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Nouvelle parution. Lever le rideau. Un humour délicat, une ironie toujours sympathique dans ce premier recueil de nouvelles de l’écrivain Nicolas Bourdon

(French version only)
By
Masters,philosophy (Université de Montréal, Ph.D. philosophy (University of Ottawa)

Un trait saillant de l’écriture de Nicolas Bourdon est l’humour, que l’auteur pratique avec autant de bonheur dans son œuvre que dans sa vie. De plus, ceux qui connaissent Nicolas, comme moi, savent que son intérêt pour les questions culturelles et sociales est indissociable de sa passion pour la politique. L’amour du Québec et de la langue française sont le socle de son œuvre.

Nulle trace, cependant, de militantisme dans ses nouvelles. Son écriture est libre, c’est celle d’une littérature véritable, guidée par le sens de la beauté, la quête de l’expression juste et de la sincérité, non le désir de convaincre. Si les nouvelles ne sont pas politiques, c’est qu’elles ne proposent pas de solution, du moins pour la plupart d’entre elles, mais invitent à en chercher. Un humour délicat, une ironie toujours sympathique traverse d’ailleurs les récits et invite à l’autocritique et au dégonflement des prétentions, y compris celle de sauver le monde.

Douze nouvelles enracinées dans la réalité québécoise contemporaine

Les récits se déroulent presque tous à Montréal, souvent dans le quartier Ahuntsic que l’auteur habite depuis plusieurs années, et une seule se déroule à Québec, sa ville natale. La réalité urbaine donne le ton à ces récits qui portent sur des individus en quête d’accomplissement, tout en mettant en lumière des phénomènes socioéconomiques qui les dépassent.

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Cette trame urbaine laisse toute la place à la vie personnelle. Dans certains cas, comme dans Les punaises ou La pianiste, les enjeux sont surtout personnels ou interpersonnels. Les récits mettent en scène des individus qui cherchent à être heureux. Le thème de l’ennui est souvent abordé, soit celui de la vie quotidienne, trop banale, soit celui de certains plaisirs trop éphémères et superficiels. Parfois, il s’agit plutôt de menaces au bien-être, telles qu’une rupture amoureuse ou le vieillissement. Parfois, rarement, la conclusion est une réussite de l’individu ou une tragédie. Le plus souvent, le personnage trouve une façon ambiguë et imparfaite de poursuivre sa vie envers et contre tout, et même de progresser, modestement.

Dans plusieurs récits, comme Statistiques, Un professeur ou Locataires, le problème est clairement social, par exemple les conditions des travailleurs au bas de l’échelle, la difficulté de trouver un bon logement pour des gens modestes ou encore diverses formes de conformisme social qui étouffent l’individualité. La société pose à l’individu des problèmes qu’il ne peut ni résoudre ni fuir, du moins pas entièrement. Il s’agit d’apprendre à vivre malgré eux ou même avec eux. Même les nouvelles dont les problématiques sont strictement personnelles, par exemple une femme en rupture amoureuse, ou une autre aux prises avec un frère malade, sont toujours posées dans le contexte concret du mode de vie d’une classe sociale, d’un quartier où l’on habite, etc. Nos vies individuelles sont les mailles d’un tissu social. Nicolas Bourdon nous montre que nous ne pouvons pas nous comprendre nous-mêmes sans comprendre notre milieu.

La question de la culture

Plusieurs fils traversent les différents récits. L’un d’eux est la question de la culture, dont la plupart des personnages aiment passionnément une forme ou une autre.  La musique et la littérature reviennent à plusieurs reprises. Une nouvelle met en scène un comédien, une autre, un humoriste. La pêche et le tennis, souvent présents à l’avant plan ou en filigrane, sont aussi des formes de culture, lorsqu’ils sont pratiqués avec méthode et passion.

On réfléchit en lisant le recueil au fait que la culture peut être une profession ou un passe-temps et que chacune de ces pratiques a ses contradictions. Comme passe-temps, on peut regretter de ne pas consacrer sa vie à son art ou son sport. Comme profession, on risque l’inauthenticité. Dans un cas comme dans l’autre, il y a des usages de la culture qui voilent la vie, d’autres qui la dévoilent. La ligne qui démarque voilement et dévoilement n’est pas facile à distinguer, puisqu’elle est aussi fine et ondulante qu’un fil de pêche lancé du revers du poignet.

La culture est en définitive porteuse d’espoir, simplement parce qu’on l’aime et qu’elle élève nos facultés. Lorsqu’on sait l’intégrer à sa vie avec sérieux, avec concentration, elle nous porte vers l’avant. Il y a je crois, chez Nicolas Bourdon, un certain sens de l’authenticité, même dans l’inauthenticité. L’ironie pratiquée par l’auteur peut en effet aller jusqu’à relativiser des formes d’authenticité qui ne sont que prétention. Vivre sa vie, gagner son pain, faire de son mieux pour être heureux, voilà l’authenticité. Nous mener à cette prise de conscience est sans doute la fonction existentielle de l’ironie dans l’œuvre de Nicolas Bourdon : ramener sur la terre ferme des gens ordinaires tout à la fois l’ego, la grande culture et les idéaux moraux. Ce rabaissement n’est pas leur échec, mais la condition de leur application, forcément imparfaite, à la vraie vie.

Sur quoi le rideau se lève-t-il ?

Je lis Nicolas depuis des années, moi qui suis son collègue et ami. Je découvre maintenant avec grand plaisir des nouveaux textes de lui et je redécouvre les autres par une relecture qui m’en révèle des couches de sens subtilement entrelacées. La composition du recueil, notamment, contribue à faire résonner ensemble des thèmes et des procédés qui virevoltent harmonieusement d’un texte à l’autre. Il me semble y distinguer une progression, les premières nouvelles étant plus axées sur les questions purement individuelles, les dernières étant plus axées sur l’individu aux prises avec des problèmes sociaux. Le social était cependant implicite dans les premières nouvelles. On passe ainsi de l’implicite à l’explicite, non pas pour faire disparaître les questions individuelles, mais pour en éclairer toutes les facettes.

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Mon propos laisse de côté d’autres thèmes très riches qui sont explorés dans les récits de Nicolas Bourdon, au premier chef celui des relations entre les hommes et les femmes. Le masculin et le féminin y interagissent bien sûr dans l’amour, la sexualité, mais plus généralement dans tous les aspects de la vie. Plusieurs nouvelles mettent en scène des dames âgées. D’une nouvelle à l’autre, des femmes d’âges différents constituent un tableau admirable de la femme.

Le recueil de Nicolas Bourdon est une invitation à être lucide et à s’interroger franchement. Voilà le sens, à mon avis du lever de rideau. Oser dévoiler le réel, oser se dévoiler soi-même et envisager ensuite des décisions à prendre. Ce qui apparaît au lever du rideau de l’œuvre de Nicolas Bourdon, ce n’est pas un jour radieux où éclatent tous les plaisirs de l’été, mais une fraîche journée de printemps qui donne envie de sortir de chez soi.

Lever le rideau, Liber, collection Anekdota, 2025.

Date de parution : 22 octobre 2025. Lancement du livre : jeudi le 6 novembre, à 17h30, à la librairie Le livre voyageur (2319, rue Bélanger, Montréal)

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Nicolas Bourdon est professeur de littérature au Collège de Bois-de-Boulogne. Ces dernières années, il a publié des textes, surtout des nouvelles littéraires, dans plusieurs revues et journaux, notamment Argument, Le Journal des Voisins, L’Inconvénient, L’Action nationale, Le Devoir ainsi que sur le site L’Agora.

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19 octobre 2025

 



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Georges-Rémy Fortin's Column
By Georges-Rémy Fortin

Georges-Rémy Fortin, Ph.D. teaches at Collège Bois de Boulogne, in Montreal. Goerges-Rémy has a Masters in Philosophy from Université de Montréal and Ph. D. in philosophy from University of Ottawa.  He is a regular contributor to various periodicals.

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