L’équilibre sociopolitique irakien hérité du diktat de l’occupant américain est très fragile. Il peut se rompre à tout moment. La politique confessionnelle de Nourri Al-Maliki, sortie tout droit du laboratoire néoconservateur de la destruction constructive, si elle maintient pour le moment la mainmise chiite sur le pays, renforce les insurgés sunnites de l’EIIL et peut aboutir à terme à l’implosion de l’Irak. Menaçant la sécurité nationale des pays du voisinage et leur intégrité territoriale.

L’Irak n’a jamais été aussi proche qu’il l’est aujourd’hui de l’implosion! Des frontières quasi culturelles se sont affirmées et solidifiées dans les années post-invasion américaine, séparant de facto les trois principaux groupes du pays: la majorité chiite arabe et les minorités sunnites arabe et kurde. La politique confessionnelle menée par le premier ministre Nourri Al-Maliki a renforcé cette division au point d’aggraver les tensions intercommunautaires. Cette polarisation pourrait à terme causer la perte du pays.
Nourri Al-Maliki est le problème et non la solution pour l’équation irakienne
Le chiite Nourri Al-Maliki se méfie de la minorité arabe sunnite de son pays. À l’image des membres de sa communauté confessionnelle, il reste marqué par les souvenirs douloureux des années du sunnite Saddam Hussein. Un tyran qui avait régné sur son pays sans partage et à la pointe des fusils de son armée et de la terreur de son régime policier.
Pour les Chiites, l’invasion américaine et la chute de la Maison Hussein étaient une divine surprise. Elles leur avaient ouvert un grand boulevard vers le pouvoir. Achevant de changer à jamais la face de l’Irak comme on le connaissait jusqu’au mois de mars 2003.
Forts de l’onction démocratique, les leaders politiques chiites ont cru que la loi du nombre et leur martyr des décennies durant leur donnent la légitimité nécessaire pour prendre leur revanche historique sur la minorité sunnite arabe, imposer leur mainmise sur le pouvoir et gouverner tout seuls le pays. À ceux qui leur conseillaient de partager le pouvoir, entre autres, avec la minorité sunnite arabe, ces chiites ont préféré faire la sourde oreille. Le nettoyage confessionnel de plusieurs zones naguère mixtes n’a fait qu’envenimer la situation.
Le refus catégorique du premier ministre Maliki de voir les sunnites arabes s’intégrer réellement au processus politique et prendre part au partage du pouvoir et de la rente a alimenté grogne et aliénation dans les régions majoritairement arabes sunnites. Les pressions à ce chapitre de l’indispensable allié américain n’ont pas réussi à lui entendre la voix de la raison. Faisant désespérer d’impuissance une administration Obama qui voulait à tout prix faire croire à son opinion publique à un Irak en voie de normalisation.
Comme si cela n’était pas suffisant, les populations de plusieurs villes d’Al-Anbar, de Salaheddine et de Ninive ont énormément souffert de la politique de marginalisation et des pratiques répressives du gouvernement autoritaire de Bagdad (arrestations arbitraires par les forces spéciales, torture de milliers de jeunes sunnites et élimination de figures politiques locales susceptibles de représenter une menace pour l'ordre autocratique). Le sectaire Maliki a également abandonné à leur sort par exemple les habitants de Fallouja, une ville-rebelle et presque totalement détruite en lien avec sa résistance à l’occupation américaine. Son aviation n’a pas hésité à larguer sur cette cité des barils bourrés d’explosifs.
Le mélange explosif du style de gouvernement autoritaire de Maliki et la culture de revanche historique des Chiites ont facilité le rapprochement entre cette partie sunnite arabe de l’Irak et les insurgés extrémistes de DAICH.
L’État islamique en Irak et au Levant s’invite en Irak
L’État islamique en Irak et au Levant (EIIL ou DAECH) est une organisation jihadiste transnationale, ultra-radicale et aux méthodes brutales et expéditives connues désormais de tous dans la région et au-delà. Un trait qui a attiré dans son giron des milliers de jeunes gens venus en Syrie de plusieurs pays arabes, occidentaux et du Caucase pour combattre les forces régulières de Bachar Al-Assad. Le recrutement de ces jihadistes est porteur de menace à la sécurité de leur pays d’origine en cas de leur retour chez eux vivants. L’exemple de l’auteur présumé de la tuerie du Musée juif de Bruxelles est à cet égard riche en enseignements.
L’EIIL est très active en Irak et en Syrie. Dans ce pays, elle sert de facto la stratégie guerrière de l’homme fort de Damas. D’ailleurs, elle s’est à ce jour montrée davantage portée sur la guerre contre ses opposants de l’Armée syrienne libre (ASL) et du Front Nosra que contre ses soldats. Damas lui rend souvent la politesse… En Irak, elle sert de fer de lance à une coalition de groupes sunnites, dont des tribus, opposés à la politique sectaire et répressive de l’homme fort de Bagdad.
DAECH rêve de bâtir un Califat islamique à cheval sur le Liban, la Syrie et l’Irak. Un projet suréaliste et irréaliste! Son mépris des données de la sociologie syrienne et la présence sur le terrain de forces d’opposition hostiles à son égard l’en empêcheront. Sans parler de l'éventuelle réaction d'autres acteurs hostiles à ce type de projet idéologique radical et menaçant pour la sécurité nationale et l'intégrité territoriale de plusieurs pays de la région.
La politique autoritaire et sectaire du gouvernement de Bagdad a fait de facto du premier ministre Maliki le meilleur des alliés que pouvait espérer quelqu’un comme le chef de DAECH Abou Bakr Al-Baghdadi (1971-), Ibrahim Awad Ibrahim Ali Al-Badri de son vrai nom. Ce natif de la ville irakienne de Samara a su exploiter l’aliénation des provinces arabes sunnites à l’endroit du pouvoir central pour conclure des alliances avec des figures tribales ou issues de l’ancien régime de Saddam Hussein pour s’implanter et donner de l’ampleur et de l’épaisseur au mouvement aux destinées duquel il préside depuis 2010, date de l’élimination de son prédécesseur immédiat par l’armée américaine. Il est depuis 2011 recherché activement par le gouvernement américain. D’où son extrême prudence et le secret entourant ses déplacements sur les champs de bataille.
Sa prise rapide le mardi 10 juin du contrôle de la province pétrolière de Ninive et de son chef-lieu Mossoul, la deuxième ville du pays et où vivent deux millions d’habitants, sa progression dans la province de Salaheddine et la débandade à Mossoul des forces militaires et de sécurité irakiennes et son annonce de marcher sur Bagdad ont stupéfait l’homme fort de Bagdad et l’ont acculé à demander de l’aide auprès, entre autres, de ceux-là même qu’il affectionnait jusque-là, avec un plaisir non dissimulé, de mépriser et de réprimer, les Arabes sunnites. Ayant échoué pour le moment à amener les Américains à bombarder les camps de DAECH, il s’est tourné vers l’Iran pour lui venir en aide. Téhéran n’a pas traîné les pieds avant de dépêcher à Bagdad le chef des Brigades Al-Qods, unité d’élite des Gardiens de la Révolution, pour sauver le soldat Maliki. Des unités des forces spéciales iraniennes sont également arrivées en renfort de l'armée irakienne.
Si les combattants de DAECH devaient continuer sur leur lancer vers le sud et arriver sans réelle entrave jusqu’à Bagdad, cela signerait la fin de l’Irak dans ses frontières actuelles et la naissance sur ses décombres de trois entités distinctes: le pays chiite, le pays kurde et le pays sunnite. Achevant un processus commencé au lendemain de la chute de Bagdad aux mains des boys de George W. Bush.
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L'heure en Irak est gravissime! Son intégrité territoriale et sa sécurité nationale sont plus que jamais menacées par l'avancée fulgurante de l'EIIL. Le scénario le plus optimiste serait de voir une véritable réconciliation nationale entre les trois composantes de la fabrique sociale irakienne. Une issue qui semble aujourd'hui irréaliste. Les tensions confessionnelles entre Arabes chiites et sunnites sont tellement exacerbées et le rêve d'indépendance des Kurdes irakiens semble tellement à leur portée que l'heure de la réconciliation de tous et de leur cohabitation encore au sein du même pays semble à terme révolue. Si cette hypothèse devait se réaliser, l'équilibre de toute la région serait affecté durablement.
12 juin 2014