Sélectionné au 34e Festival des films du monde de Montréal de 2010 « Les Mains noires, Procès de l’esclave incendiaire » de Tetchena Bellange est un documentaire qui enquête sur une page occultée de l’histoire du Québec et du Canada : celle de Marie-Josèphe Angélique, esclave noire de la Nouvelle-France qui fut accusée, en 1734, de la destruction d’une grande partie de Montréal par un incendie criminel. Le film a été présenté au FFM en première mondiale le 31 août 2010.
Après un procès épique, cette esclave indomptable est condamnée à être torturée et pendue, même si elle clamait son innocence. Était-elle vraiment coupable ou n’était-elle pas plutôt victime d’une conspiration plus grande? Pourquoi cette amnésie volontaire concernant cette facette méconnue de l’histoire québécoise? Mêlant le documentaire au théâtre, ce film comprend des entrevues avec des historiens et des reconstitutions historiques jouées par des acteurs.
Née à Montréal, Tetchena Bellange, la réalisatrice du documentaire, est diplômée en cinéma à l’Université de Montréal. Au début 2010, elle réalise pour l’ONF le court-métrage documentaire Médecins sans résidence, sur les barrières que rencontrent des médecins étrangers qui veulent pratiquer au Québec. Tetchena Bellange, est également comédienne, ayant joué dans plusieurs films et téléséries.
Qu'est-ce qui a incité la cinéaste à s'intéresser à l'histoire de Marie-Josephe-Angélique ? Comment a-t-elle abordé le sujet ? Ce sont là quelques-unes des questions que nous lui avons posées.
Entrevue réalisée par Victor Teboul pour Tolerance.ca ®.
Victor Teboul : Plusieurs livres, expositions et même des sites Internet sont consacrés à Marie-Josèphe-Angélique. Son histoire est également évoquée dans le très beau documentaire, Tropique Nord, de Jean-Daniel Lafond auquel Michaëlle Jean participait. Qu’avez-vous découvert de nouveau sur le sujet en réalisant votre documentaire ?
Tetchena Bellange : Ce que j'ai découvert c'est le contexte dans lequel Angélique a évolué et les événements précis qui ont conduit à son exécution. Par exemple le bourreau d'Angélique était lui-même un Noir: il s'appelait Mathieu Léveillé. Il était esclave en Martinique et avait été condamné à mort pour un crime. On lui a donné le choix de mourir pendu ou de devenir bourreau à Montréal. Il a choisi Montréal et fait la rencontre de cette femme noire condamnée à mort.
Mon film "Les Mains noires" est un objet hybride entre le théâtre et le documentaire et dans la partie théâtre, on explore entre autres la relation en prison entre Léveillé et Angélique. On découvre aussi au fil des entrevues avec les historiens (Denyse Beaugrand-Champagne et Paul Fehmiu Brown) la relation délicate qu'entretenait Angélique avec sa maîtresse Madame de Francheville. En effet Mme de Francheville a donné à son esclave le nom de sa fille unique morte en bas-âge. Déjà là on voit un indice de la relation spéciale qu'entretenait ces deux femmes.
En plus, Angélique ne faisait pas nécessairement ce qu'on attendait d'elle: elle sortait quand bon lui semblait et prenait pour amant qui lui plaisait, ce qui était très mal vu. Les autres commerçants de la rue St-Paul la détestait car elle donnait un très mauvais exemple à leurs propres esclaves. Donc quand le grand feu de Montréal a éclaté en avril 1734, il fallait un coupable et elle était la personne toute désignée.
Victor Teboul : En tant que cinéaste, qu’est-ce qui vous a touchée dans l’histoire de Marie-Josephe-Angélique au point de vous inciter à réaliser un documentaire sur le sujet ?
Tetchena Bellange : J'ai entendu parler d'Angélique la première fois lors d'une entrevue télévisée que donnait l'historien Marcel Trudel. Je suis restée profondément sous le choc après l'émission parce que je ne savais pas qu'il y avait eu de l'esclavage ici. Au contraire, dans mes cours d'histoire, on m'avait donné l'image du Canada comme celle d'une terre de liberté vers laquelle fuyaient les esclaves américains par le Chemin de fer clandestin. Je ne comprenais pas pourquoi on avait occulté cette partie de mon histoire. En plus, je suis restée fascinée par l'histoire de Marie-Josèphe-Angélique: elle était une femme noire forte qui refusait de tenir la place d'esclave qu'on lui octroyait.
Elle était rebelle, éprise de liberté et n'en faisait souvent qu'à sa tête. C'est sa forte personnalité qui signe en quelque sorte sa mise à mort en 1734.
L'historienne Denyse Beaugrand-Champagne, après avoir épluché en profondeur les archives du procès d'Angélique, est arrivée à la conclusion que cette dernière était innocente. Le feu aurait probablement été causé par la faute d'un noble. "Les Mains noires- Procès de l'esclave Angélique" est une enquête sur le procès de cette femme, mais aussi sur une page méconnue de l'histoire du Québec.
Victor Teboul : Nous avons tendance parfois en tant que minoritaires -juifs, noirs, amérindiens, canadiens d’origine japonaise ou chinoise- de nous attacher à des épisodes tristes de l’histoire, épisodes qui nous ont marqués parce que nous étions victimes de discrimination. Pensez-vous, à titre de jeune cinéaste, qu’il nous soit possible de dépasser le syndrome de victime ?
Tetchena Bellange : Bien sûr qu'il est possible de dépasser le syndrome de victime, il s'agit même d'un devoir si on veut progresser. Malgré les épisodes tristes de l'histoire, prendre la responsabilité de sa vie, dans le présent, est essentiel. Le film "Les Mains noires" que j'ai coproduit avec ma partenaire et soeur Bianca Bellange n'a pas été facile à faire. Toutes sortes d'obstacles se sont dressés sur notre route et on aurait pu facilement baisser les bras et blâmer le système, la société, etc. Mais on a persévéré et le film est fini. Je pense qu'il faut prendre sa vie en main et traverser les embûches avec détermination et créativité.
Entrevue réalisée pat Victor Teboul pour Tolerance.ca ®.
30 août 2010
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