Depuis que le gouvernement Marois a rendu public son projet de charte des valeurs québécoises et qu’il a suscité le débat que l’on sait, les médias traditionnels ne cessent d’utiliser le mot «division». Ils ont tant besoin d’augmenter leur tirage face à la concurrence féroce des blogs et médias sociaux, qu’ils versent dans le sensationnalisme. «Division» sonne mieux que «débat» et les affirmations tranchées valent mieux que les nuances. Et au diable, la vérité !
Je cite ici les exemples les plus flagrants de ce sensationnalisme dont on trouvera les hyperliens au bas de cet article.
Le journaliste du quotidien Le Soleil claironne ainsi, mercredi 18 septembre 2013, que, selon un sondage CROP, «La charte des valeurs québécoises divise la population malgré l'appui massif des «catholiques pure laine». Si le gouvernement espère réduire la ligne de fracture, l'abandon de l'interdit sur le port de signes religieux s'impose», ajoute, péremptoire, l’auteur de l’article.
Cela est bien sûr coiffé de la manchette accrocheuse suivante : «Sondage CROP: l'interdit sur les signes religieux accentue la division» (voir l'image en tête de l'article).
Or, l’article contribue davantage à embrouiller les lecteurs qu’à les éclairer. Ainsi apprend-on que «…l'obligation de donner ou de recevoir des services publics à visage découvert fait l'unanimité : 81 % s'opposent à la burqa. Les citoyens sont à 71 % en faveur du devoir de réserve et de neutralité religieuse; à 63 % favorables à l'encadrement des accommodements religieux; et 54 % soutiennent une charte qui inscrirait la séparation de l'État et de la religion».
Mais, nous dit aussi le journaliste, «CROP rapporte que c'est justement le port de signes religieux ostentatoires qui ne rallie pas une majorité. Ils sont 42 % à soutenir une charte qui bannirait le voile islamique, le hijab, chez les employées de l'État».
Suit ensuite un portrait arbitraire de quatre types de Québécois que le sondeur a baptisés (c’est bien le mot employé dans l’article !) «catholiques pure laine» (auquel correspondraient 29 % des Québécois), «laïcs fermés» (21 %), «croyants tolérants» (29 %) et «laïcs ouverts» (21 %).
Parmi les «laïcs fermés», composés de 57 % d'hommes, le sondeur et le journaliste du Soleil donnent, comme exemple, le sociologue Guy Rocher. Et le porte-parole de CROP d’ajouter : «C'est mon sentiment que tout ce débat (…) n’intéresse pas beaucoup» ce type de Québécois.
Ce débat n’intéresserait pas le sociologue Guy Rocher ?
Ce dernier est pourtant le signataire de la «Déclaration des Intellectuels pour la laïcité. Pour un Québec laïque et pluraliste», laquelle déclaration affirmait que «Pour qu'une société soit authentiquement pluraliste, c'est-à-dire respectueuse de toutes les convictions en matière de religion, il est nécessaire que l'État et ses institutions s'obligent à une totale neutralité à l'égard de ces convictions». Voilà donc Guy Rocher catalogué «Laïc fermé» et peu intéressé par ce débat.
De plus, le journaliste du Soleil ne se donne pas la peine de questionner le moindrement les affirmations et autres propos discutables du sondage .
Voulez-vous un autre exemple de ce type d'information ambigu ?
Le réseau TVA, de Québécor, claironnait aussi aux informations de 22 heures, lundi 16 septembre 2013, que le projet de Charte «divisait» la population.
Pourtant un article de Canoë, média qui appartient aussi à Québécor, indiquait le même jour que :
«La mesure phare du projet de charte des valeurs, l'interdiction du port de signes religieux ostentatoires par les employés de l'État, reçoit tout de même l'appui de 51 % des sondés. Chez les francophones, cet appui grimpe à 58 %. »
L’article ajoutait que «Plus de la moitié des Québécois croient aussi que le projet de charte des valeurs est nécessaire pour éviter les crises d'accommodements religieux dans le futur. Il y a trois semaines, 48 % des Québécois disaient plutôt croire que le projet de charte allait «créer plus de chicanes».
Le tout était évidemment coiffé d’un air connu : «Sondage: les québécois divisés sur la charte des valeurs».
Afin que tout le monde puisse voir plus clair, ne faudrait-il pas que les journalistes indiquent à leurs lecteurs les hyperliens pointant directement aux résultats des sondages sur les sites mêmes des firmes ? Cela n’empêcherait nullement aux commentateurs de les analyser avec preuves à l’appui et cela permettrait aux lecteurs des médias traditionnels de ne pas dépendre de la seule lecture du (ou de la) journaliste.
Si la firme Léger et Léger rend publics les résultats de ses sondages sur son site Internet, cela n'est pas encore le cas de CROP.
Liens aux articles cités :
Sondage CROP: l'interdit sur les signes religieux accentue la division
Projet de charte. Sondage: les québécois divisés sur la charte des valeurs
18 septembre 2013