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Mme Ruba Ghazal et l’Holocauste. La cause palestinienne est implacablement juste, mais est-il juste d’établir un parallèle avec l’Holocauste ?

par
Maîtrise en histoire, UQAM

Les propos récents de Mme Ruba Ghazal, députée de Québec solidaire, m’ont aussi mis mal à l’aise. Dans sa déclaration prononcée récemment à l’Assemblée nationale du Québec, Mme Ghazal plaidait pour que la création de l’État d’Israël, vécue comme une véritable catastrophe par le peuple palestinien (Naqba), soit aussi reconnue au même titre que l’Holocauste et le génocide arménien.

Il serait injuste de minimiser la souffrance palestinienne. Si la création d’Israël était une nécessité pour les Juifs, il n’en demeure pas moins qu’elle fut à l’origine d’une injustice pour les Palestiniens.

Il faut néanmoins souligner que trop nombreux sont les intellectuels palestiniens (en diaspora surtout), qui insistent pour établir un parallèle moral (pas forcément une équivalence) entre la Nakba et la Shoah. Cette démarche, certes agaçante, n’est pas malveillante, mais elle demeure injuste.

De la même manière qu’il n’est pas légitime d’assimiler un noir à un esclavagiste (peu importe ce qu’il aurait à se reprocher), il n’est pas légitime d’utiliser la Shoah comme une arme contre Israël ou les Juifs. Le répertoire de comparaisons possibles est suffisamment vaste pour que l’on s’abstienne de retourner les drames qu’ont vécus les Juifs contre eux-mêmes. 

Le grand intellectuel palestinien, Edward Said espérait qu’en reconnaissant la Shoah (à une époque où sa négation était la règle dans le monde arabe), il gagnerait le cœur des Juifs, tout en les sensibilisant à la souffrance palestinienne (en prenant bien soin de ne pas établir de similitude entre les deux malheurs).

Or, ses émules ont beaucoup moins de talent que lui. Ils s’imaginent que le simple fait de reconnaitre la Shoah leur donne un blanc-seing pour franchir toutes les limites. L’une de mes anciennes professeures n’y va pas par quatre chemins. Elle considère que la Shoah sert d’obstacle qui empêche de désigner les Palestiniens comme les victimes absolues. Elle prescrit donc de « démanteler l’emprise morale de ce que j’appellerai le principe Shoah, principe de l’horreur, et qui est intouchable » afin de ne plus avoir peur de désigner Israël comme un « État génocidaire ». Sari Nusseibeh, l’un des trop rares intellectuels palestiniens authentiquement libéraux, s’est d’ailleurs plaint de ce genre de pratiques puériles.

La cause palestinienne est implacablement juste

Je ne cherche bien sûr pas à légitimer l’occupation israélienne. On dira ce qu’on voudra, du point de vue des droits universels, la cause palestinienne est implacablement juste. Or, les Palestiniens (en particulier leurs intellectuels en diaspora) font preuve d’autant d’immaturité que les Israéliens. Il n’y a que les intellectuels israéliens (qui sont de moins en moins en phase avec la « rue » israélienne, qui a tant viré à droite ces deux dernières décennies), qui parviennent à sortir de la logique à somme nulle, en considérant que la reconnaissance de la légitimité de la cause palestinienne n’invalide pas forcément la légitimité de leur propre point de vue.

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La cause palestinienne est suffisamment juste. Pourquoi alors les intellectuels palestiniens réclament-ils absolument le « monopole de la morale légitime », pour mal paraphraser Max Weber (qui définissait l’État comme l’instance du monopole de la violence légitime) ? En quoi le fait de reconnaitre que le point de vue israélien contient, ne serait-ce qu’un soupçon de légitimité, met-il en danger la justesse du point de vue palestinien ? Rares sont les conflits dans lesquels une seule des deux parties a raison à 100 %.

Le besoin de l’intelligentsia palestinienne d’établir un parallèle entre la Nakba et la Shoah découle largement de ce manque de pluralisme de sa part. S’il est vrai que la majorité des Israéliens peinent à faire face aux pages sombres de leur histoire, leurs élites intellectuelles parviennent à penser contre elles-mêmes, ce qui n’est pas le cas du monde intellectuel palestinien, qui est entièrement mobilisé au service de la cause. Le regard autocritique que les intellectuels israéliens posaient sur leur propre société (avant même la création du pays) n’a pourtant pas affaibli Israël, bien au contraire. Elle a, au contraire, permis de moduler la vague d’irrationalité qui balaye le pays, ce qui l’a renforcé au final.

L’intelligentsia occidentale projette sa culpabilité postcoloniale sur Israël

Je réserverais toutefois ma principale critique non pas pour Ruba Ghazal, mais à l’intelligentsia occidentale, qui projette sa culpabilité postcoloniale sur Israël, au point d’en devenir hystérique. On peut reprocher aux Palestiniens d’être maladroits dans leur manière de canaliser leur colère, mais cette dernière demeure compréhensible. On ne peut pas en dire autant des élites occidentales qui refusent obstinément de concevoir le conflit israélo-palestinien comme un affrontement qui, à la base, oppose deux légitimités. Plutôt que de soutenir le camp de la paix dans les deux sociétés qui ne cesse de rétrécir, elles ajoutent de l’huile sur le feu en se faisant plus palestiniennes que les Palestiniens eux-mêmes (il va sans dire qu’elles trouvent elles aussi pertinent de nazifier Israël).

Cela n’est pas surprenant. Après tout, à l’époque de la Guerre d’Algérie, les libéraux autant français qu’algériens étaient eux aussi inaudibles. Heureusement, à rebours, l’histoire leur a donné raison. J’ai bon espoir qu’un jour, lorsque ce conflit prendra fin (ou que son intensité baissera), et que sa charge émotionnelle se tarira, le bon sens l’emportera sur la passion démagogue. Les « libéraux » de part et d’autre connaitront alors une victoire à titre posthume ! 

Je conclurai en répétant une vieille parabole d’un fameux historien marxiste, Isaac Deutscher (qui, même si son cœur penchait du côté des Palestiniens, refusait de sombrer dans la caricature anti-israélienne). Cette métaphore enrage les extrémistes de part et d’autre, car elle met la lumière sur le fait que le conflit israélo-palestinien est un affrontement entre deux légitimités, et qu’il est vain d’accabler l’une ou l’autre des parties, du moins, pour ce qui est des origines du conflit :

Un homme a dû sauter du dernier étage d’un immeuble en feu dans lequel de nombreux membres de sa famille avaient déjà péri. Il réussit certes à sauver sa peau, mais il blessa du même coup un passant, et lui brisa les jambes et les bras. L’homme qui a sauté n’avait pas d’autre choix. Mais pour l’homme aux membres cassés, il est la cause de son malheur. Si tous deux se comportaient de manière rationnelle, ils ne deviendraient pas ennemis. Le rescapé de l’édifice en flammes, après avoir récupéré, aurait essayé d’aider et de consoler son prochain. Ce dernier aurait peut-être réalisé qu’il était la victime de circonstances sur lesquelles aucun d’entre eux n’avait de prise.

8 mai 2023

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* Image Wikipedia - I Makaristos

** Image : edwardsaid.org


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Bohbot, Bernard
par Bernard Bohbot

Bernard Bohbot est étudiant au doctorat en histoire à l’UQAM. Son sujet de thèse : Phénoménologie de l’esprit juif en Mai 68 porte sur la façon dont la les Juifs qui ont participé aux évènements de Mai 68 furent influencés par leur... (Lire la suite)

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