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Le centenaire de Gallimard et les années sombres

(French version only)
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Ph.D., Université de Montréal, Editor, Tolerance.ca®

Gallimard, la prestigieuse maison d’édition française, marque en 2011 le centenaire de sa fondation. La plupart des journaux français font l’éloge de cet éditeur dont la contribution au monde des lettres est indiscutable. Il y est peu question toutefois des pages sombres de l’Occupation et du rapport de cette maison avec l’occupant.

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Même Le monde des livres se fait discret dans son dossier, «Les 100 ans de Gallimard» (édition du 11 mars 2011), consacrant à peine un court article à cette période, article qui rappelle toutefois que l’éditeur applique durant l’occupation de façon «stricte» la législation antisémite et que les «personnels juifs sont limogés». En dépit de ce comportement pour le moins compromettant de l’éditeur parisien, l’auteur de l’article estime de façon surprenante que «Gaston Gallimard n’a jamais, contrairement à d’autres éditeurs, basculé dans le collaborationnisme actif» (1).

Au Québec, cependant, l’essayiste Jean-François Poupart a publié en 2009, «Gallimard chez les nazis» (Poètes de brousse), un essai qui dénonce la connivence de plusieurs écrivains et éditeurs français avec l’occupant nazi, dont celle de Gallimard. Nous avions interviewé Poupart au moment de la parution de son essai et avions exploré avec lui ces zones sombres de l’histoire littéraire française, sans oublier bien sûr ces mêmes zones obscures de la pensée littéraire et intellectuelle québécoises.

Entrevue réalisée par Victor Teboul pour Tolerance.ca ®.

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- Comment est née l’idée de ce livre ?

- J-F Poupart - Comme je le mentionne dans l'intro, je n'avais jamais eu l'intention d'écrire sur la seconde guerre avant de recevoir une pub de Gallimard en février 2009 qui prônait haut et fort les 100 ans de la NRF (nouvelle revue française). Cette institution française est certes célèbre et peut se vanter d'avoir eu pour collaborateurs les plus grands écrivains français du 20e siècle mais, d'un autre côté, a dû, pour passer à travers les années 1940-1944 s'en remettre au bon vouloir de l'occupant allemand et céder la direction à un fasciste notoire : Drieu La Rochelle. La thèse de ce bref essai est simple : tout ce qui a été publié entre 1940 et 1944 à Paris de façon officielle le fut avec l'accord de la censure nazie. Ce qui implique particulièrement les célèbres auteurs de chez Gallimard, Albert Camus et Jean-Paul Sartre. J'ai seulement voulu replacer des faits vérifiables et précis dans un océan de ouï-dire, de fabrication, de révisionnisme, de désinformation et, parfois, de propagande.

- Dans votre essai «Gallimard chez les nazis», vous vous attachez à dénoncer les sympathies qu’avaient pour les nazis les élites intellectuelles françaises durant l’Occupation. Mais ces mêmes sympathies, plus particulièrement pour le fascisme, se manifestaient également au Québec, sans parler de l’antisémitisme qui s’exprimait aussi ouvertement au sein de l’intelligentsia québécoise. Pourquoi n’évoquez-vous pas aussi cette page de notre propre histoire ?

J-F Poupart - Ce bref essai est plus un pamphlet qu'une étude exhaustive sur les sympathies fascistes des années 1930. Gallimard est un fleuron, à plusieurs titres, de l'édition, de la littérature et de la pensée française du 20e siècle. Il est important de comprendre que le fascisme européen des années 1930 n'aurait pu s'étendre aussi rapidement sans le contrôle des médias qui sont alors à leurs premiers balbutiements en tant qu'outils de propagande. Toute la presse européenne sera antisémite. Des feuilles de choux comme «Je suis partout» atteindront des tirages hebdomadaires de 400 000 exemplaires! Au 20e siècle, les médias ont acquis une valeur historique, un cautionnement populaire et souvent, de la part des intellectuels à la mode, une aura de vérité indéniable, source de beaucoup d'erreurs répétées. Le Québec ne fut certes pas épargné par les avancées fascistes mais notre analphabétisme, notre gouvernement britannique et notre éloignement géographique ont sûrement favorisé notre neutralité peureuse.

- Vous reprochez aux Français une certaine amnésie qui consiste à passer sous silence les liens qu’entretenaient avec les nazis des écrivains qui connaîtront la renommée plus tard, comme Sartre et Camus. S’il s’agit pour les Français d’une certaine amnésie, que penser de tous ces lieux publics qui portent à Montréal le nom de l’abbé Lionel Groulx (une station de métro, un bâtiment d’une université) ? En exposant l’antisémitisme de Groulx, l’historien Jean-Pierre Gaboury, dans son ouvrage Le nationalisme de Lionel Groulx (2), a en effet qualifié le racisme de l’abbé de «racisme de caste». Faut-il parler au Québec d’un déni en ce qui touche ces associations troublantes ?

J-F Poupart - À plusieurs endroits je le redis, l'antisémitisme est très commun dans les années 1930, c'est même une norme chez la plupart des intellectuels. Il faudra attendre la «découverte» des camps de concentration, celui d'Auschwitz particulièrement, pour rendre illégal l'antisémitisme dans les médias. Les travers racistes de Lionel Groulx étaient tributaires de l'endoctrinement de l'église catholique romaine. Il n'a rien inventé. Ses supérieurs, Pie XII surtout, sont plus emblématiques de la tourmente idéologique inhérente à cette époque. Je vois l'abbé Groulx comme un curé de campagne absorbant au compte-gouttes les directives de Rome. Les religions officielles, pour survivre, ont dû s'immiscer dans la sphère politique et vice versa. Le communisme, nous le savons, interdira la religion au profit de l'état-dieu. C'est peut-être pour cette raison que les plus grands charniers du 20e siècle seront l'oeuvre des régimes communistes (U.R.S.S, Chine, Cambodge).

- Vous écrivez qu’un «opportunisme commun aux écrivains» les a menés à cautionner le plus grand génocide de l’histoire. Est-ce que cela vous a étonné que des écrivains – devenus célèbres et reconnus depuis – aient pu être des opportunistes ? En fait, l’écrivain doit-il être plus pur et vertueux que le commun des mortels ?

J-F Poupart - J'ai surtout publié de la poésie. Je suis l'éditeur de Poètes de brousse qui depuis 10 ans fait la promotion et oeuvre à la reconnaissance de la poésie québécoise dans la francophonie. Donc ma vision est sûrement tronquée. La poésie n'a pas de visées commerciales, la littérature, en général, oui. Vieux fond de romantisme sûrement. La position « symbolique» de la poésie dans l'univers gourmand de la littérature nous donne finalement un peu plus de liberté et confère à notre prise de parole une valeur plus humaine. L'argent donne du pouvoir et pour maintenir en place ce pouvoir il faut invariablement entrer dans la moule de la pensée univoque. Les instances se maintiennent sinon c'est l'effet domino. Tout tombe. Le problème ici, soulevé par mon livre, c'est que l'histoire de notre littérature s'est aussi enlisée dans le mensonge. Camus, Sartre, Beauvoir, figures essentielles de notre littérature, n'auraient jamais eu autant de renommé n'eut été de leur engagement social et politique durant la guerre. Il n'en est rien. Aucun ne mérite d'être cité comme résistant. Ils ont souffert d'attentisme, les médias auront fait le reste. Ce qui me tourmente et que j'essaie d'illustrer dans ce bref essai c'est que la plupart des écrivains ont prôné haut et fort l'engagement et la morale tout en se cachant dans une littérature abstraite et consensuelle. Non, Camus n'a jamais résisté. Non, Sartre n'a en aucun moment écrit une ligne pour dénoncer les atrocités pourtant commises à chaque jour devant chez lui ! Pour des «philosophes» contemporain de la Shoah, la plus grande tragédie de tous les temps, je les trouve bien aveuglés par leur nombril ou timorés à l'os pour avoir poursuivi, durant l'hécatombe, une si belle carrière littéraire...

- Vous avez eu l’occasion de présenter votre livre à un public français. Quel accueil lui a-t-on réservé ?

J-F Poupart - Gallimard chez les nazis fut présenté au salon de Grigny (Rhône) le 6-7-8 novembre 2009. La réaction fut vive et souvent virulente. C'est leur sujet. Lyon est un lieu emblématique de la résistance. Donc grand-père, grand-oncle, famille proche ont tout vu... mais gardent un amer souvenir de tout ça. Une table ronde a même dégénéré et je fus accusé de démolir l'image de saint-Sartre...Misère ! Néanmoins les réactions furent positives et le livre a atteint amplement son but : celui de nous faire réfléchir sur l'histoire et sur ceux qui l'écrivent.

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Jean-François Poupart est professeur et écrivain. Il est le fondateur de la maison d’édition Poètes de brousse. Il vit à Montréal.

Entrevue réalisée par Victor Teboul pour Tolerance.ca ®. Copyright, 2009, © Tolerance.ca Inc.

Notes

1. Les années noires de la "Blanche"

2. Presses de l’Université d’Ottawa, 1970.

16 novembre 2009. Mis à jour : 13 mars 2011 



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Victor Teboul is a writer and the publisher of Tolerance.ca ®, The Tolerance Webzine, which he founded in 2002 to promote a critical discourse on tolerance and diversity. He is the author of several books and numerous articles.

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