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Laïcité. Je me souviens de l’emprise de la religion sur nos vies

par Johanne Chayer

La tolérance envers ces symboles religieux que sont le voile, le kirpan, le turban dans les CPE, dans  nos écoles et dans nos institutions, en général, est un manque de  respect pour nos générations précédentes qui ont travaillé si fort  pour se retirer de l'emprise de la religion sur nos  vies.

Je me souviens  que, dans mon jeune âge, nous ne pouvions pas  entrer à l'église sans avoir un voile ou un chapeau  sur la tête. À cette époque, je me  souviens aussi que c'était un péché mortel de manger de la viande le vendredi.

Dans la même décennie, je me souviens que ma mère a été  chassée de l'Église parce qu'après avoir mis au monde quatre  enfants, elle ne voulait plus en avoir d'autres. 

Je me  souviens que pour cette raison, le pardon de ses  fautes lui était refusé par  l'Église à moins qu'elle ne  laisse son corps à son mari, avec ou sans plaisir, au  risque d'atteindre la douzaine.
Je me  souviens qu'elle a refusé et qu'elle a quitté l'Église comme beaucoup d'autres femmes de sa génération. 

Je me  souviens que ma mère s'est  ensuite séparée de mon père et que nous sommes devenus la cible des regards et des commentaires désobligeants de notre paroisse. 

Cependant je me souviens qu'à la suite de sa séparation, nous avons vu le collet romain sur la table de nuit. Le prêtre voulait-il tester les moyens de  contraception de l'heure ? Dans la même décennie,  je me  souviens que la cousine de ma mère a obtenu le divorce et qu'elle a reçu du même coup son excommunication de Rome.

Je me  souviens que quelques années à peine avant ma  naissance, les femmes ont obtenu le droit de vote et en même temps le droit d'être considérées comme des citoyennes à part entière dans la société.

Je me souviens que lorsque j'étais jeune, nous devions nous aussi, comme pour les religions musulmane et autres, prier sept à huit fois par jour. La messe à tous les matins, une prière avant le déjeuner, une prière en entrant en classe, une au diner sous le coup de l'Angélus, une autre avant la classe de  l'après-midi, les grâces au souper, le chapelet en famille avec le Cardinal Léger et une dernière prière avant d'aller au lit. Il y avait le mois de Marie, les Vêpres, etc. Nous avions aussi de longues périodes de jeûne avant Noël (l'Avant), avant Pâques  (le Carême). Je n'ai pas dit non plus que nous devions porter le deuil durant un an et moins selon le degré de parenté de la  personne décédée.

Je me souviens que, tour à tour, ma mère et ma belle-mère ont vu une opération urgente retardée en attendant que leur mari respectif, de qui elles étaient séparées de fait et non légalement, apposent leur signature pour autoriser leur  intervention chirurgicale. 

Devenue adulte, je me souviens que, grâce aux  pressions de la génération précédente, j'ai eu accès aux premiers  moyens de contraception qui m'ont permis  de restreindre le nombre de mes propres rejetons.

Je me  souviens aussi qu'il n'était plus un péché de manger de la viande le vendredi. Je ne sais pas ce qui est arrivé à ceux qui sont allés  en enfer. J'espère qu'on les a rapatriés.

Devenue adulte, je me souviens avoir travaillé  dans des environnements traditionnellement réservés aux hommes. Je  me souviens des frustrations de ne pas avoir été  traitée au même titre que  les hommes  dans les entreprises et surtout dans la vie en général. 

Je me  souviens qu'après avoir eu un fils, je ne voulais plus  d'autres enfants de peur que ce ne soit des filles, par solidarité et parce que le travail qui restait encore à faire pour atteindre l'égalité était énorme. Je me souviens des efforts que beaucoup de femmes ont dû déployer pour se faire reconnaître et pour obtenir des postes administratifs de haut niveau. Je me souviens du militantisme de beaucoup de femmes qui ont travaillé  d'arrache-pied pour obtenir l'équité dans notre pays comme politicienne, au sein des chambres de commerce, des syndicats, du Conseil du statut de la femme, etc.

Je me  souviens qu'il a fallu plus de cinquante ans d'efforts collectifs pour nous libérer  de l'emprise de l'Église et de la religion sur nos vies. Je me souviens  qu'il a fallu plus de soixante ans (1940 à 2006) pour obtenir  l'équité salariale et que ce n'est pas encore fini.

Mes soixante ans font que je sais que rien n'est acquis dans la vie et qu'il faut  maintenir voire redoubler nos efforts pour ne pas perdre le résultat de tous ces labeurs. Je ne suis pas raciste ; cependant, lorsque je vois d'autres ethnies, imprégnées par leur religion contrôlante, vouloir s'imposer dans notre société, j'ai peur. J'ai peur parce que ces hommes et ces femmes ne savent pas quel chemin nous avons parcouru. De plus, les jeunes Québécoises qui embrassent cette religion, qui voile les femmes, ne se souviennent pas. C'est donc  par ignorance qu'on explique leur choix.

Je suis maintenant une grand-mère de quatre merveilleuses petites filles  et j'ai peur. J'ai peur lorsque je vois une femme voilée travailler dans un CPE ou dans nos écoles ou encore lorsqu'on y laisse un enfant porter le Kirpan.

Nous nous sommes débarrassés de tous ces symboles religieux et voilà qu'ils reviennent à l'endroit même où l'éducation de notre nouvelle  génération est cruciale et à la période à laquelle on doit inculquer les principes fondamentaux de vie en  société à nos enfants.

La tolérance envers ces symboles religieux  que sont le voile, le Kirpan, le turban dans les CPE, dans  nos écoles et dans nos institutions, en général, est un manque de  respect pour les générations précédentes qui ont travaillé si fort  pour se retirer de l'emprise de la religion sur nos  vies. Vous ne vous souvenez pas !

Moi,  je me souviens et à  cet égard, je n'ai aucune tolérance et je ne veux aucun  accommodement par respect pour ma mère, ma tante et pour mes  petites filles.

Je me  souviens que la Charte des droits et libertés permet à  chacun de pratiquer la religion de son choix, mais de grâce que  cette religion demeure dans la famille. Le port du voile dans la  religion musulmane est pour nous la démonstration la plus importante de la soumission de  la femme, et c'est cela qui nous fait peur et qui nous choque parce qu'on se souvient. 

On se  souvient que ce symbole existait il y a cinquante ans et on ne veut pas revenir en arrière.

Je me  souviens surtout que lors de la Révolution tranquille, les communautés religieuses ont suivi tout naturellement l'évolution de notre société en se laïcisant. Elles ont troqué, sans qu'on le leur impose, leurs grandes robes noires et leurs voiles, dans le  cas des femmes, pour des habits civils sans pour autant renier leur foi et sans cesser de  prier. Plusieurs de ces personnes sont encore vivantes  aujourd'hui. Doit-on leur dire qu'elles ont évolué à tort et  qu'elles ont fait tous ces efforts pour tomber dans l'oubli ? Que l'on prie Jésus, Mahomet ou Bouddha m'importe peu, mais nous nous sommes battus, Québécois et Québécoises, pour que  notre société soit laïque. Nous nous sommes battues, Québécoises, pour obtenir l'égalité du droit de parole entre les hommes et les femmes autant  que pour l'égalité des chances au travail.

Souvenez-vous que si vous avez immigré au Canada et surtout au Québec, c'est pour faire partie  d'une société ouverte qui vous donne sur un plateau d'argent tous  les acquis que les générations précédentes ont obtenus, particulièrement au  chapitre des droits des femmes. Je veux croire aussi  que c'est par ignorance de nos traditions et de nos coutumes et  non par manque de respect que les femmes musulmanes veulent montrer au grand jour ce symbole de leur croyance qu'est le voile. Peut-être que notre société va trop loin avec ses libertés. Mais, le balancier doit s'arrêter au milieu et non régresser jusqu'au point de départ. Il faut se souvenir. L'intégration à une société commence par le respect de ses traditions et de ses coutumes ainsi que par le respect envers ses citoyens et citoyennes qui ont participé à  l'exercice. Peut-être que nos livres d'histoire ne se souviennent  pas ou bien qu'ils n'ont simplement pas été mis à jour. C'est donc la responsabilité du gouvernement d'appliquer notre devise  «Je me  souviens » à notre Histoire et d'intégrer à cette  Histoire les efforts de nos générations précédentes pour atteindre la société d'aujourd'hui et surtout de s'assurer que la génération montante s'en  souvienne.

C'est aussi la responsabilité des organismes  d'accueil aux immigrants de leur faire connaître cette devise  du Québec « Je me souviens » afin que ces  nouveaux arrivants ne pensent pas que nous sommes racistes simplement parce que l'on s'en souvient et qu'on ne veut pas  imposer à notre progéniture d'avoir à reprendre  les mêmes débats qu'il y a cinquante ans.

27 septembre 2013

 

 



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