Le gouvernement Harper, par la voix de son ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles, a annoncé, le 4 mars 2009, l’octroi de 372 820 dollars à la Fondation Historica pour l’année 2008 -2009. Ce montant s’ajoute aux 17 millions de dollars annoncés en 2007 qui doivent être versés à la Fondation.
Selon son site Internet, Historica, serait «un organisme de bienfaisance fondé en 1999 par Charles R. Bronfman». Les activités éducatives de Historica bénéficient de l’expertise des membres de son conseil d’administration, dans lequel siège, entre autres membres, Stephen, le fils de Charles. Bronfman père, vit à New York depuis plusieurs années, il se classe au 20e rang des personnes les plus riches du Canada.
Selon les états financiers du rapport annuel de 2005, disponibles sur le site de la Fondation, le tiers des 7 millions et demi reçus en 2005 proviendraient de subventions gouvernementales. Parmi les donateurs privés y figurent, outre la Fondation de Charles Bronfman (CRB), plusieurs dizaines d’entreprises canadiennes et de fondations bancaires. La Fondation invite, par ailleurs, les visiteurs à faire des dons sur son site Internet.
Matériel éducatif ou de propagande ?
On se souviendra que la Fondation Bronfman (CRB) avait été liée à la controverse provoquée par les capsules les Minutes du patrimoine, produites par CRB et diffusées par Radio-Canada, à la fin des années 1990. On avait alors accusé ces capsules de faire de la propagande pro-canadienne et elles avaient dû être retirées des ondes. Les capsules continuent aujourd’hui d’être diffusées sur la chaîne anglaise de Radio-Canada et sont en vente également sur le site de la Fondation Historica.
Selon l’historien Alexandre Lanoix, qui s’est intéressé de très près aux activités de la Fondation et a consacré à cette dernière un ouvrage (Historica & Compagnie, Éditions Lux, 2007), il apparaît clair que le matériel préparé par cet organisme n'est pas en accord et contrevient même aux objectifs éducatifs des programmes d'études en histoire actuellement en vigueur au Québec. Alors qu'on tente, par le nouveau programme, d'extraire le nationalisme des cours d'histoire en les vidant de leur contenu, soutient Lanoix, on laisse la place libre à des organismes qui visent justement à produire du matériel faisant la promotion du nationalisme canadien.
Signalons que Lanoix ne s’est pas montré favorable, non plus, au manuel Parlons de souveraineté à l’école, qui avait été lancé en 2006 par le Conseil de la souveraineté car, selon l’historien, un tel projet ne valait guère mieux que ses équivalents pro-fédéralistes.
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Lorsqu’on est le moindrement curieux et qu’on tente de vérifier si certaines personnalités - mettons marxistes - qui ont marqué l’histoire du Canada auraient un article biographique sur le site bien pourvu de Historica (qui en outre publie sur le Net une Encyclopédie canadienne), on n’est pas surpris de découvrir que Fred Rose, le seul député communiste (juif au surplus) de l'histoire du Parlement canadien à être élu à deux reprises, à Montréal, ne se mérite pas une notice biographique complète, mais quelques mentions, ici et là, dans des articles portant sur les communistes canadiens (notamment sur Norman Bethune). Il est vrai que Rose fut accusé d’espionnage et déporté en Allemagne de l’est…
Un autre exemple d’orientation biaisée que nous offre Historica ? Voici ce qu’on nous apprend sous la rubrique Souveraineté (du Québec s’entend) au moment où j'écris ces lignes :
«La souveraineté a toujours été un sujet très important au Canada. Quand les Européens sont arrivés au pays au début du 16e siècle, ils se sont battus contre les Autochtones pour affirmer leur souveraineté sur le territoire. Puis, les Européens - Français et Britanniques - se sont affrontés souvent afin d'afficher leur puissance et leur domination quant aux nouveaux territoires conquis.
Le débat autour de la souveraineté est encore très présent de nos jours - dans la presse, dans les arènes politiques, et aux urnes, mais il se rend parfois jusque dans la rue et derrière les barricades».
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L’histoire du Canada, et surtout l’enseignement de cette histoire selon un prisme bien défini, semble être une préoccupation toute personnelle de monsieur Charles Bronfman, milliardaire et philanthrope, si l’on se rappelle qu’il a été le promoteur des Minutes du patrimoine et qu’il est le fondateur de Historica. On comprend son souci lorsque l’on sait la place qu’occupe l’immigration dans nos sociétés occidentales et la nécessité de consolider une identité nationale.
Mais lorsqu’une entreprise privée, aussi bienfaisante soit-elle, intervient directement dans les classes, n’y aurait-il pas lieu de s'en inquiéter ? Comment réagirait-on si une formation syndicale, un parti politique ou même - pourquoi pas ? - une secte, se présentait dans nos établissements, muni d'un conseil d'administration imposant, et offrait un contenu pédagogique tout prêt à nos professeurs, et ce, avec l’aide de notre gouvernement ? À quoi servent alors les ministères de l’éducation de nos provinces et les corps professoraux qui conçoivent les programmes ?
La question donc demeure : le gouvernement fédéral canadien se doit-il d'encourager et de financer des entreprises privées «de bienfaisance» pour qu'elles interviennent dans les salles de classe ?
Qu'en pensent les enseignants ?
Cette question ne mérite-t-elle pas un débat public ?
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Note
Sur les Minutes du patrimoine, voir aussi «Avez-vous une Minute?» par Nathalie Pétrowski, dans La Presse, 6 juin 2000.
Le 4 mars 2009