Depuis 43 ans, je fête Yom Kippour comme la fille aimante d'un père juif et d'une mère catholique. La synagogue et le jeûne autrefois, le repas et l'intention maintenant. Je ne sais pas ce que mes enfants retirent de cela sinon un lien filial, le boulou que je ne cuisine à aucun autre moment et le respect un peu aveugle des racines. Mais plus je vieillis, plus je mesure la profondeur de cette fête qui invite avec audace au pardon et à la réconciliation.
Purifier le corps, l'esprit, pardonner, se réconcilier.
Je suis entourée de juifs très différents. Tous sionistes. Des purs et durs, des gens très tolérants et ouverts, des gens très inquiets, des rescapés de la Shoah, des érudits, des ignorants. Depuis toujours, je baigne dans cette tension douloureuse entre ici et Israël, eux et nous, gagner ou perdre, avoir le droit de dire, l'envie de se taire, l'espoir et la résignation. Et l'incompréhension des amis, bien souvent. Plus le temps passe et moins on se comprend. Pendant ce temps-là, le mur se rapproche.
Et puis j'ai grandi dans une famille un peu croche, très aimante, guidée par deux parents sensibles, issus de deux mondes opposés, qui n'ont pas su se comprendre et se pardonner de ne pas se comprendre. Mais ils ont bâti leur maison, des liens forts et quatre enfants, ma foi, assez originaux. Libres en tout cas. Ce n'est pas une mince réussite, ça.
Si j'ai pris refuge dans le bouddhisme, c'est en partie parce que je porte un immense besoin de paix et de réconciliation. De pacification. J'ai reçu cela en héritage. Mais quel chemin a priori insensé que le pardon. C'est presque contre-intuitif a priori, à l'encontre de l'instinct de survie. Quel chemin incertain que la réconciliation quand l'histoire nous a blessés. Quelle épreuve pour la confiance... Mais quel soulagement de déposer le fardeau de la haine pour gagner petit à petit une autre rive.
Certains diront que le pardon est faible. La revanche, un meilleur bastion. Pendant ce temps, le mur se rapproche.
Je me demande aujourd'hui, à la veille de Yom Kippour, jour du Grand pardon, fête la plus importante et la plus solennelle du judaïsme, comment nous pourrions répondre à cette invitation et pratiquer ensemble. Je me demande ce que Salomon, le sage, dirait au Bouddha de l'état dans lequel nous nous trouvons. Et ce que Bouddha, le fulgurant, lui répondrait. Je me demande s'il est encore possible de se réconcilier. Et je me demande surtout si nous laisserons le coeur des hommes se laisser décapiter.
3 octobre 2014