souviendrai toujours de sa hargne, à l’émission Tout le monde en parle, à l’endroit d’un jeune Italo-canadien, qui n’avait même pas eu le temps de dire un mot, lorsque Falardeau a déclaré tout de go «je le haïs» (sic), car ce jeune était un anglophone (1).

Dans sa chronique du défunt hebdomadaire Ici, Falardeau avait aussi traité de «petit japanouille à barbiche» le généticien et environnementaliste David Suzuki 

Marc Cassivi, chroniqueur à La Presse, est le seul journaliste québécois qui ait osé, à ma connaissance, dénoncer le racisme de Falardeau. Dans une de ses chroniques, Cassivi rappelait que Suzuki, né à Vancouver, avait été interné avec sa soeur jumelle et ses parents d'origine japonaise dans un camp de prisonniers canadien après l'attaque contre Pearl Harbor.

«Sa famille y a été retenue jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis contrainte à l'exil à l'est des Rocheuses, écrivait Cassivi. David Suzuki, citoyen canadien, a été emprisonné sans motif valable par le Canada, pendant trois ans. À la fin de la guerre, sa famille a été déplacée contre son gré en Ontario. On croirait Pierre Falardeau, le cinéaste d'Octobre, sensible à pareille injustice. ajoutait Cassivi. Nenni. David Suzuki est anglophone. Le vice rédhibitoire. Il a beau avoir ouvert récemment un bureau de sa Fondation au Québec, il reste pour Pierre Falardeau un Anglais, un Étranger, «un petit japanouille» au «mépris colonialiste».

Il est regrettable que tant de journalistes qui ont eu l’occasion d’interviewer Falardeau d’innombrables fois, dans quasiment toutes les chaînes de télévision québécoises (et à la radio), n’aient jamais pris l’initiative de le confronter à sa xénophobie et à son intolérance.

Je comprends les éloges, dénués de toute nuance, exprimés lors de son décès par les nationalistes purs et durs, y compris ceux des ténors du Parti québécois. Je comprends moins l’éloge exprimé par le premier ministre -libéral- du Québec, Jean Charest.

Voici pourtant ce que Falardeau a dit dans son propre site Internet sur Claude Ryan, lors du décès, en 2004, de l’ancien chef de l’opposition à l’Assemblée nationale du Québec et plus tard ministre - libéral - de l’Éducation, au sein du gouvernement Bourassa. Le texte ci-dessous fut publié aussi dans le journal Le Québécois (volume 4, numéro 1, février-mars 2004) :

«Finalement, le seul souvenir que nous laissera Claude Ryan est celui du petit politicien, mesquin et provincial, qui dirigea le camp du NON en 1980. Celui d'un homme de main chargé de nous faire prendre notre trou (…) Désolant et minable. Claude Ryan emporte dans son cercueil sa pensée politique provincialiste et criminelle (…) Salut pourriture. »

Et qu’ont-ils dit, nos leaders politiques, à l’occasion de la mort de Falardeau ?

L’ancien premier ministre du gouvernement du Parti québécois, Bernard Landry, «lui aussi un souverainiste convaincu» nous précise un média (comme si pauvres lecteurs ignorants on ne le savait pas), a tenu à rendre hommage à celui qui était souvent au centre de controverses sur les ondes de la télévision d’État « Au delà de la perte personnelle, c’est une perte considérable pour notre nation », a affirmé Landry, en mentionnant aussi « l’œuvre cinématographique considérable » de Falardeau.

Et, il faut le lire pour le croire, Landry, l’ancien premier ministre péquiste du Québec, celui qui a fait des pieds et des mains pour se rapprocher de la communauté juive lorsqu’il était au pouvoir à Québec, d’ajouter :

« Je lui disais: Pierre, je pense à peu près comme toi sur à peu près tout, mais je ne le dis pas de la même manière », s’est souvenu Bernard Landry.

Pour la chef actuelle du Parti québécois et chef de l’opposition à l’Assemblée nationale du Québec, madame Pauline Marois, Falardeau était un «grand ambassadeur» de la cause souverainiste.

« Le fait qu’il était libre et pouvait utiliser toutes les tribunes avec son franc-parler, ça servait d’autant plus la cause », a-t-elle dit, avant d’indiquer que son parti a bien l’intention de « rendre hommage correctement » à l’homme de cinéma et de littérature décédé.

C’est à se demander si madame Marois connaît le sens du mot «ambassadeur».

Quant au premier ministre -libéral et fédéraliste- du Québec, M. Jean Charest, celui-ci, a-t-on tenu à préciser, même s’il ne partage pas les opinions politiques souverainistes du disparu, a «tout de même salué Pierre Falardeau le communicateur» lors du conseil général de son Parti à Drummondville.

« Il trouvait toujours une formule choc pour exprimer ses idées, ça faisait partie du personnage », a commenté Jean Charest, qui a principalement tenu à souligner « un cinéaste remarquable, qui avait une grande diversité dans son répertoire ».

Diversité dites-vous ? J’ai bien du mal à comprendre où se trouvait cette diversité chez Falardeau, qui n’avait qu’une seule corde à son arc : l’oppression des Québécois.

À une époque où un Québécois se paie à coups de 37 millions de dollars un voyage dans l’espace et où des Québécois «pure laine» marquent la scène internationale sur le plan artistique, littéraire et économique, sans parler de la technologie et de l’informatique, on peut se demander dans quel monde vivent ceux et celles qui pensent comme dans les années 1960 et 1970 avant la fameuse date du 15 novembre 1976, date à laquelle le Parti québécois de René Lévesque a pris le pouvoir à Québec.

Cela dit, je préfère néanmoins, encore et toujours, le franc-parler de Falardeau (malgré ses défauts que je viens de relever) à ces propos rose bonbon de nos politiciens sur la soi-disant qualité d'«ambassadeur» de l’indépendance du défunt ou sur la  prétendue «diversité» de son oeuvre.

En évoquant les propos fielleux de Falardeau, je ne peux m’empêcher de lui préférer ces indépendantistes qui ont chanté -oui, chanté- l’indépendance du Québec, que ce soit en poésie tel un Gaston Miron ou un Gérald Godin, ou en chanson telle une Pauline Julien.

Comme par hasard, Gérald Godin s’était intéressé à la communauté grecque et à ses électeurs d’origine grecque, qui lui ont bien rendu cet amour et cette confiance car ils étaient nombreux à l’appuyer : Godin a été élu député du Parti québécois dans le comté de Mercier, en 1976, en battant le premier ministre libéral sortant Robert Bourassa. Il a été réélu 3 fois de suite. Je l’ai rencontré alors qu’il était ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles et je me souviens des icônes grecques qui ornaient les murs de son bureau.

Est-ce un hasard aussi que Pauline Julien, sa compagne, ait chanté l’étranger dans une de ses compositions du même nom ? Voici ce que dit la chanson :

Quand j’étais petite fille
Dans une petite ville
Il y avait la famille, les amis, les voisins
Ceux qui étaient comme nous
Puis il y avait les autres
Les étrangers, l’étranger
C’était l’Italien, le Polonais
L’homme de la ville d’à côté
Les pauvres, les quêteux, les moins bien habillés
Et ma mère bonne comme du bon pain
Ouvrait sa porte
Rarement son coeur
C’est ainsi que j’apprenais la charité
Mais non pas la bonté
La crainte mais non pas le respect
Dépaysée, au bout du monde
Je pense à vous, je pense à vous
Demain ce sera votre tour
Que ferez-vous, que ferez-vous


On trouvera les paroles sur : http://www.projetsdedalus.net/carnets/2006/09/07/letranger/

Je pense à tant d’autres chantres de l’indépendance du Québec, à Michel Garneau aussi et à son poème paru dans le recueil Moments (2) dont voici un extrait :

comment vous dire monsieur adler
que vous êtes un bon tailleur
mon pays est votre pays
mais il y a malentendu peut-être monsieur adler
c'est au québec que nous vivons
me now i'm good canadian
je ne vous fais aucun reproche
good country rich country free country
un pays libre monsieur adler
je ne vous fais aucun reproche
ça doit être à nous de vous donner le québec
vous travaillez bien monsieur adler
vos yeux pâlissent sous les verres épais
vous avez vécu mille morts lithuaniennes
vous avez marché vers la liberté dites-vous
marché avec des millions de vrais pas
sans un mot les mots mêmes étaient ennemis
il ne fallait pas parler de peur de se plaindre
et si on se plaignait c'était fini
ça vous faisait coucher dans la neige
je comprends
canada is a good country
oui monsieur adler
bienvenue au québec
bienvenue au québec julia monsieur becker
monsieur adler madame métivier
bienvenue vous tous tranquilles solides
désespérés dans le parc
vous tous à qui il fallait l'espoir
je rêve d'une saint jean de joie pour nous accueillir ensemble

 
**

La mort de Falardeau et son discours fielleux à l’endroit des étrangers m’ont fait penser à tous ceux et à toutes celles qui ouvrent leur cœur à l’étranger et à ceux qui ne pensent pas comme eux.

C’est pour toutes ces raisons que je regrette de ne pas avoir connu Pierre Falardeau.

Note

1. Il s'agit de l'échange qu'il a eu avec Mafiaboy, également invité à la même émission. J'ai tenté (en décembre 2010) de retrouver cette séquence autant sur Youtube qu'à Radio-Canada. J'ai lu sur un des vidéos que Radio-Canada a fait supprimer une partie de l'émission sur les extraits de YouTube disponibles. S'agit-il de celle-ci  ? L'a-t-on supprimé car pouvant inciter à la haine ? Toujours est-il que la séquence n'est plus accessible. Et les archives de cette émission ne sont pas accessibles sur le site de Radio-Canada.  Dans le seul extrait disponible Falardeau dit bien, toutefois (au sujet de Mafiaboy) :«Je l'haïs (sic) moins que Stephane Dion». La haine...la haine...Peut-on construire un pays avec la haine ? V.T.   

2. Michel Garneau, Moments, Éds Danielle Laliberté, 1973. Version intégrale du même poème publié dans la revue JONATHAN, No 25, février 1985, p. 4 et 5. 

Le 1e Octobre 2009

Mis à jour 22 déc. 2010
 





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Pierre Falardeau
par Frank Guttman le 24 avril 2012

Bravo! Bravo!

Falardeau et Suzuki
par Marie-Andrée le 2 mars 2010

Pierre Falardeau n'est plus là pour vous répondre. Personnellement je voulais seulement ajouter une information qui pourrait aider à comprendre son sentiment pour Suzuki.

M. Suzuki et sa Fondation ont toujours refusé, malgré des demandes répétées de toutes parts, de s'adresser aux québécois en français. Il prétend que les francophones devraient se plier à la majorité.

Réponse de Victor Teboul

Falardeau n'est pas là pour répondre, mais ses écrits, eux, sont bien présents pour qui veut bien les lire.

Vous devriez citer vos sources pour appuyer ce que vous avancez à propos de Suzuki et de sa Fondation et ne pas vous fier à des on-dit. C'est de cette façon qu'on propage des préjugés et des rumeurs.  Et d'ailleurs, même si cela était vrai quant au refus d'utiliser le français, est-ce justifié d'insulter les origines ethniques d'un individu pour résoudre ce problème ? 

À propos de M. Falardeau
par Michel Caisse le 7 octobre 2009

 J'ai rencontré M. Falardeau une fois, il était gentil, humble, c'était à la sortie d'une salle de cinéma où on présentait Octobre. Nous ne nous connaissions pas, il voulait savoir si le film nous avait plu. 

J'ai vu ses films, je l'ai entendu parler sur les ondes, mon souvenir est mitigé. Nationaliste oui, OK, mais intolérant, raciste sur les bords, et surtout incapable de voir que l'aliénation d'un peuple vient moins souvent des colonialistes que d'une classe dirigeante de ce même peuple qui brade toute valeur culturelle pour le profit immédiat. Des gens hypocrites et menteurs on en retrouve dans tous les peuples. Au  Québec, des dirigeants aveuglés par le pouvoir ou le profit, ou les deux font plus de tort aux québécois qu'une poignée d'immigrants qui ne nous connaissent même pas et qui ne demandent pas mieux que de créer des liens. À nous de nous affirmer, debout et fiers de ce que nous sommes.

 

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Victor Teboul est écrivain et le directeur fondateur de Tolerance.ca ®, le magazine en ligne sur la Tolérance, fondé en 2002 afin de promouvoir un discours critique sur la tolérance et la diversité. 

Contact :  info@tolerance.ca

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