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Souviens-toi du 11 septembre 2001. La terreur, le monde et l’homme.

(French version only)
By
Professor, Law Faculty, Université Laval, Québec, Member of Tolerance.ca®

Cet essai ne se veut guère plus qu’une réflexion « sur le vif » au sujet du 11 septembre 2001 et des meurtres en masse qui ont lieu ce jour-là (1). C’est une réflexion philosophique sentant encore, littéralement parlant, le feu (et la fumée) de la catastrophe, ou simplement qui ressent, comme écho, les cris des innocents massacrés (2). Nos réflexions se concentrent sur « la terreur, le monde et l’homme », car ce sont effectivement de tels topoi qui se sont imposés à notre esprit ce jour-là (et les jours qui l’ont suivi).  

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Écrit « sur le vif », il faut toujours procéder rationnellement, d’abord en rappelant les événements du 11 septembre, tel qu’ils se sont déroulés pour nous ; ensuite, en évoquant les jours qui ont suivi cette date fatidique ; puis en réfléchissant sur les réactions surprenantes (et choquantes) des personnes qui se réjouissaient des assassinats ; et enfin en abordant la nouvelle forme « juridique » de terrorisme qui a pris corps à cette date.

Un jour qui commence comme tant d’autres et pourtant….

Ce matin du 11 septembre 2001, nous étions tout normalement à notre bureau. Comme presque tous les jours, en train de rédiger, de lire ou de corriger quelques articles, les nôtres ou ceux d’un de nos étudiants, ou simplement en train d’effectuer un travail universitaire quelconque. Honnêtement, nous ne pouvons plus vraiment affirmer ce que nous faisions au début de cette journée et, comme telle, cette date aurait eu toutes les chances de disparaître de notre mémoire sans aucune trace, comme une journée de travail parmi tant d’autres.

Ce fut la visite d’un collègue d’une autre université qui nous a apporté la nouvelle des événements survenus à New York, le matin du 11 septembre 2001. Nous nous remémorons encore ses paroles si simples, presque banales, résumant à peu près cliniquement les faits connus à ce moment-là : « les États-Unis ont fait l’objet d’une (ou plusieurs) attaque(s) terroriste(s), et le World Trade Center, à Manhattan, à New York, s’est écroulé et n’est plus qu’une ruine. » S’y ajouta l’information, qui se confirma par la suite, que le nombre de morts, de blessés et de disparus devrait certainement se compter par milliers de personnes.

Qu’il dise « vrai » n’était au début qu’une « peine », qu’un « pressentiment », qui grandissait graduellement en nous; en fait, une terrible prémonition qui devenait certitude et nous faisait comprendre qu’effectivement un terrible assassinat de masse avait eu lieu ce matin et, qu’à ce moment précis, des corps sans vie de femmes, d’hommes et d’enfants, reposaient, déchiquetés par milliers, à Lower Manhattan.

De femmes, d’hommes et d’enfants qui avaient certainement commencé la journée comme nous. Ils avaient pris un moyen de transport approprié pour se rendre à leur travail, à leur garderie, à leur école, à leur université, à toutes les activités qui avaient lieu dans le World Trade Center. Ils ont sûrement ri, pleuré, espéré, rêvé ou dansé, sans se douter que le terrorisme était aveugle et bête.

C’est sûrement à ce moment précis qu’est née la douleur que nous avons ressentie, même longtemps après les événements, en écoutant des imbéciles parler et croire que c’étaient « deux tours » qui s’étaient écroulées. Des idiots qui croient aux symboles et qui n’ont pas les capacités intellectuelles ou morales pour mobiliser une empathie humaine à l’égard des hommes, des femmes et des enfants qui ont pourtant été assassinés ce jour-là.

Il en est donc résulté, simplement, que cette tragédie ne pouvait représenter pour nous un « symbole » quelconque, les « deux tours », mais trouvait son origine dans un lieu humain où vivaient, travaillaient, étudiaient et s’amusaient des êtres en chair et en os. Et donc le début, la naissance, d’un appui douloureux, plus que solidaire, en faveur des êtres qui ont été emprisonnés dans un piège de glace et de béton pour y mourir atrocement brûlés, écrasés ou déchiquetés !

Une première contemplation et une première réflexion

Le jour 1 fut tout simplement saugrenu! Personne ne pouvait affirmer que les actes terroristes étaient entièrement accomplis ou si le pire était encore à venir.

L’attaque sur le Pentagone et l’information concernant un autre avion entre les mains des pirates de l’air ne pouvait que contribuer à créer une atmosphère apocalyptique. Plusieurs informations étaient tour à tour transmises : que la Maison-Blanche était évacuée, puis vide ; que le Président des États-Unis volait sur Air Force One quelque part ; que le vice-président avait regagné le bunker souterrain de commandement militaire ; que les sénateurs et les parlementaires étaient peu à peu acheminés vers les différents bunkers de coordination politique, militaire, stratégique, etc. Certes, la « fièvre » est retombée quand l’avion manquant (le quatrième entre les mains des terroristes) a été retrouvé écrasé au sol, en Pennsylvanie, ajoutant d’autres vies innocentes à la liste noire du terrorisme.

L’une des choses qui nous ont le plus effrayés et attristés a été de voir des personnes qui choisissaient de sauter des bâtiments en feu. Des sinistrés, des naufragés du « ciel », déjà conscients, hélas, de leur mort imminente et qui, en acceptant cette mort, choisissaient, à l’instant de cette dernière prière, quelques secondes de vie en plus, au lieu de brûler vivant en haut. Pour affronter le vide absolu entre une mort certaine en haut et une mort certaine contre les dalles, en bas ! Ces quelques secondes pour tomber, pour voler, jusqu’en bas, jusqu’à la mort ! Il y avait quelque chose de presque hallucinant, quoique toujours déchirant, de voir ces personnes qui sautaient en se prenant l’une et l’autre les mains en signe d’encouragement mutuel face à une mort certaine et atroce. Pour mourir écrasé quelques secondes plus tard sur le parvis du World Trade Center, Manhattan, New York, le matin un jour de septembre 2001 !

Danser sur le tombeau des innocents

Mais là encore, si les images choquent, il reste que les images ne sont jamais cruelles. Tristes et déchirantes, angoissantes et brutales plutôt, mais avant tout un rappel que la folie terroriste n’a jamais de limites.

Si les images ne sont pas cruelles, les hommes et les femmes le sont! Rien de tel que les images télévisées montrant des hommes, des femmes et des enfants qui dansaient pour célébrer ce massacre d’innocents à Naplouse, à Gaza, en Jordanie, en Égypte, et à d’autres endroits encore.

Ils se réjouissaient, s’amusaient et fêtaient la nouvelle contribution de chair offerte à Baal dans un enivrement, un délire néopaïen réclamant encore plus de sang, encore plus de chair fraîche. Comme de fidèles serviteurs, ils sont toujours prêts à satisfaire son appétit pour la chair humaine et ils dansent aujourd’hui, comme autrefois, pour le célébrer.

Il y avait effectivement quelque chose d’hallucinant dans la danse macabre, la danse lugubre, qui se déroulait là sous nos yeux. C’était si comme le monde était sorti de ses gonds! Voir tant de personnes qui se réjouissaient du meurtre de tant d’autres et qui se souillaient, sans retenue, de la complicité avec ces ignobles assassins, cela ne peut-il faire autrement que de nous rendre songeurs? Peut-être que seule la notion de « messe noire » peut finalement servir pour rendre compte d’un tel délire!

Tous ces gens de Naplouse, de Gaza, etc., faisaient-ils autre chose qu’une cérémonie noire, un acte d’adoration et de soumission à Baal, célébraient-ils simplement son appétit, son goût pour la chair fraîche des humains?  Que ces terroristes l’aient si bien servi en lui offrant tant de vies innocentes, cela ne fait certes aucun doute, mais existait-il vraiment des raisons de se réjouir?  De vouloir danser et se souiller pour glorifier Baal?

Terrorisme, massacre et droit

Jetons un regard sur le concept de « terrorisme », tel qu’il est habituellement compris à l’intérieur de la culture occidentale : il nous est possible de le définir comme se rapportant à « une revendication ou une vengeance, signée et revendiquée comme telle, et comme ayant un message (et cadre) politique, idéologique et économique identifiable et compréhensible ».

Ainsi donc, les définitions classiques du droit s’étant concentrées sur les revendications politiques, témoignant par là des aspects circonscrits de l’histoire politique occidentale, là où le 11 septembre demeure simplement unique dans sa folie, dans son hybris. Désormais, les terroristes laissent aux victimes (et à leurs proches) le soin de découvrir qu’il n’existe pas de raison à leur mort, à leurs mutilations, à leurs peurs et à leurs dos courbés. Désormais, cela doit simplement être ainsi : c’est notre état, notre situation, et gare à celui qui proteste ou qui élève la voix!

Si nous avons raison, même partiellement, n’est-ce pas un nouveau concept qui se lève? Un nouveau concept qui, reconnaissant que nous pouvons difficilement ajouter le suffixe «-isme » à « massacre », parce que « massacrisme » sonne mal, doit désormais, par lucidité, conjuguer le « terrorisme » ancien avec le fait de « massacrer » d’aujourd’hui. Peut-être que le nouveau concept de « terrorisme » devrait se lire comme suit :

«Le terrorisme, c’est terroriser, autant que possible et sur la plus grande échelle possible, les individus. C’est répandre la peur, l’angoisse, le sentiment que l’individu ne doit pas marcher debout et qu’il vaut mieux vivre le dos courbé et, dans ce but, effectuer des assassinats à aveuglent, ici et là, pour s’assurer que personne ne peut se sentir chez soi ou simplement en paix».

Une telle nouvelle définition du terrorisme doit surtout nous servir, en toute lucidité, pour comprendre le terrorisme contemporain. Nonobstant le fait qu’elle peut certainement être davantage développée, n’y a-t-il pas une étincelle qui s’enflamme et nous chuchote que désormais le terrorisme se conjugue avec « massacrisme ». Un massacrisme au plein sens du mot : tuer avec sauvagerie et en masse des êtres qui ne peuvent pas se défendre. Et donc également, un massacrisme qui fait peur, qui terrorise.

Épilogue

Y a-t-il une leçon à tirer de tout cela ? En fait, aucune! Mais peut-être que l’essentiel a déjà été dit, il y a fort longtemps de cela. Dans l’avertissement prophétique qui met l’homme en garde contre la souillure par le terrorisme et l’assassinat en masse. Ainsi, il est dit que (Esaïe 59) : 

            « Leurs pieds courent vers le mal,

            ils accourent pour verser le sang innocent;

            leurs pensées sont des pensées malfaisantes,

            sur leurs parcours, se trouvent dégâts et brisures.

            Ils ne connaissent pas le chemin de la paix,

            sur leur passage on ne rencontre pas le droit;

            leurs sentiers, ils se les tracent détournés

            quiconque y chemine ne connaît pas la paix. (..) ».

Et nous dans tout cela :

            « Nous espérions la lumière, et voici les ténèbres ». 

Notes

1. Notre essai reprend en abrégé un article ancien intitulé « Après le 11 septembre 2001. La terreur, le monde et l’Homme » publier dans Bjarne Melkevik, Tolérance et modernité juridique », Québec, Presses de l’Université Laval, collection Diké, 2006, p 133 – 147.

2. Le texte original de cet essai fut écrit en septembre – octobre 2001.

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21 septembre 2022



* Image : Wikipedia


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By Bjarne Melkevik

Bjarne Melkevik, L.L.D. Paris II, professor at the Faculty of Law, University Laval (Quebec), is a well-known author in legal philosophy, legal epistemology and legal methodology. His latest published books include “Horizons of legal philosophy” (1998 and 2004), “Reflections on legal... (Read next)

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