Étrange couverture médiatique que celle de l’assassinat du jeune homme de 17 ans, dont le corps a été trouvé lundi 12 novembre, dans un boisé de l’Île-des-Soeurs. Les informations diffusées au compte-gouttes par nos médias rendent cette tragédie d’autant plus mystérieuse. On comprend que l’identité des assassins présumés et de celle de la victime ne puissent être dévoilées puisqu’ils sont mineurs. Sauf que la cérémonie religieuse commémorant le défunt, largement couverte par la télévision et les journaux, le vendredi 16 novembre 2018, nous apprend que la victime était d’origine marocaine et de confession musulmane.

Étrangement, bien que tous les médias aient couvert cet assassinat, seule La Presse a jugé bon de préciser, et ce très brièvement, que le jeune homme «aurait commencé à vendre de la marijuana» dans les semaines précédant le meurtre et qu’il aurait été victime d'un «traquenard qui devait se terminer par un vol d'argent et de drogue, mais qui a mal tourné». Le quotidien n’ajoute pas toutefois que la vente légale du cannabis étant interdite aux mineurs, la victime commettait un acte criminel.
Les motifs du meurtre n'ont pas été davantage élucidés par Benoit Dutrisac, dans son émission du 14 novembre 2018, à la radio Qub, au cours de laquelle il interviewait le reponsable du centre islamique Al-Jazira de l'Île-des-Soeurs.
La Presse a jugé même opportun de rapporter que les proches de la famille éprouvée ne tarissaient pas d’éloges pour la victime. Tous les proches consultés par La Presse n'avaient que de bons mots à propos de l'adolescent et de sa famille, nous dit-on. « C'était le soleil de la maison, il veillait sur sa mère. Elle n'a jamais eu de problème avec lui. C'était un bon garçon. » selon les propos d’une amie de la famille rapportés par le quotidien.
Un «bon garçon» donc, mais qui s’adonnait à une activité criminelle.
Bien que le rassemblement de soutien à la famille du défunt, qui eut lieu mercredi 14 novembre 2018, soit tout à fait approprié et qu’il doive susciter notre admiration que des citoyens manifestent de la sympathie aux proches de la victime, certaines questions néanmoins se posent. On comprend, bien entendu, la douleur de la mère endeuillée. « C'est une dame extraordinaire, d'une bonté rare », de dire le responsable du centre islamique, M. Bendjennet, au sujet de la mère du jeune homme assassiné, qui est employée par une garderie. «C'est une éducatrice exceptionnelle qui a pris soin de mes enfants », a-t-il ajouté. C'est d'ailleurs pourquoi il a spontanément eu l'idée d’organiser un mouvement de solidarité, de préciser le journaliste de La Presse.
Jusqu’ici on ne peut qu’être admiratif devant l’élan de solidarité et de compassion sincère, manifesté par tous les concitoyens à l’égard d’une mère qui a perdu son fils.
Mais cette manifestation publique inusitée de compassion ne manque pas d’intriguer.
« On est tous terrifiés, abasourdis et choqués. » Il n'y avait plus une seule place de libre dans la salle principale du centre communautaire Elgar à L'Île-des-Soeurs. Réunis par centaines, des proches, amis et concitoyens s'étaient entassés pour apporter un peu de réconfort à la famille de l'adolescent de 17 ans, nous apprend La Presse.
Présence inhabituelle et fort surprenante des élus
De plus, s'agissant d’une transaction, illégale on en convient mais somme toute assez banale de stupéfiants qui a eu une fin tragique, n'est-ce pas inhabituelle que les élus – le maire et les deux députés provincial et fédéral de l’arrondissement de Verdun - ressentent le besoin d'être présents lors de la veillée qui eut lieu au centre Elgar ?
Le maire de Verdun, Jean-François Parenteau, dont le fils côtoyait à l’école l’adolescent tué, a imploré l’assemblée de ne pas se laisser envahir par la colère et le sentiment de vengeance. « Il faut répondre par l’amour », aurait-il lancé. « La seule chose qu’on peut faire, c’est d’être présent, rempli d’amour, rempli de compassion».
Le député fédéral Marc Miller, s’est, quant à lui, dit « rempli de rage », mais a rappelé lui aussi «tout l’amour» qui entourait la famille en cette soirée.
« C’est notre devoir ultime de vous garder en sécurité, et nous avons failli à ce devoir», aurait-il déclaré.
Et il a dû même présenter «ses excuses personnelles» à la famille. «Sachez que nous allons réfléchir aux causes de ce drame », a-t-il conclu. Réflechir sur un vol manqué de stupéfiants ? Quels sont les dangers encourus pour qu'on invoque la sécurité ?
Toutes ces questions et cette effusion de compassion me laissent perplexe : je ne me souviens pas que nos médias nous aient rapporté de telles épanchements pour d’autres jeunes assassinés ou qu'on ait soulevé des questions de «sécurité», suite à un vol ou un meurtre.
D'ailleurs, une autre rixe entre adolescents a eu lieu en octobre 2016 dans le même secteur de l’Île-des-Sœurs et l’un des ados fut également poignardé à mort. On se souviendra que l’accusé, dont on ne connaît pas l’origine ethnique, fut acquitté. Les médias toutefois n’avaient pas rapporté qu’une manifestation de soutien de la même ampleur avait eu lieu pour consoler les parents de la victime.
Que le meurtre du jeune homme commis en 2016 n’ait pas suscité autant de réactions que celui du jeune musulman demeure un mystère.
La couverture médiatique au compte-gouttes aurait-elle comme objectif de minimiser des tensions interethniques existant dans ce secteur ? Craint-on de voir surgir une certaine islamophobie ?
Par ailleurs, comment expliquer que ni le responsable du centre islamique Al-Jazira, qui a pris la parole lors du rassemblement de soutien, ni les élus présents à la manifestation de solidarité avec la mère endeuillée n’aient souligné le fait que la vente illégale de stupéfiants est un acte criminel ?
La couverture complaisante et incomplète de cette tragédie ne fait que donner lieu à toutes sortes de conjectures : l’effusion disproportionnée de sympathie est-elle une conséquence de la tragédie survenue à la mosquée de Québec, il y a bientôt deux ans ? Existe-t-il une tension interethnique à l’Île-des-Sœurs que les médias n'osent pas couvrir ? La communauté musulmane et les jeunes musulmans de l’Île-des-Sœurs sont-ils victimes de propos haineux qui expliqueraient ces marques inusitées de sympathie ? En «implorant l’assemblée de ne pas se laisser envahir par la colère», que craint-on ? Que les jeunes musulmans versent dans la violence et posent des actes de vengeance?
Force est de constater qu’en usant d'une extrême prudence devant des tensions réelles, supposées ou même refoulées, qui existeraient dans notre société, nos médias contribuent à masquer des réalités plutôt qu’à nous informer sur ces mêmes réalités. Ce faisant, ils ne font qu’alimenter des suspicions plutôt qu’à contribuer à élucider des drames qui font aussi partie de notre quotidien.
Pour consulter l'article de La Presse, cliquez ICI.
18 novembre 2018
N.B. Une correction a été apportée au texte. L'autre meurtre d'un adolescent qui avait eu lieu dans le même secteur était survenu en octobre 2016 et non en mai 2018, comme précedemment indiqué.