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Trump prix Nobel ?

(French version only)

par Enis Coskun, ancien Secrétaire général et fondateur du Mouvement de la Paix de Turquie

On parle de l’attribution du prix Nobel de la paix au président américain Trump. Est-ce possible ? Après tout, il a tant œuvré pour la paix ! Rappelons-nous. N’a-t-il pas manifesté sa volonté de rattacher le Canada aux États-Unis en tant que nouvel État fédéré ? N’a-t-il pas revendiqué le Groenland au Danemark ? N’a-t-il pas déclaré que le canal de Panama devrait être restitué aux USA ?

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N’est-il pas, au prétexte de la sécurité d’Israël, au nom de son appui inconditionnel et de son principal pourvoyeur d’armes, complice du génocide commis à Gaza ? N’a-t-il pas tenu des propos ahurissants sur la transformation de l’enclave en complexe touristique et dans ce dessein n’apporte-t-il pas son soutien à l’expulsion des Palestiniens de Gaza ?

Lors du sommet de l’OTAN de La Haye en juin 2025, n’a-t-il pas imposé aux États membres de l’Union européenne – même s’il n’a pas réussi à faire plier l’Espagne - l’augmentation de leurs dépenses de défense à hauteur de 5 % de leur PIB, contre 2 % par exemple pour la France à l’heure actuelle ?

A-t-il vraiment invité les Présidents d’Azerbaïdjan et d’Arménie à la Maison-Blanche pour parachever l’accord de paix entre les parties ou bien pour ouvrir la voie à une domination politique, militaire et commerciale dans la région, et profiter des richesses de son sous-sol, notamment du pétrole ? N’a-t-il pas ainsi obtenu des droits exclusifs sur le développement du corridor de Zanguezour qui relie l’Azerbaïdjan aux Républiques d’Asie centrale, renforçant ainsi la position des États-Unis face à l’Iran, la Russie et la Chine ?

Sa rencontre avec Poutine en Alaska en vue de négocier un hypothétique échange de territoires et un accord de paix entre l’Ukraine et la Russie n’avait-elle pas pour véritable objectif, au mépris des intérêts mêmes de l’Ukraine, de tenter de battre en brèche les relations croissantes entre la Russie et la Chine concrétisées par le développement de l’Organisation de coopération de Shanghai, et de lui permettre de concentrer son action stratégique sur la Chine, principal rival économique et politique des États-Unis ?

N’a-t-il pas déclenché une guerre économique contre le monde entier, en particulier la Chine et les pays de l’Union européenne en augmentant les droits de douane à des niveaux exorbitants ?

Sous prétexte de lutte contre les narcotrafiquants, n’a-t-il pas envoyé une armada de guerre dans les eaux territoriales vénézuéliennes pour déstabiliser le gouvernement en place ? N’a-t-il pas au même moment rebaptisé le Département américain de la Défense en « Département de la Guerre », affichant ainsi au monde entier son amour de la paix ?

Non content de mobiliser l’armée à la frontière mexicaine pour stopper les migrants, n’a-t-il pas continué à ériger de hauts murs le long de la frontière ?

En pleine crise économique n’a-t-il pas déployé l’armée dans les rues de Washington pour mener la guerre contre ses propres concitoyens pauvres et sans abri ?

N’a-t-il pas envoyé des unités militaires dans les États américains gouvernés par l’opposition démocrate, sous prétexte d’y combattre la criminalité ?

Que pourrait faire de plus ce « faiseur de paix » pour prouver qu’il mérite ce prix ? On pourrait poursuivre l’énumération au risque de susciter la lassitude du lecteur. En vérité Trump poursuit avec détermination une politique de « faucon à l’intérieur, busard à l’extérieur ». Mais l’oiseau symbole de la paix n’est ni un busard ni un faucon, c’est la colombe rendue célèbre par Picasso. Or, Trump veut chasser cette colombe. Parmi les rabatteurs figurent certains chefs d’État qui appellent de leurs vœux l’attribution du Nobel de la paix à Trump. À la suite d’Israël, le Pakistan, le Cambodge, le Gabon, l’Azerbaïdjan et l’Arménie ont rejoint la « caravane ».

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On ne peut évoquer les velléités de Trump et de ses soutiens pour l’obtention du Nobel de la paix sans se souvenir d’un précédent historique. Le 29 septembre 1938, le Premier ministre britannique Chamberlain, le Premier ministre français Daladier, le ministre italien des Affaires étrangères Galeazzo Ciano et Hitler signaient les accords de Munich qui entérinèrent l’occupation par l’Allemagne de la région des Sudètes, au sud de la Tchécoslovaquie. Les signataires prétendirent avoir sauvegardé la paix au mépris des nombreuses critiques et mises en garde sur l’expansionnisme hitlérien. Moins d’un an après ces accords, le 1er septembre 1939, Hitler attaquait la Pologne, déclenchant la guerre la plus sanglante de l’Histoire.

Douze parlementaires suédois proposèrent alors la candidature de Chamberlain au prix Nobel de la paix au nom de ce « succès ». En revanche, l’un des membres antifascistes du parlement suédois, le député Erik Brandt, adressait le 27 janvier 1939 une lettre au Comité Nobel de la Paix par laquelle il proposait, par pure dérision, la candidature de Hitler. Dans sa lettre, Brandt écrivit : « Avant tout, après la Bible qui est peut-être la plus grande et la plus répandue œuvre littéraire du monde, c’est grâce à son amour pour la paix et à ses succès décrits dans son célèbre livre Mein Kampf… qu’il mériterait vraiment le Prix de la Paix. »

Les sarcasmes de Brandt eurent un large écho dans le monde entier. Bien entendu les nazis accueillirent avec joie cette proposition, car pour eux Hitler était « digne » du Prix Nobel de la Paix. A contrario, certains milieux, n’ayant pas saisi le caractère satirique de la lettre, l’avaient vivement rejetée. Brandt, par une lettre envoyée au Comité norvégien du Prix Nobel de la Paix la veille de l’annonce officielle des candidats, le 1er février 1939, informa qu’il retirait sa proposition. Il semble que le Comité ait compris le message : en 1939 le Prix Nobel de la Paix n’a pas été décerné. La rancune d’Hitler ne se fit pas attendre longtemps : le 9 avril 1940 il envahissait la Norvège.

Au cours du XXe siècle plusieurs présidents et hommes politiques américains ont obtenu le prix Nobel de la Paix. Deux d’entre eux retiennent une attention particulière : le premier est Wilson. Il est l’auteur des principes qui ont permis aux États-Unis de développer leur suprématie sur la scène internationale et de forger les ressorts de la « Pax americana ». Ils ont servi de base intellectuelle au Traité de Sèvres de 1918 qui permit le partage du territoire de la Turquie entre les pays occidentaux. Le second est le général Marshall, l’un des bâtisseurs du « rideau de fer » de la guerre froide et d’un Plan d’aide économique prétendument désintéressé aux pays européens à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.

Si, à première vue, la proposition d’attribuer le Nobel de la paix à Trump pouvait s’apparenter à une plaisanterie, à y regarder de plus près elle apparaît répugnante et effrayante. Cette sidérante proposition est lourde de significations sur les menaces qui pèsent sur la paix dans le monde. Elle exprime le visage barbare et tyrannique de l’impérialisme, de la montée de l’extrême droite et de l’impuissance du droit international.

L’attribution du prix à Trump romprait avec l’esprit même du Prix Nobel de la Paix.

Le Comité Nobel ne doit pas céder aux sirènes de l’impérialisme. Il doit choisir parmi les personnalités qui ont véritablement lutté pour la paix et consacré leur vie à cette cause.

5 octobre 2025

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