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Directeur / Éditeur: Victor Teboul, Ph.D.
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Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale : nos institutions reflètent-elles adéquatement la diversité de notre société ?

par
Ph.D., Université de Montréal, Directeur, Tolerance.ca®

 

À l’occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale (21 mars), Tolerance.ca ® pose un regard critique sur la situation des droits de la personne telle qu’elle se présente au Québec. Quels sont nos acquis depuis l’adoption en 1975 de la Charte québécoise des droits et libertés? Et quels sont les obstacles à surmonter? Ce sont là certaines des questions que nous avons posées à M. Fo Niemi, directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR).
Cofondateur du CRARR, Fo Niemi a été membre de la Commission des droits de la personne du Québec de 1991 au 2003 et a fait partie de nombreux comités de travail pour divers organismes œuvrant dans le domaine de la sécurité publique et des droits de la personne, tant au niveau fédéral que provincial ou municipal. Détenteur d'un baccalauréat en travail social de l’Université McGill, Fo Niemi a complété également des études en sciences politiques à l'Université Concordia. M. Niemi a reçu plusieurs prix pour son engagement, dont le prix de la Justice du Québec, en 1995 et le Prix Jackie Robinson de l’Association des professionnels et des gens d’affaires noirs, en 2004.

Tolerance.ca ® : M. Niemi, vous êtes engagé dans la défense des droits de la personne depuis plus de 20 ans, quels sont, d’après vous, les principaux acquis du Québec, au cours des derniers 34 ans, sur le plan législatif et politique, en matière de lutte contre la discrimination ?


Fo Niemi : 2008 a marqué mes 25 ans de lutte contre les discriminations au Québec. Nous avons obtenu de nombreux gains importants au cours de cette période, par exemple, la création du Tribunal des droits de la personne et du Système de déontologie policière, tous deux mis sur pied en 1990. La Loi 143, adoptée en 2000, et qui oblige toutes les institutions publiques et parapubliques (dont les universités, les cégeps*, les hôpitaux et les administrations municipales) à mettre en oeuvre l’accès à l’égalité en emploi pour les minorités visibles et les minorités ethniques, est aussi un pas géant. Au niveau fédéral, l’amendement à la Loi canadienne des droits de la personne, en 2001, pour permettre des poursuites contre la haine sur Internet, ainsi que l’amendement au Code criminel, en 1995, afin d’instruire les juges à imposer une peine plus sévère dans les cas d’actes criminels motivés par la haine, ont réellement donné un coup de pouce à la lutte contre les crimes haineux.

Ceci étant dit, depuis le Référendum de 1995, on a noté une baisse tangible de l’engagement de la part de nos institutions publiques et politiques dans la lutte contre la discrimination et pour l’instauration de changements réels. On consacre plus de temps et de fonds à des réceptions et des « Prix-ceci » et des « Prix-cela », mais vous savez, la lutte pour la représentation équitable des Noirs ne consiste pas uniquement en l’élaboration d’un calendrier. En effet, nous avons des lois et des structures, mais elles ne fonctionnent pas de manière efficace, faute de volonté de changement et de ressources adéquates.

Le problème n’est pas propre au Québec, il faut le dire. Nous avons, comme toute société, nos propres défis à relever pour vaincre le racisme et les discriminations mais on n’est pas meilleur ni pire que les autres.

Tolerance.ca ® : Quels sont les principaux obstacles qui restent à surmonter, au Québec, en matière de lutte contre la discrimination ?

Fo Niemi : Le plus grand obstacle, c’est cette résistance à la diversité ethnoculturelle au sein des grandes institutions publiques et privées, ce que l’on nomme dorénavant le « racisme systémique ». Après plus de 25 ans de discours et de mesures répétitives, notre fonction publique québécoise n’est pas encore intégrée, avec un progrès de moins de 3 % (1,9 % en 1981 comparé à moins de 4 % en 2006). Notre magistrature n’est pas meilleure : 2 juges de couleur et moins de 10 juges anglophones et ethnoculturels sur 270 à la Cour du Québec; un seul juge de couleur et un seul juge autochtone sur 140 juges à la Cour supérieure. Et que dire de la piètre diversité raciale ou ethnique sur les bancs de l’Opposition à l’Assemblée nationale à l’heure actuelle ? Ou de tous les comités de direction des centrales syndicales ?

C’est cette exclusion ou « discrimination systémique » qui perdure année après année et qui diminue la réputation du Québec comme société ouverte et inclusive. Il y a cette hypocrisie qui empêche notre société de tirer profit réellement de sa diversité. Espérons que la « génération Ipod » sera plus ouverte à la diversité ethnique et raciale que celle de la Révolution tranquille.

Les syndicats québécois et la lutte contre le racisme

Tolerance.ca ® : Compte tenu de la réalité multiethnique et multiconfessionnelle du Canada, quelles sont les provinces canadiennes qui se sont montrées les plus actives dans la sensibilisation des jeunes - et des adultes - en développant des moyens (programmes éducatifs, campagnes publicitaires, et autres) visant à surmonter toutes les formes de discrimination ? Peut-on mesurer le degré de réussite de ces campagnes de sensibilisation et que contiennent les campagnes les plus réussies ?

Fo Niemi : L’Ontario et la Colombie-Britannique, selon mes connaissances du terrain, ont des programmes fort intéressants car les gens ont des réflexions plus critiques et plus poussées sur ces questions. Je ne peux pas commenter les réussites car il n’existe pas vraiment d’indicateurs objectifs pour les déterminer. Ce qui est fort intéressant dans ces provinces est la prise en compte des populations et réalités autochtones – un élément essentiel de notre identité nationale et de notre diversité culturelle – avec la croissance démographique exponentielle des peuples des Premières Nations à travers le pays, y compris au Québec. Ignorer ce fait consiste à induire en erreur toute une génération ainsi que les nouveaux immigrants.

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Là-bas, il y a aussi un plus grand lien de solidarité entre les groupes à la recherche de l’égalité et les syndicats, de leur côté, s’engagent concrètement dans la lutte contre les discriminations. Mais au Québec, je ne me souviens pas d’une seule centrale syndicale qui ait, au cours des 10 dernières années, pris position publiquement contre le racisme, même quand celui-ci est explicite. Prenons, par exemple, les cas des mesures de ségrégation ethnique que certaines entreprises montréalaises en aéronautique ont imposées aux travailleurs québécois nés dans des pays proscrits par les règles ITAR (International Traffic In Arms Regulations) des États-Unis.

Tolerance.ca ® : Compte tenu de la pluralité de nos valeurs, comment peut-on faire en sorte que des attitudes et des comportements, qui sont acceptables dans certains groupes sociaux mais condamnables dans d’autres, puissent coexister dans une même société ?

Fo Niemi : Je fais toujours attention à ce genre de questions de valeurs, car c’est souvent un euphémisme pour masquer les vrais préjugés. Par exemple, les « valeurs familiales » employées par la droite chrétienne étaient en fait un code pour s’attaquer aux droits des femmes et des gais durant les années 1980.

Certes, il y a des valeurs fondamentales et universelles partout mais il faut les contextualiser. Par exemple, si on croit réellement aux droits des femmes et qu’on veuille les « protéger » contre ces valeurs dites « barbares » de la civilisation arabe (ce que les gens disaient durant plusieurs audiences de la Commission sur les accommodements raisonnables), comment expliquer ces « strip clubs » qui se trouvent dans toutes les petites et grandes villes au Québec et où des jeunes femmes travaillent dès qu’elles atteignent l’âge de 18 ans? Ces clubs de danses érotiques, tout comme l’ensemble des activités économiques qui exploitent le corps des femmes et la ségrégation sexuelle dans plusieurs professions, sont de véritables affronts à l’égalité des femmes, et ce, beaucoup plus que ces femmes musulmanes qui veulent défendre leur droit d’afficher leur foi sur la place publique. Nous devons promouvoir les valeurs inscrites dans les lois internationales et domestiques en matière d’égalité, de liberté et de sécurité des personnes. En ce 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, nous vivons les effets d’érosion de la culture nationale des droits de la personne, laquelle a subi de sérieux contrecoups avec les attaques terroristes du 11 septembre et la mondialisation des marchés.

C’était pour que ne se produisent plus les pires chapitres qu’ait vécus l’humanité durant la 2e Guerre mondiale que les Nations unies ont adopté cette Déclaration en 1948. Et quand j’entends des personnes d’ici, dans les lignes ouvertes à la radio ou aux audiences de la Commission Bouchard-Taylor, préconiser de faire adopter des lois empreintes d’ignorance et d’intolérance envers les personnes de religion juive et musulmane ou envers les immigrants, je trouve que non seulement on a pris du recul, mais qu’on est descendu au niveau de l’imbécillité qui blesse et qui embarrasse.

Tolerance.ca ® : Vous soutenez souvent des individus et des organismes qui se réclament victimes de discrimination. Leurs plaintes sont-elles toujours fondées ? Que doit-on faire afin de sensibiliser les individus et les groupes au fait qu’un échec subi n’est pas nécessairement le résultat d’un acte de discrimination à leur endroit ?

Fo Niemi : Il y a toutes sortes de situation et de perception d’injustice et de violation des droits de la personne. Au CRARR, on fait très attention; la rigueur dans l’analyse des faits et de la preuve est essentielle et, grâce à cela, on sélectionne prudemment les dossiers. Et là encore, parfois on a quelques ratés car certains clients ne dévoilent pas tous les faits ou bien leurs témoins les contredisent ou changent de version. Il y a un grand nombre de cas d’injustice et d’iniquité, mais pas nécessairement des cas de discrimination tels que définis par la loi actuelle. Il y a aussi des cas où il est impossible ou non recommandé d’aller plus loin, non pas parce que les plaignants ne sont pas crédibles, mais parce que les gens ne savent pas comment conserver la preuve ou agir plus rapidement selon la prescription. Notre défi est, d’une part, de ne pas personnaliser ou privatiser un problème social et, d’autre part, de ne pas généraliser un problème personnel pour en faire une situation globale.

Le marché de l’emploi

Tolerance.ca ® : Vous défendez des organismes et des individus devant les tribunaux et obtenez même souvent des dommages et des réparations. Quelles sont les plaintes les plus fréquentes ? Le recours aux tribunaux est-il un moyen efficace pour faire changer les mentalités ?

Fo Niemi : La moitié de nos dossiers touchent le racisme dans l’emploi et, de plus en plus, dans la représentation syndicale. Et c’est normal car, comme je l’ai dit tantôt, nous avons un marché d’emploi très « ségrégé » au niveau racial et ethnique, notamment dans les institutions publiques soutenues autant par l’argent des contribuables ethniques et anglophones que par celui du reste de la population. Et parce que les centrales syndicales demeurent encore imputables et exclusives au niveau de la représentativité de leurs élus et de leurs employés, le problème de défaut de représentation des victimes de discrimination et de harcèlement racial au travail constitue de plus en plus un enjeu très sérieux. Pour nous, les actions juridiques contre les syndicats deviennent donc inévitables pour l’accès équitable des minorités à l’emploi au Québec.

Malheureusement, les changements institutionnels réels n’ont pas eu lieu et ils n’auront pas lieu à moins que la résistance à la diversité et à l’inclusion ne leur coûte cher. C’est la leçon tirée de la lutte des femmes pour l’intégration dans les emplois non traditionnels, de celle des gais et lesbiennes pour le mariage gai, ou de celle des Autochtones pour leurs droits ancestraux au contrôle des ressources naturelles. C’est pourquoi les poursuites judiciaires sont efficaces en ce qui concerne les réformes concrètes et durables et c’est pour cette même raison que nous explorons le recours collectif comme levier de changement institutionnel.

Regardez le programme de résidence en médecine au Québec. Cela fait des années que les médecins formés à l’étranger ont de grandes difficultés à accéder à ces postes; quand ils ont été rejetés presque en masse en 2007 par les responsables du programme, nous avons décidé de demander à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse de mener une enquête systémique sur les critères et les procédures de sélection. Après avoir fait une analyse de celle-ci, nous avons pu convaincre la Commission d’instituer la première enquête systémique sur cette question dans tout le Canada. Et soudainement, les politiciens bougent et les institutions de médecine bougent aussi – malgré eux.

Entrevue réalisée par Victor Teboul pour Tolerance.ca ®.  

© Tolerance.ca ® Inc.

*Cégeps. Acronyme désignant au Québec les établissements publics de niveau collégial : collèges d'enseignement général et professionnel. 

Voir aussi : Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale : Tolerance.ca ® célèbre la diversité

14 mars 2008
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La Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale est célébrée chaque année le 21 mars, pour commémorer ce jour de 1960 où, à Sharpeville (Afrique du Sud), la police a ouvert le feu et tué 69 personnes lors d’une manifestation pacifique contre les lois relatives aux laissez-passer imposées par l’apartheid. En proclamant la Journée internationale en 1966, l’Assemblée générale des Nations unies a engagé la communauté internationale à redoubler d’efforts pour éliminer toutes les formes de discrimination raciale.

 



* Image : reuters

** M. Fo Niemi. 
Image : http://www.psac.com/what/humanrights/unity/photos-e.shtml






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Inteview
par ayoub mahboub le 18 décembre 2008

une bonne interview

 

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par Victor Teboul

Victor Teboul est écrivain et le directeur fondateur de Tolerance.ca ®, le magazine en ligne sur la Tolérance, fondé en 2002 afin de promouvoir un discours critique sur la tolérance et la diversité. 

Contact :  info@tolerance.ca

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