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Slav : les vrais perdants

par
Ph.D., Université de Montréal, Directeur, Tolerance.ca®

La première leçon à tirer de ce qu’on appelle maintenant la controverse Slav, c’est qu’il faut crier haut et fort, et en manifestant en groupes, pour qu’on vous entende. Car le monde de la culture, au Québec, comme sans doute en Europe, est lent, très lent, à réagir, lorsque l’establishment culturel  - ou l’institution – est remis en question, et – en plus – par des «minorités» ou par des groupes qui sont extérieurs à ce milieu. Je mets le mot «minorités» entre guillemets car, justement, ce ne sont plus des minorités. Et c’est ce que le monde culturel québécois – et les Québécois en général – n’ont pas encore saisi. 

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Si l’on parle tant de diversité et d’inclusion, c’est que le monde occidental est composé aujourd’hui de minorités qui ensemble forment une nouvelle majorité. La majorité «arc en ciel» d’autrefois ne comprend plus uniquement les LBGTQ, mais tous les groupes d’une société, qui réclament à juste titre une reconnaissance dans tous les secteurs de notre société, et à plus forte raison dans le monde des représentations. N’est-il donc pas naturel que la culture reflète cette réalité ? Si des artistes et des intellectuels de la communauté noire avaient été impliqués dans la production de Slav, les réactions n’auraient-elles pas été toutes autres ?

Or, au Québec, contrairement, à ce qui se fait dans le monde médiatico-culturel nord-américain, on se contente d’accorder une place symbolique à des «tokens» noirs, afin de se donner bonne conscience, en pensant que l’on a fait sa part en répondant à des exigences de quotas.

Ce qui m’a frappé dans toute cette controverse, c’est l’absence de débat, et ce, contrairement à ce que certains ont affirmé. Si le Théâtre du Nouveau Monde reflétait vraiment le «Nouveau» monde, n’aurait-il pas été possible de louer une salle pour écouter les deux points de vue dans cette affaire et pour en débattre ? Mais pour que cela ait pu avoir lieu, il aurait fallu que le monde du théâtre n’ait pas eu cette attitude hautaine en répliquant que sa réponse se trouvait dans la représentation, dont les prix des billets, soit dit en passant, étaient inabordables, et que le spectacle affichait, en plus, complet.

Pour ma part, je salue les protestataires qui ont osé défier l’establishment du monde médiatique et culturel québécois, qui me semble peu sensible aux différences existant au sein de la société québécoise.

J’ai pu constater et déplorer, encore une fois, l’unanimité des condamnations des manifestants de la part de pratiquement tous les commentateurs, chroniqueurs et chroniqueuses du Québec. Leurs commentaires montraient bien qu’ils refusaient la remise en question d’un de leur réputé dramaturge, parfait représentant justement de l’establishment culturel québécois. Cette unanimité reflète bien en outre le fait qu'au Québec, la culture comme d’ailleurs l’histoire continuent d’être dominées par un monde ancien.

Je connais bien cette situation ayant reçu un accueil glacial lors de ma récente conférence à l’Université du Québec à Montréal, où j’ai osé aborder les approches en vase clos de l’histoire du Québec et leurs répercussions sur les études juives publiées en français au Québec  par des auteurs qui, la plupart du temps, ne sont pas juifs.

Contrairement cependant aux Juifs du Québec, les Noirs en protestant contre le fait qu’ils s’estiment absents de la représentation d’une page fondamentale de leur histoire, montrent bien, non seulement qu’ils dénoncent cette absence,  mais qu’ils revendiquent leur appartenance au Québec.

C’est cette idée de leur appartenance à la société québécoise que je retiens dans les protestations, même si cela s’est fait la plupart du temps en langue anglaise. Cela étant dit, il est important que les Noirs du Québec ne projettent pas sur la société québécoise les discriminations dont ils sont victimes aux États-Unis. Connaît-on une société blanche qui s’est réjouie, comme l’a fait le Québec, lorsque le seul auteur québécois à avoir été élu à l’Académie française fût un Noir ? 

Si l’establishment du monde théâtral québécois gagnerait à s’ouvrir davantage aux réalités plurielles de notre société, il est vrai aussi qu’il n’est pas toujours aussi insensible qu’on le pense aux différences culturelles, sinon comment expliquer la reconnaissance accordée, notamment, à un Wajdi Mouawad, qui jouit aujourd’hui d’une réputation internationale ? De plus, depuis de nombreuses années, des organismes qui appartiennent moins à cet establishment culturel, tel que Montréal arts interculturels, produisent des représentations qui reflètent à tous les points de vue la diversité montréalaise.

C’est la diversité justement qui devrait nous obliger à être vigilants et à nous opposer vigoureusement à ce qu’on appelle l’appropriation culturelle. C’est  l’interaction entre les différentes composantes de notre société et l’esprit critique qu’il nous faut valoriser. Les arts et la pensée, faut-il rappeler, n’ont pas de frontière. Comme il faut s’opposer aussi à ce que certains, dans la communauté noire, ont proposé, à l’effet que des organisations communautaires soient consultées dans l’élaboration d’un projet artistique. Les organisations communautaires (noires, juives, arabes) remplissent d’autres rôles - sociales, éducatives sans doute -, mais non pas artistiques. Les arts doivent préserver leur indépendance et leur approche critique vis-à-vis de tous les groupes.

Ce qu’il faut déplorer finalement dans l’affaire Slav, c’est que nous avons tous été perdants : nous avons été privés d’une intelligente interaction entre les différents protagonistes (pour utiliser un vocabulaire de circonstance) ainsi que de la représentation du spectacle.

7 juillet 2018



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par Victor Teboul

Victor Teboul est écrivain et le directeur fondateur de Tolerance.ca ®, le magazine en ligne sur la Tolérance, fondé en 2002 afin de promouvoir un discours critique sur la tolérance et la diversité. 

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