Quelles sont les difficultés auxquelles doivent faire face les musulmans d’Occident ? Compte tenu de l’importance accordée dans les sociétés démocratiques à la remise en question des dogmes religieux, comment les musulmans parviennent-ils à concilier spiritualité et sens critique ? Comment concilie-t-on la pratique de la religion musulmane avec la laïcité?
Une certaine islamophobie, due à une méconnaissance, constitue l’obstacle majeur que doivent affronter aujourd’hui les musulmans en Occident, selon l’imam Omar Koné. Ils doivent faire face à des préjugés et, pour être acceptés, ils doivent prouver leur « innocence », là où d’autres sont acceptés à bras ouverts. Cheikh Omar Koné dirige, depuis 1998, le Centre Soufi de Montréal.

Quelles sont les difficultés auxquelles doivent faire face les musulmans d’Occident ? Compte tenu de l’importance accordée dans les sociétés démocratiques à la remise en question des dogmes religieux, comment les musulmans parviennent-ils à concilier spiritualité et sens critique ? Comment concilie-t-on la pratique de la religion musulmane avec la laïcité ? Ce sont là certaines des questions que nous avons posées à l’imam Omar Koné.
Entrevue réalisée par Victor Teboul pour Tolerance.ca.
Tolerance.ca - Quels sont les grands obstacles que doivent surmonter les musulmans lorsqu’ils immigrent en Occident?
Imam Omar Koné - Je pense que ces obstacles ne sont pas toujours les mêmes, car l’Islam a différentes saveurs et il imprègne également différemment les gens. A mon sens, aujourd’hui, l’obstacle majeur reste une certaine islamophobie due à une méconnaissance de l’Islam. Les musulmans arrivent en Occident et doivent faire face à tellement de préjugés à leur égard, construits parfois sur les actions d’autres musulmans. Ils doivent souvent pour être acceptés, prouver leur « innocence » là où d’autres sont acceptés à bras ouverts.
D’autre part, l’enjeu majeur sera toujours le fait que l’Islam est une religion mais aussi un mode de vie basé sur des principes d’éthique découlant de commandements fondamentaux.
L’Islam rappelle que tout dans notre vie se fait par rapport à Dieu. Ainsi chaque action au quotidien sera souvent référencée sur une certaine ligne de conduite. L’Occident, qui est majoritairement judéo-chrétien dans sa source de valeurs, a gardé une bonne partie des notions de justice, de droit, hérité des textes mais, dans les sociétés d’aujourd’hui, très peu de pratiques et d’interdits ont survécu à la dernière phase de l’évolution de ces sociétés.
Or, les musulmans essayent, en majorité, de respecter encore ces interdits et utilisent souvent leur système de valeurs comme référence personnelle dans les choses de tous les jours. Il y a donc parfois un ajustement à faire face à une certaine liberté que l’on trouve en Occident, par rapport à des valeurs parfois plus conservatrices des pays d’origine des immigrants
Tolerance.ca - Comment concilie-t-on la pratique de la religion musulmane avec la laïcité ? Je pense notamment au jeûne du Ramadan et aux cinq prières quotidiennes que doit observer tout pratiquant.
Imam Omar Koné - La laïcité n’a jamais empêché la pratique de la religion, même dans la sphère publique, surtout ici au Canada, mais visait plutôt à séparer le religieux du politique et de la gouvernance. L’une des conséquences de ce principe a été, en effet, que parfois l’espace public est devenu areligieux. Là encore, il y a de grandes différences selon les pays occidentaux.
Afin de concilier donc la pratique religieuse dans un tel contexte, on apprend en général à faire des accommodements raisonnables et parfois un peu de contorsion.
Même si la majeure partie des musulmans pratiquants sont discrets sur leur pratique religieuse, la pratique du jeûne du Ramadan est de plus en plus connue et bien reçue. Elle reste tout de même plus difficile en Occident en général, car le rythme de vie ne change pas, il faut continuer à se présenter au travail aux mêmes heures et garder sa productivité toute la journée.
La prière est une autre affaire, car elle doit normalement se faire durant un laps de temps précis, chaque jour. Elle est moins comprise en Occident où la pratique religieuse en général est perçue comme chose de la sphère privée. Ainsi, beaucoup de musulmans devront faire un compromis difficile sur leur assiduité. Mais il y a presque toujours des moyens de trouver encore là un petit accommodement.
Tolerance.ca - Par le nombre de ses adeptes, la religion musulmane est aujourd’hui la troisième sinon la deuxième religion en importance en Occident. Compte tenu de l’importance accordée dans les sociétés démocratiques à la remise en question des dogmes religieux, comment les musulmans parviennent-ils à concilier spiritualité et sens critique ? Je pense notamment à la controverse provoquée par les caricatures de Mahomet, mais aussi à des questions plus larges, comme à l’avortement.
Imam Omar Koné - Je pense que les démocraties occidentales, même si elles remettent en question le dogme religieux, offrent de façon globale un espace où la pratique religieuse est acceptée. L’Islam dans ses lignes directrices de justice, de droit et de liberté, est assez compatible avec l’esprit des sociétés occidentales. La spiritualité en Islam n’a jamais empêché, à mon avis, le sens critique. Les musulmans s’imposent, en général, certaines limites dans le sacré, mais toute notion du sacré est relative à une croyance.
On ne peut pas toujours, sous le couvert de la liberté d’expression ou du sens critique, bafouer ou se moquer des valeurs d’autrui. Chaque peuple possède ses tabous, ses sensibilités et son espace sacré. Le respect de l’autre dans ce qu’il est, demeure tout de même un principe de valeurs humaines universelles. Le musulman ne considère pas la caricature du sacré comme étant une expression du sens critique, mais plutôt comme un blasphème souvent très peu constructif.
Il ne faut pas être musulman pour être contre l’avortement, on peut être même très athée pour cela. L’humain ne pourra jamais être intégralement objectif et détaché de ses croyances et de ses convictions quelles qu’elles soient. De ceux qui remettent en question le dogme religieux, un bon nombre se rattache souvent à des croyances parfois assez ésotériques, car c’est la nature de l’humain dont l’esprit demande souvent de se rattacher à quelque chose de transcendant et d’ésotérique.
L’Islam, en général, a été bien plus conciliant avec la science, la technologie et le débat intelligent que d’autres traditions. Là où médecins, philosophes, politiciens débattent encore de l’éthique de certaines choses, selon une certaine moralité, comment peut-on vraiment reprocher à une croyance d’en faire autant ? Tout système ou toute science que nous développons ne devrait pas asservir, utiliser ou oppresser l’humain mais, au contraire, être au service de la vie et de l’humain. En ce sens, nous avons encore du chemin à faire. Il est important, comme vous l’avez fait dans vos questions, de souligner la différence entre l’islam et les musulmans, car ils ne sont pas toujours en phase aves les enseignements de l’islam.
Je vous accorde qu’une grande partie des musulmans ont perdu le sens de l’autocritique qui, pourtant, devrait être au cœur de nos existences en temps qu’humains.
Tolerance.ca - Le pluralisme étant une caractéristique des sociétés multiculturelles, quel défi cela pose-t-il aux musulmans ?
Imam Omar Koné - Aucun à mon sens, le Coran souligne l’importance, aux yeux de Dieu, de la différence en tant que source de richesse. Cela devrait nous permettre d’apprendre et comprendre davantage, d’acquérir connaissance, maturité et sagesse afin de grandir et d’être meilleur.
Le prophète Mohamed a toujours enseigné le respect de l’autre, qu’il soit musulman ou pas. Il a souvent mis de l’avant la richesse des autres et a enseigné à avoir de bonnes relations avec tous ceux et toutes celles qui nous entourent, afin de vivre en paix et en harmonie.
Cela n’a pas toujours été le cas, selon les époques et les gouvernants, mais cela reste un principe de base de la foi en Islam.
Suivre les principes du Coran n’empêche en rien de vivre en paix avec lea autres
En Occident, les musulmans sont présents à tous les niveaux de la société d’aujourd’hui et y contribuent de façon active. Croire en Dieu et suivre les principes du Coran, qui sont assez similaires à ceux de la Torah ou de la Bible, n’empêche en rien de vivre en paix et en harmonie avec les autres, de participer à l’effort collectif citoyen. C’est souvent de la dérive de l’interprétation personnelle ou de certaines écoles que découlent les problèmes, et non pas de la religion en tant que telle.
Le monde musulman est dans une phase assez tumultueuse, car le dernier siècle et demi a été, à plus d’un égard, un défi pour toutes les sociétés de ce monde. La guerre, la colonisation, la modernisation débridée ont marqué profondément tous les peuples de cette planète. Les musulmans n’en ont pas été exemptés. Mais en 15 siècles, ils ont apporté leur contribution au monde et ce sur tous les plans. On oublie parfois cela très vite. Ils ont gouverné, administré et même contribué à la renaissance européenne et le bilan de cette contribution est loin d’être négligeable.
Nous devrons tous apprendre à vivre ensemble en paix et en harmonie, car nous n’avons qu’une terre à partager et c’est une question de survie. Les ressources de la planète sont limitées, le pouvoir de destruction que les humains ont acquis à ce jour est considérable. Nous avons tort de penser que nous avons gagné en maturité parce que nous maintenons la loi et l’ordre par des systèmes de plus en plus organisés.
Les musulmans ont leur part à faire et doivent également participer à l’effort collectif. Mais ils doivent, pour cela, se rattacher à l’esprit de l’islam qui enseigne que le voisin a son droit et il est un privilège pour nous.
Tolerance.ca - Il est beaucoup question du pardon dans les religions monothéistes. Comment définiriez-vous la conception du pardon dans la religion musulmane ?
Imam Omar Koné - Le pardon en Islam est primordial, car c’est en cela que l’on grandit et que l’on sème la paix. Les musulmans pardonnent et l’Histoire nous est témoin car ils ont également été asservis, colonisés et parfois massacrés à tour de bras durant les derniers 15 siècles.
Le pardon que l’on demande à Dieu pour nos propres manquements, péchés et transgressions ne peut être authentique si nous ne pouvons pas, à notre tour, pardonner.
Il existe, en Islam, pour celui qui est victime d’injustice, trois façons de rétablir son droit : la loi du talion, le dédommagement et le pardon. Le pardon est incontestablement, aux yeux de Dieu, le plus élevé des trois. Le prophète Mohamed a, à bien des égards, enseigné à pardonner. Il a été oppressé, violenté, insulté, exclu dépossédé, humilié et pourtant il n’a pas, par la suite, réprimandé ceux qui l’ont fait.
Faut-il oublier ? Non, mais si l’on ne pardonne pas, ce sera un lourd sac à porter devant notre Seigneur, le Jour de la Rencontre.
L’histoire de l’humanité est jonchée d’oppression tant à l’échelle globale des civilisations, que dans notre vie de tous les jours. Comment alors vivre ensemble sans pardonner tous les affronts. Dans un couple ou une famille, cela est primordial pour la paix, la stabilité et l’harmonie. Que dire alors de la grande famille des enfants d’Adam?
Le non pardon engendre le ressentiment et la rancune qui à leur tour mènent à la colère et à la haine. N’en avons-nous pas assez répandu sur Terre. Ainsi en Islam, Dieu rappelle la supériorité absolue du bien sur le mal, de la noblesse de caractère sur la tyrannie de l’ego, de l’amour sur la haine et aussi du pardon sur la rancune. Mais comme dans toutes les traditions, il y a l’esprit de la tradition et l’usage, et l’interprétation qu’en font les humains pour servir leurs désirs.
Fréquemment sollicité par les médias pour commenter les relations qu'entretiennent les sociétés occidentales avec l’Islam, cheik Omar Koné est également un conférencier réputé. Imam soufi, il est régulièrement invité par les universités pour partager sa connaissance de l’Islam. Né au Mali, cheikh Omar Koné est, depuis 1998, le directeur du Centre Soufi de Montréal.
Entrevue réalisée par Victor Teboul pour Tolerance.ca © Inc. , mai 2009.