C'est avec beaucoup d'intérêt que j’ai récemment appris, grâce à Google Scholar (merci Google !), que mon roman La Lente découverte de l’étrangeté a suscité l’intérêt d’une universitaire égyptienne qui consacre deux études à la période cosmopolite ayant précédé la révolution de 1952 en Égypte, période qualifiée par l’autrice de « belle époque ».
Je suis bien entendu touché que mon roman ait retenu l’attention d’une spécialiste de la littérature, professeure, qui plus est, d’une université de mon pays natal. Je le suis d’autant plus que les deux études, signées de Aya Réda Kassem (1), s’intéressent aussi à l’œuvre de Gilbert Sinoué et de Nadia Kamel. Me voici donc en très bonne compagnie !
En tant que Québécois, je suis d’autant plus heureux d’apprendre que le français constituait la langue dominante de l’Égypte cosmopolite et plurilingue de la « belle époque » que nous vivions sous occupation britannique… jusqu’au coup d’État de 1952 ! L’autrice évoque ainsi la place qu’occupait la culture française, ce qui n’excluait pas la langue arabe, considérée, rappelle-t-elle, « comme la langue maternelle nationale ».
Ayant quitté Alexandrie assez jeune et même si nous parlions français à la maison, j’ignorais combien l’ambiance européenne enveloppait la vie culturelle de mes parents. Mes ancêtres, semble-t-il, fréquentaient le cinéma et le théâtre français et assistaient même à des spectacles d’Opéra. « Les saisons de l’opéra sont partagées alternativement entre la Comédie française et la Compagnie italienne d’Opéra. Ces troupes présentent des spectacles fabuleux qui éblouissent le public » précise l’universitaire. On comprend dès lors que l’Égypte fût considérée, jusqu’aux années 1950-1960, comme étant une « partie de l’Europe ». J’ai évoqué, pour ma part, dans ce roman et dans d’autres de mes écrits, comment cette identification avec l’Europe nous avait séparés des Égyptiens et fut déterminante lors des événements de 1956, qui causèrent notre départ d’Égypte.

Mais en lisant ces deux études, j’ai redécouvert aussi la coexistence harmonieuse qui caractérisait l’Égypte pré-nassérienne où les communautés de toutes origines, arméniennes, grecques, italiennes, ou juives possédaient leurs propres écoles, mais fréquentaient les mêmes salles de théâtre et, en été, les mêmes plages d'Alexandrie.
Je me suis souvenu comment parfois nous transformions même certains mots de la langue française, ce qui reflétait assez naturellement l’interpénétration des différentes langues que nous parlions, à tel point qu’il s’agissait d’un français « propre » à l’Égypte, écrit l’autrice. J’ajouterais que nous pouvions utiliser dans nos conversations des mots appartenant à plusieurs langues… dans une même phrase !
Les études de Mme Kassem confirment l’affection profonde que nous Arméniens, Grecs, Juifs, ou Italiens éprouvions pour la langue française, et bien sûr pour l’Égypte. Elles s’inscrivent dans le mouvement de nombreux intellectuels et universitaires égyptiens qui découvrent, depuis une vingtaine d’années, la part importante du cosmopolitisme dans le patrimoine égyptien.
Je rappelle à titre d’information que La Lente découverte de l’étrangeté a reçu un accueil chaleureux dans la presse québécoise qui lui a consacré de nombreuses recensions lors de sa parution à Montréal, en 2002. Une version en format papier est toujours disponible, de même qu’une réédition augmentée en version numérique. Depuis sa parution, le roman a attiré l’attention de nombreux universitaires, notamment aux États-Unis et en Autriche, qui lui ont consacré des études approfondies, on pourra consulter sur ce sujet Ce qu’on en dit dans des études
Note
- Spécialiste en littérature, maître-assistante à la Faculté des langues à l’Université d’Octobre, en Égypte, Mme Kassem a réalisé ses études sous la direction de Dre Younes Ebtehal, titulaire de la chaire de civilisation française à la Faculté des Lettres de l’Université du Caire. Les deux études paraissent dans la revue savante Logos :
https://logos.journals.ekb.eg/article_384857_76dbf4eb56888de63bd296ab98c4b93a.pdf
https://logos.journals.ekb.eg/article_429682_0e5162860d2f0ed5fcbf9d936f177f60.pdf
31 mai 2025