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Université d’Ottawa. De nombreux enseignants signent une lettre d’appui à la professeure Verushka Lieutenant-Duval

(French version only)

En condamnant publiquement et de façon unilatérale l’utilisation en classe du mot « nègre » par une enseignante de la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa, et en suspendant celle-ci, non seulement le doyen Kevin Kee s’est attaqué à la liberté d’enseignement des professeurs des études supérieures sur son campus, mais il a aussi abusé d’un pouvoir de coercition qui va dans le sens contraire du savoir et de la diffusion des connaissances.

 

Dans le communiqué du 2 octobre envoyé à la communauté universitaire d’Ottawa, M. Kee tranche sans ambages : « Ce langage était offensant et il est totalement inacceptable de l’utiliser dans nos salles de classe ainsi que sur notre campus. […] Toute personne à l’Université d’Ottawa a le droit à un environnement sans discrimination ni harcèlement, et le droit d’être traitée avec dignité et respect. »

Confusion

Il y a pourtant ici une confusion évidente. En réaction au traitement réservé à leur collègue, plus d’une trentaine de professeurs de l’Université d’Ottawa ont rappelé dans une lettre l’importance de distinguer le racisme sur le campus, qu’il faut évidemment dénoncer, et le rôle de l’enseignement universitaire, qui consiste à nourrir la réflexion et à développer l’esprit critique. Les étudiants et le doyen n’ont pas été en mesure de faire ces distinctions et de poser un jugement raisonnable sur l’incident, en prenant acte du contexte d’enseignement et de l’intention de la professeure.

Maintenant que de plus en plus de professeurs tentent de diversifier le contenu de leurs cours, comment pourra-t-on sans ce mot enseigner le très pertinent film «I Am Not Your Negro», de Raoul Peck, ou le courant artistique de la négritude de Léopold Sédar Senghor et d’Aimé Césaire?

Comment faire référence à l’ouvrage classique de Pierre Vallières, expliquer les significations multiples de « Speak white » dans le poème de Michèle Lalonde, évoquer l’univers de Toni Morrison ou l’oeuvre de Dany Laferrière «Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer», un livre éminemment satirique ?

Après Wendy Mesley, de la CBC, et la professeure Catherine Russell, de l’Université Concordia, c’est la troisième fois que l’on confond l’usage et la mention des mots. Dans le cas présent s’ajoute aussi une autre confusion, celle qui prévaut entre un acte d’agression et un acte de subversion. Pour enseigner la « resignification subversive » des mots, ce que faisait la professeure Verushka Lieutenant-Duval, encore faut-il pouvoir les mentionner.

Pour enseigner tout un pan des arts, de la culture, de la politique et de la société, il faut avoir à sa disposition des concepts historiques et nécessaires. Il est en outre inévitable que, dans certains cours, les enjeux complexes de la condition humaine puissent parfois heurter. Mais, comme l’a exprimé Alain Deneault dans son article « Cabale au Canada » paru dans Le Monde diplomatique :

« Le déchaînement des passions prive collectivement les esprits d’un espace propice à des positions créatives, hypothétiques, incertaines, quitte à errer parfois. »

Le doyen Kee aurait dû réaffirmer l’importance des arts et des sciences humaines. Il aurait ainsi fait preuve de pédagogie en rappelant aux étudiants qu’en voulant interdire des mots, on se prive aussi d’accéder à différents savoirs.

Éthique de la « gouvernance » ?

Dans la lettre « Il faut défendre la liberté académique des universitaires» parue en février 2019 dans un quotidien de Montréal, 450 professeurs d’ici et d’ailleurs dénonçaient déjà cette forme de dérapage. Ils critiquaient une nouvelle tendance présente dans la «gouvernance » des établissements d’enseignement supérieur qui, reprenant la conception verticale du pouvoir issue du modèle privé, subordonne la liberté de l’enseignement à l’arbitraire des doyens ou des recteurs. C’est exactement ce qui nous préoccupe ici.

Quoi qu’en disent certains, il est possible de dénoncer le racisme tout en exigeant que la mention du terme honni soit parfois valable et reçue de façon appropriée dans un contexte d’enseignement.

Certains diront qu’il est surtout nécessaire de revendiquer davantage de diversité chez les professeurs et d’oeuvrer activement à comprendre les raisons pour lesquelles certaines personnes se sentent lésées lors de semblables incidents. Sans aucun doute, mais le combat pour la diversité et contre le racisme devrait aller de pair avec la libre circulation des idées et des connaissances.

L’Université d’Ottawa se trompe de cible. On ne s’attaque pas au problème du racisme en punissant et en interdisant l’enseignement des mots, des oeuvres et des auteurs qui, au contraire, le révèlent et le combattent explicitement.

Comme l’a soutenu publiquement Dany Laferrière dans une entrevue pour France Culture tout récemment, ce n’est pas le mot qu’il faut éliminer, mais l’intention dans l’usage : « Dans la bouche d’un Blanc, n’importe qui peut l’employer. On sait quand on est insulté, quand quelqu’un utilise un mot pour vous humilier ou vous écraser. On sait aussi quand c’est un autre emploi. »

Il est urgent que les institutions d’enseignement supérieur se dotent d’une politique claire afin de protéger l’intégrité des connaissances et de ses passeurs, et cela doit passer entre autres par la reconnaissance du droit au désaccord raisonnable et à celui du principe de charité. Le contexte social et le clientélisme ne peuvent prévaloir sur la connaissance et sa diffusion. Nous attendons que le recteur et le doyen de la faculté des arts de l’Université d’Ottawa corrigent publiquement ce grave précédent qui attaque de front la liberté de l’enseignement, et qui mine le champ des connaissances et de la recherche.

Texte reçu de la part de

Marc-François Bernier (Ph.D.) Professeur titulaire,Département de communication, Université d'Ottawa

Une version précédente de ce texte avait comme titre «600 enseignants signent une lettre d'appui à...»

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20 octobre 2020

Mise à jour 22 octobre 2020



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