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Minorités visibles et complaisance victimaire

par
Ph.D., Université de Montréal, Directeur, Tolerance.ca®

Si vous avez été ministre ou député-e, de préférence au  niveau fédéral, et que vous soyez fédéraliste, vous avez toutes les chances d’être invité-e à commenter la politique à la populaire émission Power and Politics de la CBC, le réseau anglais de notre société d’État. Et si, en plus, vous appartenez à ce qu’on appelle aujourd’hui, une minorité visible, vous serez doublement favorisé afin de commenter le sujet du racisme et de l’exclusion. Votre appartenance rendra encore plus légitime votre point de vue.

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Ce qui explique sans doute que les invités à l’émission du vendredi 6 septembre 2019 de la CBC étaient tous les trois issus des minorités visibles. Il y était question des difficultés que connaît au Québec, en cette période pré-électorale monsieur Jagmeet Singh, le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD). Et la question qui paraissait à l’écran est : Est-ce que la race serait un enjeu dans cette élection ? Comme on le sait, le sympathique M. Singh est d’origine sikhe et il se fait un point d’honneur de porter un turban dont il change régulièrement la couleur par coquetterie. De plus, il s’efforce de parler français aux Québécois, lors de ses nombreux passages dans l’unique province majoritairement francophone du Canada.

M.Jagmeet Singh**

Il est bien entendu normal et même essentiel que notre société d’État s’interroge sur l’existence ou non du racisme au Canada tandis que les minorités visibles forment, selon les statistiques de 2016, plus de 22 % de la population, et que de nombreux candidats n’appartenant pas à la majorité blanche se présentent aux élections fédérales du 21 octobre prochain.

Mais ce qui surprend de la part des journalistes de l’émission Power and Politics et de sa dynamique animatrice Vassy Kapelos, c’est qu’on ne tienne pas compte de l’évolution de la société canadienne et québécoise en matière d’acceptation et de tolérance.

Les trois invités que l’on peut apercevoir dans l’image reproduite en tête du présent article, à droite de l'animatrice, sont madame Yolande James, ancienne ministre québécoise de l’immigration et ministre de la famille du gouvernement libéral de Jean Charest; monsieur Ujjal Dev Singh Dosanjh, qui fut premier ministre de la Colombie britannique puis député libéral à la Chambre des communes pendant sept ans et ministre de la Santé sous le gouvernement de Paul Martin; et enfin madame Olivia Chow, qui a été conseillère municipale de Toronto pendant quatorze ans et députée fédérale du NPD de 2006 à 2014.

Sommes-nous donc racistes ? Connait-on une autre société occidentale qui a accordé des postes aussi prestigieux à des membres de minorités visibles ?

Au lieu de souligner les positions importantes que les trois invités de l’émission ont occupées dans une société encore majoritairement blanche, on a préféré mettre l’accent sur le racisme existant au sein de la société et madame Yolande James, pourtant oserait-on croire bien au fait des réalités québécoises, de renchérir que le premier ministre du Québec nie l’existence du racisme systémique. 

Tout en rappelant que des formes de racisme continuent d’exister n’aurait-il pas été aussi pertinent de signaler l’évolution des mentalités de la population blanche en matière de tolérance et d’ouverture ? En omettant de signaler une réalité pourtant criante informe-t-on adéquatement les minorités visibles ? Les encourage-t-on à sortir du cadre complaisant de la victimisation ?

De plus, alors que la société d’État se targue d’être inclusive et de promouvoir la diversité, comment expliquer qu’un invité blanc ne fût pas invité à participer à ce panel?

Mais le cœur du sujet, on l’aura deviné, ce sont les difficultés que connaît monsieur Singh au Québec. Ce n’était pas la compétence du chef du NPD qui préoccupait madame Kapelos, l’animatrice de Power and Politics, ni le fait qu’il porte un symbole religieux alors qu’on vient au Québec de débattre de cette question et d’adopter une loi sur la laïcité qui fait consensus auprès de la majorité francophone. Non, la véritable question concernait la couleur de sa peau !

N’est-ce pas incroyable, semblait-on se demander, que ces Québécois - ces empêcheurs de tourner en rond du Canada - rendent la vie si dure à ce pauvre candidat sikh qui se plie en quatre et parle même français pour les séduire ?

On se serait attendu que madame Yolande James, en tant qu’ancienne ministre du gouvernement québécois, fasse entendre un autre son de cloche aux millions de téléspectateurs anglophones qui écoutent cette émission et qu’elle remette quelque peu les pendules à l’heure. Elle aurait pu, par exemple, leur expliquer que ce n’est pas la couleur de peau de monsieur Singh qui dérange. Car, si cela était le cas, les animateurs, les chanteurs et les musiciens noirs québécois ne seraient pas aussi présents qu’ils le sont sur les écrans de nos télévisions francophones. Qu’un auteur d’origine haïtienne occupe aujourd’hui, en tant que Québécois, un siège à l’Académie française, du fait de sa notoriété acquise au Québec et grâce à l’appui enthousiaste du milieu littéraire québécois, cela fait-il du Québec une société raciste et xénophobe ?  

Madame Yolande James aurait pu aussi rappeler aux autres invités et au public anglo-canadien que non seulement des Québécois lui ont accordé leur confiance en l’élisant à l’Assemble nationale du Québec, mais que plusieurs musulmans, dont trois musulmanes, ont déjà été élus au parlement québécois et que deux d’entre elles occupent actuellement des postes importants au sein de leur formation. De plus, comme elle le sait, deux membres influents du présent gouvernement québécois sont issus de minorités visibles.

Enfin, compte tenu d’un débat serein et nécessaire que nous avons tenu sur la question des signes religieux et d’une loi sur la laïcité qui a été adoptée, cela aurait-il été difficile, pour madame James, d’expliquer, sans nécessairement endosser la position soutenue par la majorité francophone, qu’au Québec, on éprouve des réserves lorsqu’un représentant d’un parti politique sollicite un mandat en affichant ostensiblement ses convictions religieuses ?

Si la télévision du réseau anglais de Radio-Canada s’interroge à juste titre sur l’existence du racisme et de l’exclusion, ne devrait-elle pas aussi se pencher sur l’évolution des mentalités et ainsi contribuer à libérer les minorités d’une mentalité victimaire qui les caractérise à tort ?  

Animée par Mme Vassy Kapelos, Power and Politics est une émission d’affaires publiques, diffusée tous les jours de la semaine de 17 à 19h, sur le réseau de la CBC : https://www.cbc.ca/news/politics/powerandpolitics

8 septembre 2019



** Image : Wikipedia


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Victor Teboul est écrivain et le directeur fondateur de Tolerance.ca ®, le magazine en ligne sur la Tolérance, fondé en 2002 afin de promouvoir un discours critique sur la tolérance et la diversité. 

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