par Nicole Filion, coordonnatrice, Ligue des droits et libertés
Nous ne devons pas oublier ce qui fut à l’origine de la Commission Poitras: l’affaire Matticks dans laquelle les policiers chargés de mener l’enquête criminelle avaient fabriqué de la preuve, ce qui avait mené à l’arrêt des procédures dans ce procès pour trafic de stupéfiant.
Nous ne devons pas oublier que les policiers chargés ensuite de faire enquête sur leurs collègues ont dû faire face à l’intimidation et se sont butés à une loi du silence semblable à celle des milieux criminalisés, selon les termes même du Rapport Poitras. Nous ne devons pas oublier non plus que le Juge Bonin, chargé par la suite du dossier a été contraint de s’en dessaisir suite au vol de tout le dossier survenu dans son propre bureau. Ce qui amènera la Commission Poitras à conclure dans son rapport par ces mots : Qui police la police?
Le ministre de la Sécurité publique, Monsieur Dutil prétend que le projet de loi 46, Loi concernant les enquêtes policières indépendantes, constitue une véritable réforme du mécanisme d’enquête de la police sur la police. Il espère rassurer la population dont la grande majorité évalue que ces enquêtes n’ont tout simplement plus aucune crédibilité. Or, ce n’est pas d’une réforme qu’il s’agit puisque le mécanisme actuel est maintenu: ce seront des policiers qui continueront d'enquêter sur des policiers. Ces enquêtes ne seront pas encadrées par des règles énoncées par voie législative mais par voie de directives qui émaneront du ministre de la Sécurité publique, ce qui est exactement le cas actuellement.
Le ministre de la Sécurité publique, qui n’a aucune impartialité ni aucune indépendance sur ce sujet puisqu’il est le ministre responsable de la Police, tente d’induire l’Assemblée nationale et le public en erreur en présentant un simple maquillage comme une réforme : créer un bureau de « surveillance » composé de civil sans investir ses membres d’aucun pouvoir, alors que ce Bureau deviendra le véritable « garant » de l’impartialité de l’enquête, c’est tout simplement proposer un leurre.
En effet, l’observateur qui se verra confier, par le Bureau de surveillance, le mandat de "surveiller" l'enquête menée par un autre corps policier ne peut que visiter les lieux où s’est déroulé l’événement. Il ne peut que communiquer avec le représentant désigné à cette fin par le corps policier chargé de cette enquête. À noter qu’il lui est interdit "d'entrer en contact directement ou indirectement avec un membre du corps de police chargé de mener l'enquête, ni avec un membre du corps de police impliqué dans l'événement". Il peut demander au représentant désigné tout renseignement ou document qu’il jugerait utile, mais encore faut-il qu’il connaisse l’existence de telle information ou de tel document pertinent.
Si cet observateur en venait malgré tout à constater une irrégularité de nature à compromettre l'impartialité de l'enquête, il appartiendra alors au Ministre de désigner un autre corps de police pour reprendre l'enquête. Compte tenu que la personne chargée de surveiller l'enquête ne peut communiquer avec ceux qui la mènent ni avec ceux qui font l'objet de l'enquête, on peut se demander à bon droit comment cette personne pourra s'y prendre pour faire un constat d'irrégularité et, s'il advenait qu'elle y arrive, on ne se retrouvera pas plus avancés qu’au point de départ, ce qui fera perdurer l’enquête. Il y a fort à parier que les constats d’irrégularité seront très peu nombreux. Et on peut à juste titre craindre que la mise en place de ce Bureau civil de surveillance ne serve en bout de ligne qu'à donner caution aux enquêtes qui continueront d'être menées par des policiers.
De plus, le projet de loi maintient le mécanisme d'enquête au cœur même du système policier et, afin de bien marquer le coup, les dispositions s'intègreront à la Loi sur la police. Alors que l'on demandait qu’il soit placé sous la responsabilité du ministre de la Justice, le mécanisme demeurera sous la responsabilité du ministre de la Sécurité publique, lequel n'a pas l'indépendance requise pour ce faire étant donné que l'une des missions du ministère est d'assurer la gestion des corps policiers.
Nous ne voulons pas de cette fausse réforme qui est dangereuse par surcroît. Nous continuerons de réclamer une loi spécifique édictant des règles strictes sur la manière de mener les enquêtes lorsqu’un policier est impliqué dans la mort d’une personne ou lui cause des blessures. Ce mécanisme d’enquête civil doit être totalement indépendant des corps policiers. La Loi doit imposer des sanctions aux policiers témoins qui refusent de collaborer à ces enquêtes. Elle doit aussi, imposer en tout temps la divulgation des résultats de l’enquête et des motifs détaillés de la décision de ne pas entreprendre de poursuites criminelles.
16 décembre 2011