Tolerance.ca
Directeur / Éditeur: Victor Teboul, Ph.D.
Regard sur nous et ouverture sur le monde
Indépendant et neutre par rapport à toute orientation politique ou religieuse, Tolerance.ca® vise à promouvoir les grands principes démocratiques sur lesquels repose la tolérance.

Le carpe diem philosophique : le Rubayat d’Omar Khayam

par
Professeur, Faculté de droit, Université Laval, Québec, membre de Tolerance.ca®

C’est une ode, un hymne, à la vie, une célébration de vivre, de danser, de boire du vin et de courtiser ses bien-aimées. Le Rubayat (1) d’Omar Khayam (1048-1131) est magnifique, génial et imaginatif, c’est beau, c’est enrichissant. Il faut lire Omar Khayam et à nous de convaincre et d’apporter les preuves pour le faire. Ses poèmes sont pour nous l’expression d’une philosophie du carpe diem (« saisir le jour », « mettre à profit le jour présent »), la reconnaissance qu’il n’y a qu’un seul vrai plaisir, le plaisir d’exister, de goûter avec joie ce qu’apporte chaque jour vécu, d’étancher la soif de vivre dans le présent.

Abonnez-vous à Tolerance.ca

C’est l’Horace du monde perse et arabe. La poésie philosophique « carpe diem » d’Omar Khayam nous déplace littéralement vers le monde d'Horace : « Ne cherche pas à connaître, il est défendu de le savoir, quelle destinée nous ont faite les Dieux, à toi et à moi, ô Leuconoé ; et n’interroge pas les Nombres Babyloniens. Combien le mieux est de se résigner, quoi qu’il arrive ! Que Jupiter t’accorde plusieurs hivers, ou que celui-ci soit le dernier, qui heurte maintenant la mer Tyrrhénienne contre les rochers immuables, soit sage, filtre tes vins et mesure tes longues espérances à la brièveté de la vie. Pendant que nous parlons, le temps jaloux s’enfuit. Cueille le jour, et ne crois pas au lendemain. » (2) Omar Khayam aurait souscrit à la devise de vie qu’énonce Horace.

Qui était Omar Khayam : l’homme scientifique et contexte

Situons d’abord l’homme et l’époque où il vivait. Omar Khayam (Khayyâm) est né vers 1048 dans la ville de Nishapur, qui était à ce moment-là la capitale de l'Empire seldjoukide (un peuple turcique qui régnait sur la Perse). Le peuple seldjoukide s’était converti à l’islam sunnite en 985. Nishapur était la capitale de Khorassan (nord-est de l'Iran), une ville de langue perse (la langue qu’utilisait Khayam pour écrire ses poèmes), et une des villes les plus prospères, jusqu'au 13e siècle, de l'Orient musulman en raison de ses mines de turquoise et de son agriculture (fruits, coton, céréales). Omar Khayam est né dans une famille de fabricants de tentes. Par l’excellence de ses études scolaires, il a reçu dans sa jeunesse une formation scientifique et est devenu un savant en mathématique et en astronomie.

Considérés comme l'un des plus grands mathématiciens du Moyen-âge, plusieurs des livres scientifiques d’Omar Khayam sont connus :  Démonstrations de problèmes d'algèbre (1070), Commentaire sur les difficultés concernant les postulats des éléments d'Euclide (1077), Traité sur la division d'un quadrant d'un cercle (1077-1079), Traité d'algèbre (1079). Un certain nombre de ses traités sont perdus : traité sur le théorème du binôme et en extrayant la nième racine des nombres naturels, traité de la tromperie de connaître les deux quantités d'or et d'argent dans un composé fait des deux [Analyse d’Archimède] et un traité sur la musique [Analyse de la connexion entre la musique et l'arithmétique]. 

Omar Khayam se fait également remarquer en astronomie, en tant que concepteur de la réforme du calendrier persan et son remplacement par le calendrier jelaléen (ou Jalali). En tant que directeur de l'observatoire d'Ispahan, il développe avec huit scientifiques, en 1074-1075, à la demande du sultan Malik Shah, un nouveau système pour mesurer l’année. Il arrive à la conclusion que la longueur de l’année est de 365,24219858156 jours (aujourd’hui la norme est 365,242190 jours), ce qui est plus précis que le calendrier grégorien conçu en 1582.

Il fut aussi philosophe. Il a lu Platon, Aristote, Épicure, etc., et Avicenne/Ibn Sina (980-1037 apr. J.-C.). Il a écrit six articles de philosophie connus sur : l’existence [le conflit des universaux], la nécessité de la contradiction dans le monde, le déterminisme et la subsistance [le conflit entre le libre arbitre et du déterminisme], l'être et la nécessité, le traité sur la transcendance dans l'existence, la connaissance des principes universels de l'existence et abrégé concernant les phénomènes naturels.

À côté du scientifique et du philosophe se trouvent l’individu Omar Khayam, l’écrivain et le poète. Un poète qui se cachait, autant que possible, et qui dissimulait ses poèmes. Il vivait selon le précepte épicurien « vis caché » (λαθὲ βιώσας), vis sans troubles, vis éloignée de la sphère publique. Il ne faisait de la poésie qu’en cadre restreint, dans l’ombre, avec des amis et en privé. La raison ? Le milieu intolérant de l’époque, la religion islamique ne supportait pas des discours divergents et critiques et ne tolérait pas la propagation de la poésie d’Omar Khayam.

Omar Khayam devint pourtant populaire. Très populaire. Cela ne se produisit toutefois qu’à partir du 14e et 15e siècle, longtemps après sa mort. À partir de cette date, la poésie d’Omar Khayam devint un phénomène culturel et sa poésie se récita de bouche-à-bouche. Ses poèmes seront publiés et popularisés dans des anthologies de poésies de Bagdad à Dehli. Cela posera un problème face à l’authenticité de ses poèmes et de ceux qui ont copié son style et son esprit.  

À l’occident, Omar Khayam sera modestement connu, dès le Moyen-âge, par les contacts culturels perses et arabes. La vraie révolution intervient avec la traduction du Rubayat en anglais par le poète Edward FitzGerald (1809-1883) en 1859 (3). FitzGerald crée un phénomène culturel, une idolâtrie et des imitations à l’infini, son Omar Khayam devient un modèle pour faire de la poésie. En Angleterre, l’Omar Khayam de FitzGerald a exercé une influence énorme sur le romantisme poétique de la langue anglaise autant que sur la confrérie des préraphaélites (le préraphaélisme), qui justifia d’ailleurs faussement leurs hédonismes débridés en se référant, en illégitimité, aux poèmes d’Omar Khayam.

Le titre de la traduction d’Edward FitzGerald était « Rubayat » et ce titre a été repris partout dans le monde. C’est par le style et la forme, que ses poèmes sont en rubayat, à savoir en « quatrains ». Un rubayat est un poème sous la forme d'un quatrain, composé de quatre vers (quatre hémistiches). Il est écrit sous la forme d'un poème de quatre vers (de deux distiques plus deux distiques), avec un schéma de rimes (généralement) AABA ou AAAA.

Poèmes de l’autoprésentation

Pour connaître une personne, rien de mieux que de s’intéresser à la façon dont il se présente (comment il s'identifie). Omar Khayam se dévoile dans plusieurs poèmes, il se présente comme un être accueillant, comme un ami agréable et ouvert. Ce sont des poèmes pareils à des « cartes-de-visite », à des mises en scène de lui-même.

Tout d’abord, Omar Khayam se présente par son origine familiale, comme issue d'une famille de fabricants de tentes :

« Khayam! Quand la solide tente du ciel bleu // Abattra son épaisse toile sur tes yeux, // Courage! Dieu, qui aime les petits globes des verres de vin, // Boira dans son grand verre des khayams nombreux! »

« Khayam, qui cousait les tentes de l’intelligence, // Dans une forge de souffrances tomba, subitement brûla; // Des ciseaux coupèrent les attaches tentières de sa vie; // Le brocanteur de destins le mit en vente contre du vent. »

« Khayam! Ton corps à une tente je le compare! // Le maître de logis, c’est l’esprit! Il loge ailleurs! // Quand ce Maître s’en ira vers son véritable asile // La mort, qui plante les tentes, t’abattra en tel lieu, telle heure! » (4)

Omar Khayam se compare par la suite avec un être joyeux, pareil à un optimiste conjugué à un pessimiste (teinté fortement de tristesse, de nostalgie et de désespoir). Optimiste, car la vie lui plaît (lui procure de la joie et de la jouissance); pessimiste, car la vie est courte, troublée et s’accompagne par la peine et l’injustice. D’où la sagesse en voulant profiter de la vie avant que descende le rideau noir :

« Tous les plaisirs, les avoir voulus….et puis! // Tous les livres, les avoir lus….et puis? Khayam, tu vas vivre, admettons, cent ans… // Mettons, si tu veux, cent de plus….et puis? »

« Khayam, si tu as du vin, trouve toi bien, trouve-toi bien! // Près d’une jolie à joues de tulipe, si tu es assis, trouve-toi bien! // Puisque la fin des affaires du monde, c’est rien, // Dis rien à ce rien! Puisque tu vis, trouve-toi bien! »

« Va de ma part saluer Khayam! // Et dis-lui : « Tu es un sot, Khayam! » // « Quand ai-je dit que le vin est interdit? // « Pour l’intelligent c’est permis, pour le sot c’est interdit! »

« Bois du vin! Longtemps tu dormiras sous la glaise // Sans ami, sans compagnons, sans camarade, sans épouse! // Écoute la parole sincère de Khayam : // Bois du vin! Soi un coquin! fais du bien! » (5)

Il s’observe, à la fin, qu’Omar Khayam se présente en tant que personne libre, autonome et non soumis. Il souhaite être connu comme un être humain affranchi de la religion musulmane, libéré des injonctions concoctées par les docteurs de la Loi religieuse. C’est l’ennemi des censeurs, des fanatiques, des oppresseurs:

« Khayam! Pour tes pêches pourquoi t’affliger? // Dans la tristesse, grande ou petite, aucune qualité! // C’est parce qu’on a péché qu’arrive le pardon; // Si personne n’avait péché, il n’existerait pas, le pardon! »

« Ô qu’il y en a, des mosquées, des prières, des jeûnes! // Dans les maisons de vin mendie un peu de vin! // Khayam, bois du vin! ta poussière pour les fossoyeur // Sera verre, bouteille, pot de vin! » (6)

En somme, Omar Khayam se présente en épicurien. Un épicurisme propre à lui, un épicurisme ancré dans le contexte culturel qu’est le sien, un épicurisme entièrement perse (iranien). Ce qui est apprécié, c’est le bonheur procuré par la liberté.

Célébrons la vie

À tout le monde de célébrer et de fêter la vie. La vie n’a que le sens que chacun lui donne, en liberté, en autonomie et rien de plus. À chacun de profiter pleinement de la vie en se faisant plaisir, en appréciant ce que la vie apporte et ce que la vie permet de réaliser. Pour un épicurien, vivre c’est un bonheur, un bonheur « carpe diem », un bonheur à croquer la vie (comme Adam a croqué la pomme offerte par Eve) (7), à pleines dents. Le bonheur, tout individu le construit pour et par lui-même et avec des moyens qu’il se donne lui-même. Comme Omar Khayam le poétise :

« Semblable à l’eau du fleuve, au vent du désert, // Une journée encore a quitté mes jours; // Dans mes jours deux journées dont je n’ai souci jamais; // La journée passée, la journée à passer. »

« Je parle. Tu parles. Je te donne mon cœur; tu me dis : « Pouh! » // Je prends, tu prends. Tu prends mon cœur, c’est crève-cœur que je prends de toi. // Je suis. Tu es. Toi, tulipe riante! Moi, tout triste! // J’agis, Tu agis, Toi pour me faire souffrir, moi pour souffrir. On s’agite. »

« Si, aujourd’hui que tu es en possession de toi-même, // Tu ne sais rien, // Que sauras-tu demain, // Quand, mort, tu seras sorti de toi-même? »

« J’étais un épervier. Je me suis envolé du monde secret, // Me croyant digne de T’approcher. Mais tu es sur un tel sommet/ Lors, n’ayant pas trouvé d’intime à qui me confier, // J’ai dû retrouver la porte par laquelle je suis entré. » (8)

C’est bien une philosophie « carpe diem » de la vie qui s’exprime ici ! Tu vis et tu meurs, à toi de meubler ta vie avec ce que tu apprécies, avec ce qui te donne du plaisir, avec ce que tu aimes. La pomme se croque quand elle est là. C’est le « carpe diem » où le moment se saisit avant qu’il s’évanouisse, où le jour se saisit avant la tombée de la nuit. Omar Khayam ne croit pas aux lendemains qui chantent, aux miracles, aux mirages, aux affabulations, il ne croit pas à la religion musulmane (nous reviendrons). Aucun écho religieux ou métaphysique ne répond à nos cris ! Capturons l’instant, vivons !

« Dans le livre des jours quand je saisis un présage, // Ho! Je vois un homme né sage // Qui dit : « Heureux celui qui fait l’amour // « Durant toute une nuit qui vaut tout son âge! »

« Je suis un esclave rebelle : Ta clémence, où est-elle? // J’ai l’âme dans les ténèbres : la clarté de Ta pureté, où est-elle? // Si contre notre docilité Tu nous affres le Paradis, // Ce n’est qu’un marchandage : la liberté de la grâce et de Ta bonté, où sont-elles? »

« Ce que j’ai cheminé dans la poussière et le désert! Mais le destin ne fut pas sensible à mon effort; // De ceux qui cheminent sur la route des jours // Je ne vois personne qui à contre-durée retourne. »

« Les actes, mal ou bien, du genre humain, // Le bien, le mal que nous fait le destin, // Ne viennent pas du ciel, car le ciel est lui-même // Plus impuissant que nous à trouver son chemin, » (9)

L’épicurisme ici est raisonné, pensé, équilibré, mesuré. Il s’agit d’une valorisation du plaisir raisonnable, qu’évite tout excès désordonné, l’hybris où la recherche du plaisir se payant par la dégradation de l’autre ou soi-même (10). Omar Khayam plaide pour un épicurisme éclairé à l’intérieur d’une conception de vie où se valorise tout ce qu'il y a de bon, de beau, de juste. Il souscrira à la sentence d’Épicure : « Lors donc que nous disons que le plaisir est la fin, nous ne parlons pas des plaisirs de l’homme déréglé, ni de ceux qui consistent dans la jouissance, ainsi que l’écrivent des gens qui ignorent notre doctrine (...) Le plaisir dont nous parlons est celui qui consiste, pour le corps, à ne pas souffrir et, pour l’âme, à être sans trouble. » (11)

Le respect pour les bien-aimées

Plusieurs des poèmes d’Omar Khayam glorifient les femmes, les bien-aimées. S’attestent qu’il adorait les femmes et le bonheur d’être en leurs compagnies, d’écouter leurs soucis et leurs histoires, de partager avec elles la conversation et la bonne table. Omar Khayam rend hommage à toutes les femmes de ce monde. Pour lui, ce sont des « tulipes », des belles comme le sont les tulipes ! Pourquoi « tulipes » ? Parce que la Perse était (à son époque) le pays de tulipes (et l’ironie du sort, c’est à la Hollande que nous associons aujourd’hui les tulipes). Plusieurs quatrains de Khayam vénèrent le genre féminin.

« On ne compare pas assez les jolies aux tulipes! // Une belle qui se fait jolie, c’est une tulipe! // Quand j’ai bu un peu de vin, j’aime la rose; // Quand j’ai bu tout le vin que j’ai pu, j’aime la tulipe. »

« La tulipe à la rose : « Tu es belle, je suis jolie! » // La rose à la tulipe : « Tu es jolie, et tu es belle aussi! » // Le verre de vin : « Tulipe et rose, on vous réconcilie! » // Khayam : « Vin, tulipe, rose, regardez ma jolie! »

« Ne sois pas seulement belle! Sois tulipe! // C’est ce que cette nuit, pris de vin, je disais à une jolie. // La jolie en langue de jolie me dit : « Il n’y a pas de jalousie // « Entre rose et tulipe! Je suis belle et puis aussi je suis jolie! » (12)

Un monde sans femmes, c’est un monde pauvre, un monde en manque de beauté et de mélodicité ! Il faut des femmes et des hommes pour que le monde s’enchante, devienne harmonieux et porte ses fruits. Omar Khayam accorde un rôle central aux femmes dans ses poèmes, elles n’apparaissent pourtant jamais comme des « muses », plutôt comme des compagnes, comme des amantes, comme des bien-aimées. Les femmes d’Omar Khayam sont « concrètes » et les hommes vivent avec elles en paix, en harmonie, en respect. Il y a une érotisation latente dans ses poèmes où les tulipes sont figurées, jolies, belles, gracieuses, admirables et enivrantes.

Abonnez-vous à Tolerance.ca

« À celui qui aime les jolies, une jolie a dit : « Mon ami! // « Sais-tu comment tu deviens fou amoureux de la jolie que je suis? // « Ce que LUI avec SA beauté m’a transfigurée en jolie, // « Qu’IL garantit que je suis belle, SON culte c’est que je sois jolie! »

« Ma taille et le cyprès ont des formes idéales ; // Ma joue et la tulipe semblent deux rivales; // Je suis belle, mais jamais je n’ai compris // L’éternité sans origine qui e fit si sculpturale. » (13)

La beauté du monde est trahie sans la beauté de la femme. Omar Khayam met dans ses poèmes les femmes en situation d’égalité avec les hommes. Cela rappelle que dans l’école philosophique d’Épicure – le Jardin – les femmes étaient acceptées comme étudiantes et comme de dignes interlocutrices.

« Je pratique la religion du jus de la vigne » (14)

Les quatrains d’Omar Khayam font fortement l’éloge au vin, aux douceurs bachiques. Beaucoup de lecteurs de Rubayat s’aveuglent en ne voyant que cela, créant une appréciation tronquée, là où boire du vin et apprécier la consommation du vin symbolise la bonne vie. En appréciant le vin, Omar Khayam proteste autant contre l’obscurantisme islamique que contre la soûlerie (l’ivresse) sans mesure. Pour lui, le vin fait partie des plaisirs ordinaires, des joies qui rendent la bonne vie agréable, joyeuse et riche.

« Si je bois – et c’est vrai que je bois! - // Ce n’est pas pour le plaisir de me faire blâmer par tous : « Il boit! » // Ce n’est même pas pour oublier que je bois // C’est que tout m’est désespoir, sauf boire » »

« Je me suis inscrit en vassal sur le rôle du vin; // J’ai livré ma vie en rançon contre le riant esprit du vin. // Serveuse! ma gorge au goulet est unie jour et nuit! // J’ai mes lèvres sur la corolle tulipière du pot de vin! »

« Khayam, si tu as du vin, trouve-toi bien! // Près d’une jolie à joues de tulipe, si tu es assis, trouve-toi bien! // Puisque la fin des affaires du monde, c’est rien, // Dis rien à ce rien! puisque tu vis, trouve-toi bien! » (15)

L’islam a eu, hélas, une obsession obscurantiste à l’encontre du vin ! Apprécier le vin est devenu diabolique, là où cela aurait dû rester ordinaire. Omar Khayam rectifie donc les choses. Boire de l’alcool, fêter Bacchus, rien qu’un peu de joie au profit de l’humain, et surtout nulle raison pour s’emballer et interdire aux autres d’en bénéficier. La vie n’est qu’un instant, trop courte pour se priver des plaisirs qui bonifient la vie. Le vin n’est là que pour apaiser le chagrin et la tristesse dont elle nous afflige. Avec l’esprit consolé, une cruche de vin ne fait de mal à personne.  

« A l’aube vint une voix de notre maison de vin : // « Ô gaillard qui t’arsouilles, notre fou! // « Debout! Remplissons notre coup de vin // « Avant qu’on ne remplisse notre coupe de vie! »

« Un seul verre de vin, un empire, ça le vaut ! // Le bouchon sur le pot de vin, mille cœurs, ça vaut! // Le linge lavant la bouche des buveurs de vin, // En vérité, mille austères manteaux, ça les vaut! »

« Bois du vin! sinon ton nom du monde des hommes s’en ira! // Quand le vin touche le cœur, tout souci de tout côté s’en va; // Puis dénoue, boucle à boucle, la chevelure d’une jolie! // Sinon la mort, qui est chauve, te dénouera. » (16)

Le « carpe diem » d'Omar Khayam se complète de façon épicurienne avec un « memento mori » (« Aie à l'esprit qu’un jour tu mourras »), une mise en garde servant à chasser, autant que possible, l’orgueil, la démesure, le fanatisme, l’hybris, en rappelant que toute vie à son expiration.   Marc Aurèle nous le rappel : « La perfection morale consiste en ceci : à passer chaque jour comme si c’était le dernier, à éviter l’agitation, la torpeur, la dissimulation. » (17) Chez Omar Khayam, c’est une mort sans Islam, sans Sunna(h), sans rédemption. Il est loin de la peur morbide de mourir et de recevoir un châtiment après la mort. Il n’a aucune repentance à offrir !

Contre Islam et la sottise

Omar Khayam était un athéiste, un athée, un libre penseur. Il ne croyait pas à la religion islamique. Il croyait à la bonne vie sur terre et c’est tout ! Après la vie, c’est la mort et tu deviendras des cendres. Tels que le pot fabriqué à partir de la glaise de terre, à savoir les cendres des morts, un nombre impressionnant de ses quatrains se focalisent de ce fait sur les pots, les potiers, de la poterie, pour rappeler la brièveté de toute vie et le destin des restes humains.

            « Là-bas dans l’atelier du potier l’autre jour j’ai passé ; // Le potier prenait l’argile, jetait l’argile de côté // Et je vis (oui, je vis! même si le sot ne le verra jamais!) // La poussière qu’est mon grand-père dans la main du potier. » (18)

Autrement dit : Tu es poussière et poussière, tu retourneras ! La roue du temps fait son œuvre, indépendant de tout ce que l’humain rêve et imagine ! La religion musulmane, c’est des sottises pour des sots, un attrape-nigaud ! Ce qu’Omar Khayam confirme fortement concernant le Coran, la Sunna(h), l’Islam.

            « Vends le Coran, vends tous les livres saints, pour du vin! // Aurais-tu des mosquées, vends-les pour du vin! // Échangeons un royaume pour un verre de vin! // Le ciel, bol à l’envers, redressons-le en bol de vin! »

            « Ne suis pas la loi de la Sunnah! ne te soucie d’aucun commandement! // Mais ne refuse pas de communiquer cette religion que tu as : // « Ne médire de personne! n’attrister le cœur de personne! » // Si tu le fais, l’autre monde est à toi, je te l’assure. Apportez du vin! »

            « Soixante-douze vérités, voilà ce qu’ils ont! // T’aimer, toi, c’est mieux que la fragilité qu’ils ont : // Au loin Islam, religion péché! // Le but, c’est toi, pour le reste restons-là! » (19)

Tout cela ne sera que pour les sots, les nigauds, et ne conviendra pas à un être intelligent, à un être humain qui valorise la dignité humaine. Si tu peux, comme le confirme Omar Khayam « vendre le Coran », tu peux aussi le jeter à la poubelle ou encore le brûler, et nous voilà projetés dans le débat contemporain. La religion musulmane n’est simplement pas vivable pour l’individu libre selon Omar Khayam (d’où s’explique sa préférence avérée pour l’Iran/la Perse avant islamisation). Contre la religion musulmane, Omar Khayam n’a que de rire, de déraison et le regard sardonique !

L’athéisme d’Omar Khayam est avéré. L’ironie de l’histoire a pourtant ajouté sa récupération par le soufisme. Le soufisme, c’est d’abord une secte (fortement persécutée) à l’intérieur de la religion musulmane; ensuite l’expression d’une pensée musulmane « non-weaponized » (non militarisé) s’opposant au sunnisme et au chiisme. À partir du 14e siècle et jusqu’à aujourd’hui, les soufis ont utilisé (abusé) du nom d’Omar Khayam en le présentant comme un de leurs parlant « la langue des mystères », énonçant les énigmes de la vie en code (ou en symboles), et où le « vin » est supposé être un élément mystique ouvrant – à la façon du yogi indien ou le chaman sibérien – la porte à un état de conscience supérieure et illuminée. Tout cela, hélas, n’a aucun sens, ce sont des idées vides et creuses, des mots pour se perdre dans le fourvoiement et l’illusionnisme. Adhérer au soufisme, ce n’est pour Omar Khayam qu’une autre façon d’être nigaud !

Abonnez-vous à Tolerance.ca

Nunc est bibendum, nunc pede libero pulsanda tellus

Tout se résume dans la simplicité ! Les poèmes d’Omar Khayam font honneur à la vie en liberté, célèbrent les jouissances ordinaires, chantent le bonheur fait à la mesure de l’humain. Ce sont des poèmes avec un message « carpe diem » philosophique, une exhortation de vivre sa liberté, vivre sa vie en joie. Illustrons-le avec une maxime ultime de Horace, attestant « Nunc est bibendum, nunc pede libero pulsanda tellus » (20), « C'est maintenant qu'il faut boire et se déchaîner/danser ». Ce qui est vrai ! C’est maintenant qu’il faut boire, maintenant qu’il faut frapper la terre d’un pied léger, maintenant qu’il faut profiter pleinement de la vie, car quand arrive la mort, c’est trop tard. Autant qu'Horace et Omar Khayam aient aimé la vie, autant qu'il est maintenant à nous de l’embrasser vivement.

 

 

Notes`

  1.   Omar Khayam, Rubayat, traduction Armand Robin, Paris, Gallimard, coll. Nrf poésie, 1994. Cf. Omar Khayyâm, Cent un quatrains de libre pensée (Robâïât), édition bilangue, traduction Gilbert Lazard, Paris, Gallimard, coll. nrf, 2002; republié sous le titre : Omar Khayyâm, Vivre te soit bonheur! Cent un quatrains de libre pensée, traduction Gilbert Lazard, Paris, Gallimard, coll. folio sagesses, 2016.
  2.   Horace, Odes, I, 11, 8. Horace (Quintus Horatius Flaccus) a vécu de 65 av. J.-C. à 8 av. J.-C.
  3.   Edward FitzGerald, traducteur : The Rubáiyát of Omar Khayyám, the astronomer-poet of Persia, London, 1859 (multiples rééditions).                              
  4.   Omar Khayam, Rubayat, op. cit., pp 52, 14 & 53
  5.   Omar Khayam, Rubayat, op. cit., p 25, 11, 26 & 38.
  6.   Omar Khayam, Rubayat, op. cit., p 45 & 55.
  7.   Genèse 3,1-24.
  8.   Omar Khayam, Rubayat, op. cit., p 18, 34, 35, & 65.                          
  9.   Omar Khayam, Rubayat, op. cit., p 66, 74, 93 & 95.
  10.   Cf. John Stuart Mill, L’Utilitarisme (1871), Paris, Le Monde, Flammarion, 2010, p 38 : "Il vaut mieux être un être humain insatisfait [dissatisfied] qu'un porc satisfait ; il vaut mieux vaut être Socrate insatisfait qu'un imbécile satisfait."
  11.   Épicure (341 - 270 av. J.-C.), Lettre à Ménécée, traduction Hamelin, Revue de Métaphysique et de Morale (Paris), 1910, no 18, p. 438.
  12.   Omar Khayam, Rubayat, op. cit., p 32, 31 & 31.
  13.   Omar Khayam, Rubayat, op. cit., p 82 & 91
  14.   Omar Khayam, Rubayat, op. cit., p 57
  15.   Omar Khayam, Rubayat, op. cit., p 48, 48 & 11.  
  16.   Omar Khayam, Rubayat, op. cit., p 9, 56 & 55.
  17.   Marc Aurèle, Pensées pour moi-même (suivi du Manuel d’Épictète), Paris, Flammarion, coll. GF Flammarion no 16, 1992, p 112 (Livre VII : LXIX).
  18.   Omar Khayam, Rubayat, op. cit., p 64.
  19.   Omar Khayam, Rubayat, op. cit., p 50, 67 & 55.
  20.   Horace, Odes, I, 37, vers 1. Horace se rapport ici à d'Alcée de Mytilène (630 – 580 av. J.-C.) « Nyn chrê methysthēn », « Νῦν χρῆ μεθύσθην », « C'est maintenant qu'il faut s'enivrer ».

10 novembre 2023

Abonnez-vous à Tolerance.ca

 

 



* Monument d'Omar Khayyam, Ciudad Universitaria, Madrid, Wikipedia.


Réagissez à cet article !

L'envoi de votre réaction est soumis aux règlements et conditions de Tolerance.ca®.
Votre nom :
Courriel
Titre :
Message :
Analyses et Opinions
Cet article fait partie de

La Chronique de Bjarne Melkevik
par Bjarne Melkevik

Bjarne Melkevik, docteur ès droit de Paris II, professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval (Québec), est un auteur prolifique dans le domaine de la philosophie du droit, de l’épistémologie et de méthodologie juridique. Ses plus récentes publications incluent... (Lire la suite)

Lisez les autres articles de Bjarne Melkevik
Suivez-nous sur ...
Facebook Twitter