Tariq Ramadan a toujours appelé ses antagonistes à lire ses ouvrages avant de débattre de ses positionnements. C’est ce que j’ai essayé de faire dans le but de me faire une idée sur ce qu’il avance et puis comparer ce qu’il a documenté comme écriture avec ce qu’il avancé lors des débats qu’il a animés sur les plateaux de télévisions ou sur des vidéos que des amiES ont postées.
Ma distanciation par rapport à Mon intime conviction(1) n’est en réalité qu’un suivi. Elle n’est pas vraiment une lecture spécialisée qu’un critique ou un anthropologue peut déconstruire.
Peut-on qualifier cet ouvrage comme justification d’une accusation ? Tariq Ramadan, en récusant les accusations qu’on lui inflige, n’est- il pas entrain de les reproduire ? Autrement dit, l’ouvrage explique le pourquoi d’une médiation conçue pour certains comme hypocrisie ou double discours.
Déjà, comme il le raconte dans les premiers pages de son livre, les prémisses d’un cheminement caractérisé par un changement de cap, si j’ose dire, se sont révélées lorsque il abandonne le travail associatif pour aller se doter de ce qu’il appelle une approche réformiste. Ne s’agit-il pas d’une conversion en prédicateur ? Je pose la question car la fonction de médiateur qu’il prétend adopter pour réconcilier la culture et la religion, met en exergue la perception de la religion sans référence à la culture.
Je ne savais pas en parcourant ce livre que Tariq Ramadan allait décevoir mon attente au moment où j’attendais de lui de faire dialoguer la portée philosophique des valeurs humaines avec le texte qui définit le coté divin de l’identité du musulman. Personne ne doute des qualités intellectuelles avec laquelle ce penseur véhicule son discours. Mais le fait qu’il avance qu’il a beaucoup appris des paradigmes philosophiques occidentales sans capitaliser sur la teneur universel dont la liberté prédomine , m’oblige à poser la question sur la crédibilité de la fonction de médiateur que Tariq Ramadan voudrait assigner à son parcours dont la passion prend le dessus au détriment d’un débat au sein du quel seule la raison doit faire l’ arbitre. Si en Suisse la proximité était citoyenne, maintenant qu’il s’est ressourcé des savants (Oulémas) de l’Egypte, cette proximité s’est convertie en prédication religieuse. Dans la pratique, le discours doit être conditionné et adapté selon le degré de l’entendement de l’interlocuteur.
Ceci dit, le texte ne doit pas être revisité car sa sacralité oblige. D’où la pertinence du double discours. Si non comment peut-on expliquer son silence par rapport à des sujets que le texte a tranchés, qui sont donc intouchables , je pense à la violence conjugale au sens patriarcal que le coran a cautionnée et la question de l’héritage que ce même texte à inégalement approuvée, mais dans le même temps, Tariq Ramadan nous évoque son soutien à l’égalité .
Tariq Ramadan ne s’aligne-t-il pas sur la notion de l’assimilation qu’Alain Finkielkraut (2)ne cesse de prôner, sans le vouloir et le savoir , dés qu’il évoque la tension, la crispation que provoquent les retombées de changements sociaux et que vivent les musulmans de l’occident(3). En claire les musulmans de l’occident ont peur. En prônant ce genre de discours, Tarik Ramadan, n’est –il pas entrain d’éveiller le sentiment du mépris d’autrui, lui qui se prend pour un médiateur ? D’autant plus, qu’il évite d’évoquer dans son articulation de la culture et la religion la séparation de la sphère privée et publique, laquelle distinction renforce le vivre ensemble dans un climat de liberté sans crainte aucune. Je ne suis encore tombé dans cet ouvrage sur des éléments de réflexions susceptibles d’enrichir la notion de tolérance non dans son sens morale mais dans sa signification par rapport au Droit, dans la mesure où tolérance est une garantie de la liberté de consciences.
J’essaye de calmer mon impatience et ma soif à la profondeur de l’analyse. Il parait, qu’en fin de compte, je n’arriverai pas à satisfaire ce besoin de différence que jusqu’ici mon intime conviction n’est arrivée à combler. Une lecture doit se faire à partir de l’apriori, c’est à dire d’un lexique référentiel dont la richesse du sens laisse le choix à comparer. Cette intime conviction démunie de conceptualisation invite plutôt la représentation dans la quelle peut sombrer non seulement le sens commun mais aussi l’élite. Car la démarche n’est tout simplement pas cohérente du moment où le concept annoncé est esquivé. « Il est impératif de mieux définir et de diffuser une meilleur compréhension de concepts tels que : fiqh, ihjtihad,fatwa…..ou encore sécularisation, laïcité , citoyenneté….. »(4) j’allais m’adresser à Tariq Ramadan et lui dire : Éclairez nous en expliquant la portée théologique et politique de ce panier de mots. Mais il a répondu avant que je revendique le droit à la réflexion : « j’ai essayé depuis des années d’entamer ce travail dans chacun des livres écrits sur ces questions, mais la route est encore longue pour parvenir à partager, à discuter et à ouvrir un débat critique sur ces concepts et leur définition. » (5) Ceci prouve encore une fois que la richesse de la réflexion réside dans sa conceptualisation. Au final ça ne sert à rien de lire un autre livre qui reproduit le même discours.
Sur la question des femmes(6), Tariq Ramadan n’était pas au rendez vous. Son approche « réformiste » ne me convainc pas car elle ne se focalise pas sur le fond du problème et ne tranche pas là où le positionnement doit être significatif. C'est-à-dire, prendre le risque de transgresser cognitivement le texte et se démarquer de sa force canonique. Tariq Ramadan explique ou justifie son désaccord timide avec le patriarcat en se référant au comportement du prophète sans élucider la discrimination dont jouit le texte. Il est probable selon ce qu’avance Tariq Ramadan que le prophète s’est bien comporté avec ses épouses mais ce ci n’enlève en rien la force canonique du texte qui stipule que la violence conjugale exercée par l’homme contre son épouse est légitime de point de vue religieux. Après tout, n’est –il pas entrain de substituer une sainteté humaine à une sacralité divine ?
Il m’est difficile personnellement de concevoir que le traitement du prophète envers ses épouses était équitable. Il fallait que ceux qui racontent l’autobiographie du prophète ne tombent pas dans la désacralisation, si non le texte divin perd son poids canonique. Face à cette problématique, Tariq Ramant veut s’en sortir en jouant sur le comportement (7) et non la critique. D’autant plus que la référence aux Droits Humains est esquivée dans ses propos. Ce silence radio est à mon avis voulu dans la mesure où l’origine du problème réside dans la liberté qui récuse le fait accomplie dans lequel nous introduise la force du religieux.
En outre, la démocratie est corollaire au renforcement des droits de la femme. Je m’attendais à ce que Tariq Ramadan traite de la question de l’héritage qui n’est autre qu’un exemple frappant de l’inégalité des Droits que le texte coranique légifère. Au Maroc, même des « laïcs » n’osent pas en discuter, ni même des organisations des droits de l’homme, hormis, à ma connaissance, l’Association Marocaine des Droits Humains. Force est de constater que la situation de la femme est dégradée dans les pays où la religion est complice avec le despotisme. Ce sont des problématiques liées à la question du Droit dans sa portée universelle que Tariq Ramadan omet de débattre.
Notes
(1) TARIQ RAMADAN Mon intime conviction. Editions : Archipoche
(2) Le non dit dans l’identité malheureuse d’Alain Finkielkraut. Abdelmajid BAROUDI
(3) Mon intime conviction. Page : 67
(4) Mon intime conviction. Tariq Ramadan. Editions : Archipoche. Page : 101
(5) Mon intime conviction. Page : 102
(6) Mon intime conviction. Page : 109
(7) Mon intime conviction. Page : 110
6 avril 2014