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Le Maclean’s, l’hypersensibilité québécoise et la couverture du Québec par les «Anglais»

(French version only)
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Ph.D., Université de Montréal, Editor, Tolerance.ca®

Le Maclean’s, revue à grand tirage du Canada anglais, ose critiquer le Québec et le qualifier de «Province la plus corrompue du Canada», en page couverture de son numéro daté 4 octobre 2010, et les élites unanimement– en particulier les journalistes et les politiciens de tous bords – ne manquent pas de monter aux barricades pour dénoncer le messager. On se croirait dans un épisode des caricatures de Mahomet, version québécoise.

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Il faudrait replacer ces réactions dans un contexte où les Québécois – journalistes, élites et lecteurs confondus – ont rarement l’habitude d’entendre ou de lire des «étrangers» commenter l’actualité québécoise et adopter un point de vue qui ne concorde pas avec celui de la majorité dominant dans les médias du Québec. Exception faite de la Gazette, seul grand journal de langue anglaise au Québec, aucun média anglophone ne couvre ni n’analyse de façon systématique l’actualité francophone québécoise.

De même, rares sont les commentateurs, issus d’une autre culture ou d’une autre origine, écrivant dans les grands médias de langue française qui osent prendre des positions risquant d’irriter les courants de pensée majoritaires du Québec.

La critique de la société québécoise est d’autant plus mal venue dans le cas du Macleans’s qu’elle provient de l’extérieur d’une société dont les médias demeurent, malgré des efforts soutenus, un milieu largement homogène, c’est-à-dire, québécois «pure laine». Dans un tel contexte, celui ou celle qui ose adopter une position divergente ou peu compatible avec les idées dominantes risque le lynchage médiatique que connaît aujourd’hui ce grand magazine torontois, à qui on demande des excuses (eh oui !) et que d’autres proposent de le retirer des kiosques !

On sait comment Mordecai Richler, écrivain de langue anglaise et montréalais de surcroît, a été démonisé au Québec, même si ce romancier a davantage critiqué la communauté juive -objet de satire dans ses romans- que le Québec. Rares sont d’ailleurs les écrivains «étrangers» qui écrivent en français et osent critiquer impunément la société québécoise. Encore plus rares, disons même carrément inexistants, sont ceux qui osent critiquer et qui sont reconnus ou consacrés par des prix, médailles et autres titres honorifiques.

Quant aux auteurs québécois, on est loin des Hubert Aquin, des Pierre Vadeboncoeur, des Jean-Paul Desbiens ou des Jean-Charles Harvey, dont les critiques portaient plus sur les Québécois que sur les «Anglais».

Les médias au Québec se complaisent d’ailleurs souvent dans la projection d’une société minoritaire et ne manquent pas une occasion pour amplifier les critiques perçues comme dissonantes et provenant de l’extérieur, lorsqu’ils ne refusent pas carrément de les diffuser. Parfois, lorsque ces critiques proviennent de l’intérieur même de la société québécoise et touchent à des icônes intouchables, les auteurs sont alors rarement pardonnés, si l’on pense, par exemple, au cas de l’écrivaine Esther Delisle.

Des journalistes certes existent qui abordent avec sérieux et d’un œil critique l’actualité, tels les Martineau, les Foglia ou les Petrowski, mais ils sont une denrée rare parmi la jeune génération de journalistes, plus portés à plaire à leurs lecteurs qu’à critiquer leur société, exception faite, bien sûr, de certains jeunes qui appartiennent au courant écologiste ou altermondialiste.

En ce qui touche à la corruption, qui se porte bien merci au Québec, nos médias francophones nous répètent à longueur de journée qu’elle s’est installée chez nous à tous les niveaux –municipal, en ce qui touche Montréal; provincial, en ce qui touche les liens politiques gouvernementaux existant avec certains milieux, ou fédéral, si on se rappelle les audiences publiques sur les fameuses commandites, il n’y a pas si longtemps.

Il s’agit pourtant, dans tous ces cas, de politiciens québécois élus par des Québécois. Que les Québécois le disent sur les ondes, l’écrivent dans leurs journaux, cela est parfaitement acceptable, mais que des «étrangers» osent l’écrire, et on crie au scandale ! Comment se fait-il qu’au Québec nous soyons aussi frileux à la critique provenant de l’«extérieur» ?

Rappelons à ce sujet le sondage de Léger Marketing, commandité par le Journal de Montréal et diffusé plusieurs fois sur le réseau TVA, en janvier 2007, dont les résultats affirmaient que 59% des Québécois s'avouaient racistes. Cela avait-il soulevé un quelconque tollé ? «Ceux qui ont des contacts avec les communautés culturelles sont légèrement plus racistes», avait, en plus, précisé le sondeur, M. Léger !

Quant aux articles de Maclean’s, n’est-ce pas significatif qu’aucun journaliste ni commentateur québécois francophone ne se soit penché sérieusement sur le contenu des deux articles incriminés pour en réfuter les arguments qui y étaient exposés. La langue anglaise est-elle si impénétrable ? Que disent donc ces fameux articles ?

Que le titre de la couverture choque, soit ! D’autres couvertures de la revue ont qualifié la ville de Toronto de ville qui puait. (Toronto stinks, numéro du 27 juillet 2009). C’est pourtant à Toronto que la revue est publiée. A-t-on fait subir un autodafé à la revue ?

La revue a aussi qualifié les avocats de rats, et en page couverture également (Lawyers are rats, numéro du 6 août 2007). L’a-t-on poursuivi en justice comme se propose de le faire le Carnaval de Québec ?

L’auteur de l’article incriminé, Martin Patriquin, dit bien pourtant que le Québec ne détient pas le monopole en matière de corruption, même s’il constitue, d’après lui, la province la plus corrompue. Il cite, à titre d’exemple, le cas de la Colombie britannique, celui de la Saskatchewan et de l’Ontario.

En se basant sur des statistiques de Transport Canada, l’auteur soutient aussi que construire des routes au Québec coûte aux contribuables 30% plus cher que dans le reste du Canada à cause des liens de favoritisme qu’entretiendrait notre gouvernement avec l’industrie de la construction. N’est-ce pas là une thèse proche de ce que pense au Québec notre Opposition officielle ? Personne n’a pourtant relevé ce point ni jugé à propos de le réfuter.

Lorsque l’auteur avance aussi, en s’appuyant sur des chiffres de Statistique Canada, que l’État du Québec est davantage présent dans les mégaprojets que ne le sont les gouvernements des autres provinces et que cela implique une contribution financière de la part de notre gouvernement qui est 7% plus élevée que la moyenne nationale canadienne, cela ne rejoint-il pas la collusion tant décriée par nos partis d’opposition entre le secteur de la construction et nos gouvernants ? Cela ne serait-il pas une explication des dérives que nous connaissons en matière de corruption ? Qu’y aurait-il de raciste de dire que chez nous ces collusions seraient effectivement plus courantes qu’ailleurs au Canada ? Mais ici, non plus, personne n’a tenté, chiffres à l’appui, de réfuter ce raisonnement.

Que penser en outre des commentaires du député de Québec Solidaire, Amir Khadir, député chouchouté par les médias québécois, qui est cité dans l’article et qui dit bien que le Québec est dirigé, depuis quarante ans, par la même classe politique -péquistes et libéraux - et qu’on a besoin d’un vrai renouveau, car plus les politiciens de ces deux formations demeureront au pouvoir, plus ils succomberont à la tentation de la corruption. «Nous sommes prisonniers de la question nationale» commente aussi M. Khadir, dont le parti adhère pourtant, faut-il le rappeler, à la thèse indépendantiste.

Les ténors de la classe politique, y compris les indépendantistes, n’ont rien eu à redire à cela non plus.

J’ai lu les articles du Maclean’s sur son site Internet et je n’ai trouvé nulle part une association quelconque entre la corruption décrite dans cet article et un trait soi-disant génétique propre aux Québécois, comme l’ont affirmé le sociologue Christian Dufour sur les ondes de la télévision TVA et le député péquiste Bernard Drainville, également à la télévision.

Quant au deuxième parti d’opposition à l’Assemblée nationale du Québec, l’ADQ, elle aurait déclaré, selon La Presse, que «la facilité avec laquelle le Canada anglais s'attaque au Québec est déconcertante».

Or, l’ADQ s’engage elle-même dans une généralisation. Voici qu’elle associe un magazine avec une population entière, celle du Canada anglais.

Les grands réseaux de télévision du Canada anglais et leur couverture inadéquate du Québec

Si l’on doit critiquer les médias de langue anglaise du Canada, c’est plutôt l’absence de couverture sérieuse que leurs télévisions assurent au Québec.

D’ailleurs, comme si les journalistes anglophones avaient fini par se résigner à ne plus analyser sérieusement l’actualité québécoise francophone, ce sont des journalistes de langue française – et québécois de souche – qui sont invités à la commenter, à titre de «columnists» dans les grands journaux nationaux de langue anglaise ou dans les médias.

Au réseau anglais de la télévision de Radio-Canada (CBC), où la couverture régulière et en profondeur du Québec est devenue un fait rare (comme d’ailleurs aux autres réseaux), c’est à une journaliste francophone et québécoise de souche que le présentateur demande avis sur le Québec francophone (et le Canada anglais), dans le cadre du panel qui a lieu tous les jeudis soirs aux informations nationales.

Ses collègues de langue anglaise, dont Andrew Coyne, un des rédacteurs en chef du Maclean’s et un des auteurs des articles incriminés, participent pourtant en même temps que cette dernière à cette analyse hebdomadaire de l’actualité canadienne. Mais ces derniers se gardent bien de commenter l’actualité québécoise – et encore moins les prises de position défendues par le parti sécessionniste qui siège au Parlement fédéral canadien.

Ceci n’enlève rien, bien entendu, à la compétence et à la perspicacité des analyses de la journaliste francophone, mais il n’en demeure pas moins que les commentateurs anglophones s’aventurent rarement à commenter l’actualité québécoise.

Est-ce dû au fait que ces derniers ne comprennent pas le français ? Ou est-ce à cause de la lassitude qu’éprouvent les anglophones face à une société qu’ils comprennent de moins en moins ?

À la moindre réaction d’une société, qui s’est libérée du joug de l’Église et qui ose exprimer ses réticences face à des groupes religieux radicaux – juifs, musulmans ou autre –, dont les signes et les comportements religieux se manifestent ostensiblement sur la place publique, les médias anglophones ne manquent pas une occasion pour qualifier le Québec de raciste. N’est-ce pas ce qui est arrivé, encore récemment, lorsque la CBC a qualifié le Québec d’intolérant ?

Lorsque les habitants d’Hérouxville ont osé dire tout haut -et sans doute de manière maladroite- ce que la majorité au Québec -avec un peu plus de nuances, admettons-le-, pensait de l’apparition de comportements religieux radicaux– notamment du voile islamique- sur la place publique, un journaliste de la CBC s’était empressé de passer quelques heures dans cette municipalité pour dépeindre ces habitants comme des êtres blancs et emmurés dans leur isolement, ayant tout juste un seul enfant noir présent dans leur milieu…

Lorsqu’on est un téléspectateur régulier des chaînes anglaises, on peut aisément constater que la télévision anglaise de Radio-Canada, (la CBC), couvre davantage le territoire canadien à l’ouest et à l’est du Québec que le Québec lui-même. Les peuples amérindien et inuit obtiennent plus de couverture que la Belle province.

Le CRTC ne devrait-il pas se pencher sur cette lacune des médias de langue anglaise, et plus particulièrement du réseau anglais de la société d’État ?

Le Québec francophone mérite sûrement beaucoup mieux. Les postes de télévision de langue anglaise devraient s’y intéresser davantage en lui consacrant une couverture aussi soutenue et objective que celle qui est assurée aux autres provinces du Canada. Car, lorsqu’on suit de près les informations nationales des réseaux anglais de télévision, on a souvent l’impression que le Québec s’est déjà séparé du reste du Canada…

Le 27 septembre 2010



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Victor Teboul is a writer and the publisher of Tolerance.ca ®, The Tolerance Webzine, which he founded in 2002 to promote a critical discourse on tolerance and diversity. He is the author of several books and numerous articles.

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