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Les philosophes des Lumières : des médiateurs en matière de tolérance

Les philosophes des Lumières ont été avant tout des médiateurs en matière de tolérance. Ils ont été avant tout des diffuseurs, voire des vulgarisateurs. Ils ont eu l’immense ambition de mobiliser l’opinion publique et de changer la mentalité et les comportements.

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Au cours du dix-huitième siècle, la question de la tolérance religieuse est posée avec force par de nombreux hommes de lettres, notamment, à la suite des écrits philosophiques de Spinoza, de Bayle et de Locke. Voltaire, Montesquieu, Rousseau et Diderot, à partir de problématiques qui étaient propres à chacun d’entre eux, ont développé leur réflexion sur une notion qui est à l’origine du principe de la liberté de conscience. Les fictions, notamment romanesques, ont permis à ces auteurs d’amplifier la diffusion de la notion de tolérance.

Mais même si l’anti-fanatisme a été l’objet d’un consensus entre les écrivains philosophes des Lumières, il  faut  admettre que leur conception de la tolérance impliquait bien des divergences.  Dans son Dictionnaire philosophique, Voltaire apparaît  comme le champion le plus intrépide ; mais qu’en est-il vraiment dans le Traité sur la tolérance ? L’indifférence de Diderot à toute religion  était-elle favorable à la proclamation de la tolérance ? Dans leurs confrontations avec leurs adversaires, surtout avec Voltaire et Rousseau, les écrivains philosophes des Lumières  n’ont pas toujours fait preuve de la même exigence. Il importe de préciser, à partir des textes, ces prises de positions.

Toutefois il ne faut pas projeter sur les périodes antérieures des idéaux actuels. Il y a là un risque d’anachronisme. Les hommes de lettres des Lumières étaient en effet confrontés à des situations historiques, à des contextes culturels et idéologiques très différents des nôtres. Le discours des philosophes  sur l’idée de tolérance a connu, depuis  des siècles, plusieurs phases. Des manifestations intellectuelles d’une importance capitale marquent le  début de l’affirmation du principe. Ces manifestations constituent en fait la première acception du terme « tolérance ». Celle-ci s’autorise de la charité et de la conduite du Christ telle que la relatent les Evangiles. Mais elle implique aussi une charge négative en ce sens qu’elle est conçue comme un moindre mal et un pis aller. Avec la tolérance telle qu’elle est alors conçue, il ne s’agit encore que d’un accommodement, d’un assouplissement du pouvoir temporel.

Deux courants apparaissent toutefois au XVIe siècle. Les humanistes - Montaigne, Erasme et Rabelais - considèrent plus au moins explicitement que toute croyance n’a de valeur qu’autant qu’elle a été soumise au contrôle de la raison humaine. L’autre tendance - celle des politiques - met en cause l’intolérance en se plaçant sur le terrain du pouvoir et de son efficacité. C’est notamment le cas de Michel de L’Hospital (dont la politique a été à l’origine de l’Edit de Nantes). Ces deux courants de pensée convergèrent en ce qu’ils rendirent l’intolérance odieuse. 

L’Edit de Nantes, qui marque en un sens le triomphe du pragmatisme des politiques, ouvre une nouvelle ère en ce qu’il promulgue par la loi une sorte de cohabitation des confessions différentes, et reconnaît la qualité de sujets à ceux qui n’adhèrent pas à la religion d’Etat, sans pour autant oublier qu’il existe une vérité religieuse qui est celle de la religion officielle et dominante. L’œuvre littéraire du siècle de Louis XIV ne pose pas la question de la tolérance.

La Révocation de l’Edit de Nantes en 1685 va paradoxalement permettre de relancer le débat sur la tolérance. Avec Spinoza, Bayle et Locke, la question de la tolérance va être à nouveau posée en termes spéculatifs et pratiques. Les Lumières connaîtront ainsi plusieurs approches du problème. Cette pluralité des approches tient à la diversité des catégories sociales et culturelles concernées et la complexité des relations de l’Eglise, de ses différents courants et du pouvoir.  Intervient aussi l’évolution globale de la société française, animée par des objectifs de progrès : la société française du XVIIIe siècle s’intéresse avant tout à la tolérance dans sa dimension pratique et tend à délaisser les débats spéculatifs sur la tolérance. Les philosophes pleinement intégrés à la société où ils vivent, doivent s’adresser aux différentes catégories sociales concernées par une politique de tolérance.

Le Dictionnaire volumineux de Bayle, les ouvrages écrits en latin de Spinoza et les essais de Locke très ancrés dans le contexte particulier de l’Angleterre, n’avaient d’effet, au moins en France, que sur des élites érudites. Il s’agit de plus d’une réflexion minoritaire qui se développe hors des frontières du pays. Les rares œuvres françaises qui traitent du problème de la tolérance ne pouvaient pas être éditées en France. La tolérance des religions d’Henri Basnage de Beauval (1687) et l’Histoire des oracles de Fontenelle ont été éditées aux Pays-Bas. Le grand public français n’appréciait pas encore les idées nouvelles.

Les philosophes des Lumières ont été en fait avant tout des médiateurs en matière de tolérance. Ils ont été avant tout des diffuseurs, voire des vulgarisateurs. Ils ont eu l’immense ambition de mobiliser l’opinion publique et de changer la mentalité et les comportements.
             
Le thème de la tolérance devient en effet un leitmotiv obsédant des Lumières. On est frappé par la diversité des champs d’applications du concept de tolérance. Chaque philosophe a apporté ses matériaux à l’édifice de la tolérance. Pour chaque courant de pensée, qu’elle soit envisagée de manière pratique ou spéculative, la question de la tolérance a été ressentie de la manière la plus pressante. Chacun d’eux a excellé à populariser la notion, à la faire goûter en pratique, dans un domaine ou un autre. Montesquieu insère la tolérance dans la conception de la séparation des pouvoirs. Rousseau en fait un des principes essentiels de l’éducation, Diderot lui confère avant tout une dimension morale. Quant à Voltaire, il ne développe pas une théorie globale de la tolérance, mais par là même, il lui confère plus que les autres une portée universelle. Il synthétise tous les courants et toutes les catégories présumées favorables au principe de la tolérance, Il élargit, approfondit,  popularise la notion et s’engage finalement corps et âme dans le combat afin de valoriser la tolérance et de le rendre acceptable par la société de son temps.

Nous avons relevé les nuances particulières que la tolérance revêt chez chaque écrivain. Montesquieu et Rousseau se distinguent essentiellement des autres, car  même s’ils réclament la tolérance pour les dissidents et les minoritaires,  c’est pour ceux qui existent déjà dans le pays. La tolérance demeure de l’ordre de l’accommodement à une réalité défectueuse. Ni Montesquieu ni Rousseau n’envisage la pluralité des religions dans un même pays comme une donnée positive. Alors qu’il en est tout autrement pour Voltaire. Montesquieu et Rousseau conservent, en général, le principe selon lequel l’unité religieuse est un facteur très favorable à la puissance d’un Etat. Leur problème reste avant tout d’annuler les conséquences fâcheuses en fomentant le loyalisme politique des dissidents religieux par une attitude libérale à leur égard. On peut se demander si la conception de la tolérance chez ces deux écrivains philosophes n’est pas un prolongement de la tolérance issue des humanistes du XVIe siècle. 
 
Voltaire et Diderot ont combattu sans merci l’Eglise catholique, fondée sur des erreurs, selon eux, et foncièrement nocive depuis ses origines. Ces voix foncièrement anticléricales ne pouvaient pas être écoutées par ceux qui étaient convaincus de la vérité absolue du christianisme. Les prises de position de Voltaire et de Diderot impliquent ainsi la désignation de cibles concrètes et précises. Leur conception de la tolérance est très pratique et empirique. La dimension très répétitive de leurs prises de position les a paradoxalement fait taxer d’intolérance.

Mais, dans la mémoire des Lumières, Voltaire, défenseur de Calas, auteur du Traité sur la tolérance et de Candide, et Diderot, auteur de La religieuse, demeurent les symboles mêmes de la lutte de tout un siècle pour le triomphe de la tolérance.
   
Nos contemporains leur savent gré d’avoir su agir sur les mentalités et l’opinion publique qui était en mesure d’accueillir positivement l’édit de la tolérance de 1787. Cette appréhension qui est la nôtre d’une conquête progressive des esprits tend à gommer voire à effacer les différences et nuances qui séparent les philosophes des Lumières en matière de  tolérance. On connaît les appréciations de Kant sur les Lumières, seuil de la modernité. Il n’y a pas de doute que les débats du XVIIIe siècle sur l’antinomie de la tolérance et du fanatisme constituent l’une des origines majeures de nos appréhensions contemporaines du fait religieux et de ses incidences sur la vie sociale

Certes, les deux siècles qui viennent de s’écouler nous ont apporté la preuve qu’au nom de la raison des atrocités pouvaient être commises. Mais dans le domaine civil, la neutralité de l’Etat envers les religions s’est construite en Europe depuis le XIXe siècle et le principe de la liberté de culte semble désormais garanti. La devise républicaine «  liberté, égalité, fraternité » va de pair avec la notion de tolérance. On ne peut pas imaginer son application sans le respect du présupposé incontournable de la tolérance. 

En 1948, le principe de la tolérance a pleinement acquis droit de cité avec la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies. Il suffit de lire la déclaration de l’UNESCO sur la tolérance du 16 novembre 1995, pour constater l’influence de Voltaire et des Encyclopédistes. Cette déclaration affirme notamment que « la tolérance n’est ni complaisance ni indifférence. C’est le respect et l’appréciation de la richesse des cultures de notre monde […] la tolérance est la reconnaissance des droits universels de la personne humaine […] la tolérance peut assurer  la survie des communautés mixtes dans chaque région du globe […] la diversité des nombreuses religions, langues, cultures et caractéristiques ethniques qui existent sur notre planète ne doit pas être un prétexte au conflit, elle est au contraire un trésor qui nous enrichit tous… .» (1)  Cette  déclaration semble faire largement écho aux prises de position des philosophes des Lumières sur la tolérance.

Note

(1)  Déclaration de principes sur la tolérance, proclamée et signée le 16 novembre 1995 par les Etats membres de l’UNESCO, UNESCO, Unité Culture de la Paix (CPP).

4 octobre 2011



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