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Réponse au juge Blanchard. L’attachement à la diversité interculturelle serait-il moins marqué chez les francophones ?

par
Ph.D., Université de Montréal, Directeur, Tolerance.ca®

Je trouve choquante l’affirmation du juge Marc-André Blanchard, citée par Josée Legault dans sa chronique de mercredi 21 avril 2021 dans le Journal de Montréal, selon lequel l’attachement à la diversité interculturelle serait moins marqué chez les francophones que chez les anglophones.

On me permettra d’apporter un correctif à l’affirmation du juge, car ce concept de la diversité interculturelle a été développé au Québec et mis en œuvre par les nombreux programmes du ministère de l'Éducation (dont le programme des langues d'origine – le PELO) et surtout par ceux du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, dont le titulaire fut d'abord Jacques Couture et ensuite Gérald Godin.

Il faudrait aussi rappeler l'élaboration de la Politique québécoise du développement culturel, mieux connu sous le nom de Livre blanc sur la culture, que le ministre d'État au développement culturel, Camille Laurin, avait déposé à l’Assemblée nationale, en mai 1978, politique à laquelle l’éminent sociologue Fernand Dumont fut activement associé.

Pour ce qui touche à l’immigration, un chapitre entier du Livre blanc sur la culture se penchait sur la place des minorités au Québec et ce probablement pour la première fois dans l’histoire des partis politiques québécois. Et, ce qui est frappant pour un mouvement nationaliste, que certains accusent aujourd’hui de tous les maux, le Livre blanc du gouvernement Lévesque considérait tous les groupes d’une autre origine que canadienne-française comme faisant partie intégrante de la culture québécoise. Il y était aussi question, bien entendu, des Premières nations.

Le Livre blanc, et Fernand Dumont n’était certainement pas étranger à cette approche, proposait des actions concrètes pour que l’on connaisse mieux le Québec français dans les milieux ethnoculturels et pour sensibiliser la population francophone aux besoins et à l’apport de ces groupes à la société québécoise.

L’école et surtout les médias étaient, de plus, au centre de cette stratégie de sensibilisation.

Il n’est donc pas inutile de rappeler ces actions mises en oeuvre  à l’intention des communautés culturelles par le mouvement indépendantiste, à plus forte raison lorsqu’on accuse les souverainistes de pratiquer une « dérive identitaire ».

Bien que l’on connaisse l’œuvre poétique de Gérald Godin, comme aussi son travail à la tête des Éditions Parti Pris, il nous faudrait aussi mieux connaître son action politique. Il avait battu, comme on le sait, le premier ministre sortant Robert Bourassa dans sa propre circonscription de Mercier aux élections de novembre 1976 qui portèrent le Parti Québécois au pouvoir.

J’ai eu le plaisir et l’honneur de le rencontrer à l'occasion d’un entretien qu’il m’avait accordé lorsque je venais de fonder la revue Jonathan (1) en octobre 1981. Il déclarait dans cette entrevue qu’il y avait «80 nations au Québec».

Godin avait succédé en novembre 1980 à Jacques Couture à la tête du ministère de l’Immigration et il poursuivra l’œuvre de son prédécesseur, qui était lui-même particulièrement sensible à la condition des immigrants et des réfugiés (notamment à celle des réfugiés du Viêt Nam).

Lors du deuxième mandat du gouvernement Lévesque, qui sera réélu en avril 1981, Gérald Godin sera reconduit à la tête de ce ministère dont le changement de nom exprimera aussi une nouvelle orientation. Le ministère s’appellera en effet ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration, ce qui démontre l’intérêt de son titulaire et de ses collaborateurs à l’endroit des groupes ethnoculturels. Le nouveau nom répondait ainsi aux objectifs du Livre blanc que j’évoquais plus haut.

La même année – il y a donc déjà 40 ans -, le ministre des Communautés et de l’Immigration rendra public son Plan d'action du gouvernement du Québec à l'intention des communautés culturelles, dont le titre imaginatif et combien rassembleur m’émeut toujours : «Autant de façons d’être Québécois ».

Sait-on aussi que, sous l’égide de ce ministère et grâce à la sensibilité des ministres Jacques Couture et Gérald Godin, la télévision d’État québécoise - Radio-Québec devenue depuis Télé-Québec - engageait des dizaines de réalisateurs et de réalisatrices issu-e-s des communautés culturelles, dont Tahani Rached et Paul Tana, pour produire une centaine d'émissions qui traitaient de l'histoire des groupes ethnoculturels et de leur vécu quotidien ? Cela ne s’était jamais vu et ne s’est pas reproduit depuis. La série s’intitulait «Planète» et elle fut diffusée à la fin des années 1970 et au début des années 1980.

Faut-il rappeler également que c’est le Parti Québécois qui fit élire, en 1976, Jean Alfred, le premier député noir de l’Assemblée nationale du Québec ? Et que c’est une Québécoise d'origine grecque, Nadia Assimopoulos, qui fut pendant de nombreuses années à la tête du Parti Québécois, d’abord en tant que vice-présidente et ensuite à titre de présidente.

Peut-être qu’un jour, lorsqu’on s’intéressera sérieusement à ce qui s’est fait dans notre passé pour faire connaître le Québec français aux groupes ethnoculturels, trouvera-t-on le moyen de montrer ce que le gouvernement du Parti Québécois, dirigé par René Lévesque, avait réalisé de manière concrète en ce qui touche, ce qu’on appelle aujourd’hui, la « diversité ».

Ces actions devraient s’inscrire dans la mémoire québécoise et particulièrement dans la mémoire indépendantiste, ce qui permettrait ainsi d’apprécier ceux et celles qui, dans ce mouvement, ont accompli des actions concrètes de rapprochement et de reconnaissance mutuelle.

De telles réalisations ne reflètent-elles pas l’intérêt réel du mouvement indépendantiste à l’endroit des groupes ethnoculturels et ne méritent-elles pas que les nouvelles générations de souverainistes s’en souviennent et s’en inspirent ?

Ce qu’il faut en outre retenir de ces actions, c’est que le mouvement souverainiste a réussi à sensibiliser la population à la diversité culturelle et historique du Québec, sans pour autant renier les traditions et le riche patrimoine des Québécois francophones.

Et cela a eu lieu à la fin des années 1970, bien avant que le multiculturalisme ne soit ce qu’il est devenu aujourd’hui : la nouvelle religion du fédéralisme canadien.

Le Québec et le mouvement souverainiste ont donc des raisons d’être fiers de ces réalisations, monsieur le Juge, fiers d’avoir été à l’avant-garde en ce qui touche la diversité interculturelle.

Victor Teboul est le directeur du magazine en ligne Tolerance.ca. Il a été professeur de littérature au collège Lionel-Groulx et a enseigné l’histoire des communautés culturelles à l’Université du Québec à Montréal. Il est l’auteur notamment de l’essai « Les Juifs du Québec : In Canada We Trust. Réflexion sur l’identité québécoise » (L’ABC de l’édition, 2016). Site Internet : www.victorteboul.com

Notes

  1. On trouvera plus d’informations sur Jonathan ICI.

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Lien à l'article de Mme Josée Legault :

https://www.journaldemontreal.com/2021/04/21/loi-21-rester-au-sein-du-canada-a-un-prix

23 avril 2021





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Merci!
par Marielle Beauregard le 24 avril 2021

Merci M. Teboul, Vous m’avez appris des choses que j’ignorais, que j’aurais dû connaître vu mes 71 ans, et je m’engage à partager votre texte clair et concis afin que davantage de gens apprennent notre chemin, notre histoire à ce sujet. Je suis des plus ouvertes à partager ma vie, notre beau Québec, avec les gens que l’on accueille et souffre cependant du manque d’intérêt qu’ils ont souvent à nous comprendre, nous mieux connaître! Merci encore et souhaite que les occasions où les gens osent prendre la parole positivement et intelligemment se multiplient! Une amoureuse du Québec, et des autres, pour un meilleur vivre-ensemble!
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Victor Teboul est écrivain et le directeur fondateur de Tolerance.ca ®, le magazine en ligne sur la Tolérance, fondé en 2002 afin de promouvoir un discours critique sur la tolérance et la diversité. 

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